Au départ, LadjiBourama avait cru pouvoir gouverner tout seul, sans l’aide des politiciens, nomades comme sédentaires. C’est pourquoi, dans l’euphorie de la victoire électorale, il avait annoncé avec tambour et trompette qu’il n’y aurait « pas de partage de gâteau » et qu’il fallait s’éloigner du consensus de la marmite, pardon !, du consensus politique pratiqué par son prédécesseur, le « Vieux Commando ». Joignant le geste à la parole, l’hôte de Koulouba avait sorti de son chapelet magique un Premier Ministre : Oumar Tatam Ly. Quand on veut préserver le gâteau, on le confie, bien sûr, à un banquier, par nature avare, et Ly en était un.
Le banquier voulait dégarnir la table
Mais voilà: Ly a tellement bien compris sa mission, il a tellement veillé sur le gâteau qu’il a commencé à trouver un peu trop nombreux les rares convives assis autour de la table à manger. Il a donc demandé que l’on chasse de la table plusieurs convives sans même leur laisser le temps de terminer leur assiette. Oumar Tatam Ly souhaitait limiter non seulement la quantité de festoyeurs mais aussi leur qualité, vu que les festoyeurs politiques ont le plus d’appétit. Ne pouvant convaincre LadjiBourama de faire le vide, le Premier Ministre moustachu a préféré vider le plancher. Il n’avait pas, il est vrai, de raison pressante de s’accrocher à son poste primatorial puisqu’il gagne bien sa vie à la BCEAO où il s’apprête à retourner. Pauvre monsieur Ly ! Les politiciens ont eu sa peau ! Il aurait dû, avant de les affronter, demander conseil à l’astrophysicien Cheick Modibo Diarra qui, du haut de ses « pleins pouvoirs », entendait éradiquer la race des rentiers politiques et a subi, en retour, un crash aérien nocturne.
Mara gère les appétits
Le nouveau Premier Ministre, Moussa Mara, a, certes, un profil technique prononcé mais c’est surtout un homme politique. Chef d’un parti (« Yelema« ), il sait l’immense appétit des politiciens et tout le bien que l’on tire d’eux en leur mettant une croûte de pain dans la bouche. Voilà pourquoi Mara tente de faire du « ATTisme » sans ATT. La configuration de l’équipe montre que Mara n’a pas eu les coudées franches pour la former, même si la phraséologie officielle tend à faire croire qu’elle fut proposée par lui. A preuve ? Pas un militant de Mara n’y figure ; les gros poissons dont Oumar Tatam Ly exigeait le débarquement ne bougent pas d’un iota et, au lieu de la vingtaine de ministres dont Mara caressait le projet, il se retrouve dans une cour de récréation remplie de 31 personnages (pas un de moins)! Voyons, à présent, la tête de nos nouveaux clients.
J’ai beau remplacer mes lunettes par des jumelles made in Kati, je ne vois pas d’uniforme kaki. LadjiBourama a jeté dans le lac les deux derniers représentants de l’ex-junte : les généraux Abdoulaye Koumaré et Moussa Sinko Coulibaly. Ce dernier, passé maître en « tendances électorales », sourira désormais beaucoup moins quand un candidat au long chapelet devancera de loin les autres. Les deux hauts gradés doivent, au reste, remercier Allah soubahanawatallah de rentrer tranquillement chez eux au lieu de d’atterrir, comme leur ami Sanogo, dans une cellule de Sélingué agrémentée de vipères !
Cheick Oumar Diarrah, pourtant très lié à LadjiBourama, quitte le navire où il était chargé de la réconciliation nationale. On murmure qu’il a préféré suivre son ami Tatam Ly mais il ne s’agit que de murumres…En tout cas, il n’est pas certain que son remplaçant, Zahabi, fasse mieux que lui car, en tant que rebelle répenti, ce dernier ne plaît pas beaucoup aux bandits armés du MNLA et du HCUA. Au passage, LadjiBourama prive Zahabi de juteux bouts de gâteau en détachant le maroquin de la réconciliation du volet « reconstruction du nord ». Autant dire que Zahabi, en l’absence d’armée pour reconquérir Kidal, devient un ministre…du discours.
On se serait attendu au sec limogeage du général SadaSamaké après l’insécurité galopante qui a valu à nos marchés de brûler et à la résidence de l’ancien président Konaré une attaque à main armée. Mais que non ! L’officier monte tout bonnement en grade en devenant super-ministre de l’Intérieur et de la Sécurité !
Me Bathily reste garde des sceaux et numéro 2 du gouvernement; il voitses attributions renforcées par un segment tout neuf: les droits de l’homme. De quoi réjouir quelques procureurs (suivez mon regard !) et, surtout, le maire du district, Adama Sangaré, auquel Me Bathily souhaite un splendide palais au Paradis.
L’Adema, omniprésente autour de la soupe, surtout quand elle contient du nectar, se taille de gros oignons : le Commerce et la Décentralisation. Dans la foulée, Ousmane Sy sort du bois pour relancer les communes qu’il a mises en place dans les années 1997. Le candidat nomade du parti, Dramane Dembélé rate, hélas !, une énième fois le coche, lui qui avait pourtant étalé, dès l’aube, sa natte, ses cuillères et ses fourchettes devant la mosquée, pardon !, le château de Sébénicoro. C’est dire qu’à l’Adema, les hiérarques reprennent toujours la main, quel que soit le ballet des candidats.
Avec Poulho aux Sports et Me MountagaTall à l’Enseignement Supérieur, LadjiBourama recrute de nouveaux adeptes politiques. Les deux hommes ont maintenant l’occasion de se refaire une santé après le tragique périple de la présidentielle et des législatives. On n’entendra donc plus Poulho dénoncer sur RFI l’aide apportée par les militaires au candidat LadjiBourama. Quant à Me Tall, il ne reprochera plus, comme en 1997, à LadjiBourama de devoir ses privilèges à un décret présidentiel (et non au suffrage populaire); surtout, le patron du CNID a compris, 20 ans trop tard, qu’il valait mieux s’installer soi-même à table que de donner une procuration à quelqu’un d’autre. Question à mille dollars ségoviens: Me Tall au gouvernement, à quoi aura servi la précédente levée de son immunité parlementaire ? Prendra-t-on le risque d’une mini-crise politique en lui demandant un jour de se rendre au tribunal pour affronter BabaniCissoko ? Ou bien Babani devra-t-il désormais aller réclamer ses sous à feu Dah Monzon ? Poulho et Tall, faut-il le rappeler, sont, avec Moussa Mara, co-fondateurs de la défunte « Convergence pour Sauver le Mali » que les connaisseurs avaient, à l’époque, surnommée « Convergence pour Sauver Moi-même » car cet étrange regroupement politique se prétendait ni pro-putsch, ni anti-putsch. Quelle gymnastique!
Enfin, le RPM, après avoir perdu la primature, parvient à sauver quelques os spongieux. Son secrétaire général, BocaryTéréta, reste ministre du Développement Rural, environné d’une demi-douzaine d’autres artisans de l’honneur du Mali et du bonheur des Maliens comme Abdoulaye Idrissa Maiga, l’ancien directeur de campagne de LadjiBourama.
La morale de l’histoire
En un mot comme en mille, la composition du gouvernement Mara indique que LadjiBourama prend un virage politique. Il espère, ce faisant, partager son fardeau (de plus en plus lourd) avec d’anciens concurrents politiques et diminuer l’impatience du peuple qui ne voit rien venir depuis 7 longs mois. En la matière, Ladji fait preuve d’une grande capacité d’oubli puisqu’il fait appel à des gens qui, hier, l’ont lâché au milieu du gué. Sans le crier sur les toits, il veille cependant à préserver son éventuel second mandat en brisant les ailes de son Premier Ministre qui, parmi les ministres, ne compte pas de partisans. Surveillé comme le lait sur le feu, Mara va même, peut-être, devoir batailler comme un gladiateur pour placer ses camarades de parti dans les hauts postes de l’administration. Comme quoi, LadjiBourama sait aussi bien tenir les brides que porter des babouches !