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Négociations sur le Nord du MALI / Entre dissonances constitutionnelles et périls de l’Afghanistanisation et de la Soudanisation
Publié le vendredi 10 aout 2012  |  Le Républicain


Bassolé
© Autre presse par DR (Photo d`archive)
Bassolé et IYAD


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L’État-nation à l’épreuve de l’unité et de la laïcité
De la Société au Droit, il y a la teneur médiatrice du réel. Structurant de l’ordre social, la politique a ses tensions, ses espérances et ses faillites. Au plus haut sommet de l’État, de l’acte anodin au fait solennel, tout engage. D’où vient que tout un pays soit brusquement frappé de stupeurs face à l’ampleur des défis qui sont les siens, allant jusqu’à menacer son existence ? Le Droit ne fonde pas la société mais aide à la structuration de l’ordre social traversé par les tensions, les enjeux et les acteurs le plus souvent aux objectifs asymétriques.

Dans la société des nations, le Mali fait aujourd’hui figure de fragilité structurelle mais, bien que touché de manière gravissime, il est loin d’être seul car les dangers charriés par la porosité du grand Sahel déclinent un cocktail explosif que la fluidité géopolitique transforme en menaces réelles se mouvant jusqu’aux portes de l’Europe. Négocier avec le diable au nom de la colombe ou faire la guerre au nom de l’honneur, entre les deux choix, le rapport de force se pose comme donne focale. État-nation, avons-nous cru que nous étions du 22 septembre 1960 jusqu’au fracas de nos « rêveries » entretenues par le confort du nationalisme passé sous le mode discursif de l’imaginaire collectif savamment entretenu. Nous n’étions pas seuls car au sortir de l’expérience coloniale, il était écrit que chaque État devait se faire « tailleur » de nation unie, solide. D’où la mythologie des « États-nations » inspirés du modèle- creuset de la France.

L’on savait que le choix juridico-institutionnel de presque tous les pays africains, excepté quelques rares comme le Nigéria, fut l’État-nation, souvent au mépris de la diversité. La faillite de l’évangile du développement, la mauvaise gouvernance et les velléités sécessionnistes ne tarderont pas à révéler deux faits aujourd’hui reconnus : l’inachèvement et la plurinationalité cachés par la mythologie de l’État-nation comme creuset unitaire. Et c’est bien Ernest Renan qui écrivait que « la nation est un plébiscite de tous jours », c’est-à-dire comme une construction fragile dont il faut chaque jour prendre soin.

Il faut préciser qu’en dépit de la pluralité des acteurs rebelles opposés à l’État malien (le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA), Ansar Eddine de Iyad Ag Ali, à Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi), au Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao)) et des enjeux, deux revendications majeures retiennent depuis quelques mois l’attention tant malienne qu’internationale : l’application de la Charia pour Ansar Eddinne et ses alliés et l’indépendance de l’Azawad (pour le Mnla), territoire à l’historicité contestée par tant de chercheurs et par l’auteur de l’hymne national du Mali, le doyen Seydou Badian.

Le Mali, (un État-nation ?) menacé dans ses fondements existentiels. Deux revendications majeures, l’une symétrique à l’Afghanistanisation (la charia), l’autre faisant peser le risque de soudanisation (l’indépendance).
Le caractère osé de ces deux revendications majeures portées par les groupes armés opposés à l’État malien depuis le 17 janvier 2012 amène non à récuser l’idée de négociation en terme principiel mais à poser des préalables constitutionnels à la négociation. Sans tomber dans un autre fanatisme, celui du « casus belli » irréversible bien que tout semble indiquer que le Mali fera difficilement économie d’une guerre pour recouvrer son intégrité territoriale, il nous semble important d’insister sur le fait que l’indépendance et la charia constituent des « dissonances constitutionnelles » en tant qu’elles touchent à des points essentiels de notre Loi fondamentale. Autrement l’intégrité territoriale et la laïcité constitutionnelles.

Comme nous le verrons plus loin, le MNLA semble s’inscrire dans une stratégie graduelle portée par la surenchère : demander l’impossible (indépendance) pour espérer obtenir ce qu’il juge possible (le fédéralisme ou la large autonomie) sans se hâter à le dire quand Ansar Eddine vit de la folie de son mysticisme fanatique au point de s’illustrer déjà par des crimes odieux heurtant les sensibilités et les consciences au-delà du Mali. D’un côté le nationalisme politique à la recherche d’un État et d’un territoire, de l’autre, la tentative de faire prévaloir la charia au détriment des lois forgées par le génie du « temporel ».

Au-delà de l’attachement à la constitution et au droit « fait fétiche », ne faut-il pas souligner que le drame actuel du Mali relève-t-il aussi des rapports de force politico-diplomatiques, militaires, géopolitiques et géostratégiques contraignant les protagonistes à une logique de pragmatisme ? Mais la négociation sur les idées de l’indépendance et de la Charia est-elle soluble dans l’architecture constitutionnelle de notre État républicain ? Un État peut-il et doit-il négocier au point de courir le risque de violer sa propre constitution ? Un État qui cède de trop ne finira-t-il pas par courir à grandes enjambées ?

Les deux revendications sont graves sur les plans juridique, sociologique et politique. Juridiquement parce qu’elles touchent à l’indivisibilité du Mali en tant qu’État-nation, à la laïcité de l’État républicain comme consacrée par la Loi fondamentale du Mali par l’idée de l’application de la charia. Sociologiquement parce que ces deux revendications sont formulées au mépris de la diversité sociale, culturelle, ethnique et religieuse tant du Nord que du Mali sans oublier la réalité minoritaire des Touareg au Nord en dépit de leur « belliquisme » hégémonique. Aussi, c’est l’idée de Nation dans ses fondements juridiques, sociologiques, historiques et symboliques qui se voit remise en cause dans ce qu’elle postule de spécificité au Mali. Politiquement, les deux revendications déstructurent l’architecture et la tradition institutionnelle en cours au Mali depuis l’indépendance et ne manqueront pas de remettre en cause l’aménagement territorial du pays au sens juridico- administratif.

L’indépendance et la charia sont donc deux revendications menaçant l’existence même du Mali dans ses fondements historiques, juridiques, sociaux et culturels. C’est aussi, une tentative de la part de la galaxie rebello-terroriste de viol des foules et de l’histoire. Un crime symbolique en soi doublé d’une castration de l’imaginaire national.

Si le MNLA fut au début de cette année le mouvement qui a retenu l’attention, il semblait être au finish cet arbre cachant la forêt. La pieuvre djihadiste était en marche et derrière la laïcité publicisée du MNLA, jugé plus fréquentable par la France, était en marche une cohorte de fanatiques. Ceux qui veulent l’application pure et simple de la charia (Ansar Eddine) et ceux plus portés par le juteux commerce illicite de prises d’otages (AQMI, Mujoa) malgré la double architecture discursive anti-occidentale et pro-islamique sans perdre de vue leur alliance ombrageuse. Une sorte de division du travail terroriste !

Les massacres d’Aguelock annonçaient la couleur avant la lapidation d’un couple non marié dans la même bourgade quelques mois plus tard. L’ogre AQMI, ayant prospéré sous le laxisme suspect d’ATT, s’est trouvé un visage parrain en Iyad Ag Ali, paré de sa nationalité malienne, de ses entregents ombrageux et diplomatiques.

Le MNLA et la stratégie graduelle : demander l’impossible pour avoir le possible !
Si l’éventualité de toute négociation avec les groupes armés terroristes devrait être écartée ; en revanche, doit-on ou peut-on envisager cette éventualité avec le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) ?

D’ailleurs, les gouvernements successifs du Mali depuis 1990 ont toujours négocié avec les groupes armés Touaregs. S’inscrivent dans cette perspective les accords de Tamanrasset signés en 1990 entre le gouvernement de Général Moussa Traoré et Iyad Ag Ali, le pacte national signé le 11 avril 1990 entre le Lieutenant-Colonel Amadou Toumani Touré, Président du Comité de Transition pour le Peuple (CTSP) et Iyad Ag Ali, les accords d’Alger signés le 4 juillet 2006 entre le gouvernement du Président Amadou Toumani Touré et le représentant de l’Alliance Démocratique du 23 mai pour le changement, Ahmada Ag Bibi.
Mais à y regarder de près, on peut être circonspect par rapport à toute négociation avec le MNLA. Au soutien de cette affirmation, on peut, pêle-mêle, avancer deux arguments d’inégale importance.

Le premier, c’est que la mémoire des différentes guerres ayant opposé le Mali aux différentes rebellions Touaregs (1963, 1990) pèse en ce moment sur l’état d’esprit du MNLA. En effet, on ne peut que mesurer aujourd’hui ce que les historiens appellent « une histoire de l’expérience », une Erfahrungsgeschichte. Ceux qui sont à la tête du MNLA étaient enfants pendant la première rébellion touareg. Ils n’ont pas pu combattre. Mais ils ont vécu le deuil des hommes de leur famille. Et aussi des femmes et enfants morts du fait de la guerre. Un millier de morts… L’exemple le plus topique est le cas du chef d’État-major du MNLA, le « Colonel » Mohamed Ag Najim. Né à la fin des années 50 dans l’Adrar des Ifoghas, Ag Najim est encore enfant quand son père est tué par l’armée malienne, lors de la rébellion touarègue de 1963. C’est donc à juste titre que Monsieur Chérif Ouazani de Jeune Afrique a pu écrire : « Ag Najim, ou la soif de la vengeance ». Sinon, comment peut-on expliquer le massacre, pardon le crime de guerre perpétré à Aguelhok contre les soldats de l’Armée malienne si ce n’est la vengeance bien que le MNLA s’est dit étranger à ce crime, attribué à AQMI ? En effet que fût cruel le massacre d’Aguelhok : des jeunes soldats à la fleur de l’âge éventrés, égorgés, mutilés.

Par conséquent, il est très difficile de négocier avec un groupe armé dont la pierre philosophale est la vengeance et surtout l’indépendance plutôt qu’une meilleure intégration dans la nation, comme dans le passé. Si la rébellion ivoirienne était portée par un « désir d’ivoirité », celle du MNLA cherche plutôt le séparatisme au nom d’un nouvel État revendiquant un territoire.

Le second, c’est que la stratégie adoptée par le MNLA rend difficile toute négociation. En effet, le MNLA semble opter pour la stratégie de l’im-possible. Très en cours dans le monde syndical, celle-ci consiste à demander, en prélude à toute négociation, l’impossible, le déraisonnable pour pouvoir obtenir, in fine, le possible, le souhaitable, le raisonnable. Or ni l’im (possible), ni le possible ne saurait constituer les bases d’une éventuelle et future négociation.

L’im (possible) : L’indépendance
Fort de ses succès militaires sur une armée malienne mal équipée, mal formée et minée par une corruption sans précédent et saisissant l’opportunité de la rupture de la chaîne de commandement au sein de l’armée malienne au lendemain du coup d’état, le MNLA a opté pour la stratégie de l’im (possible). Celle-ci s’est traduite par une déclaration unilatérale d’indépendance de l’Azawad, le 6 avril 2012.

Le moins que l’on puisse dire est que cette stratégie jusqu’au-boutiste n’a été jusque-là couronnée d’aucun succès. Elle a fait flop, ou, pour reprendre une expression de l’Ancien Président Français, Jacques Chirac, elle a fait pschitt. En effet, aucune capitale, aucune chancellerie, aucun gouvernement, aucune organisation internationale n’a reconnu cette déclaration unilatérale d’indépendance de l’Azawad. Elle a même été considérée en langage juridico-diplomatique comme nulle et non avenue.
Mais l’essentiel ne réside pas là. Il réside ailleurs : obtenir le possible, le souhaitable, le raisonnable.
Le possible : le fédéralisme, l’autonomie
In fine, la stratégie du MNLA est d’obtenir pour l’Azawad : soit le statut d’un État fédéré dans une République fédérale malienne, soit une très large autonomie. Si ces revendications n’ont pas été à ce jour formulées explicitement par le MNLA, elles ont été néanmoins formulées par des voix non moins autorisées. Ainsi, le ministre burkinabè des Affaires étrangères, Djibril Bassolé non moins médiateur de la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cedéao) dans la crise malienne, a plusieurs fois envisagé la première hypothèse. Dans une déclaration tenue le 7 juillet 2012 sur les ondes de RFI, le Président de la République du Sénégal, Macky Sall envisageait la seconde possibilité : « L’autonomie du Nord du Mali peut se négocier dans le cadre d’un dialogue ouvert intermalien pour donner plus d’autonomie à l’Azawad, mais à l’intérieur d’un seul Mali ».

Au premier, nous avons envie de lui dire de rentrer dans son lit : celui d’un médiateur. En effet, le rôle d’un médiateur consiste non pas à prendre partie pour l’une des parties au conflit, mais, bien au contraire, à être impartial. C’est pourquoi la récusation de Blaise Comparé et du Burkina Faso comme médiateurs dans la crise malienne devrait être envisagée. En effet, le Burkina Faso et son Président ne cessent de poser de nombreux actes inamicaux envers un pays frère, le Mali. L’exemple le plus topique est l’affaire du Secrétaire général du MNLA, Bilal Ag Chérif. Blessé le 27 juin 2012 lors des combats ayant opposé son mouvement et le MUJAO dans la ville de Gao, ce dernier a été évacué à Ouagadougou par l’Armée du Faso pour y recevoir des soins. Et la capitale des Hommes intègres constitue, avec celle de la Mauritanie, l’une des bases arrière de l’aile politique du MNLA. Faut-il souligner ici l’alignement de la diplomatie burkinabé sur celle de la France, sinon la symétrie avec la position française privilégiant la négociation et élevant le MNLA au rang de partenaire fréquentable ?
Au second, nous lui opinons : de quoi je me mêle ! Qu’il accorde d’abord une large autonomie au peuple casamançais.

Et pourtant la solution fédérative a trouvé échos auprès du professeur Kalilou Ouattara, professeur de Médecine à Bamako, qui n’en fait nullement pas un tabou. Est-ce la solution stratégique pour le Mali ? Il ne serait pas seul dans l’option fédérative sensée exorciser une crise aussi durable que cyclique.

En tout état de cause, on ne saurait négocier sur la base ni du fédéralisme ni de l’autonomie. En effet, un obstacle et un danger rendent aléatoires toute négociation allant dans ce sens. D’abord l’obstacle : en effet, accepter le fédéralisme ou l’autonomie bouleverserait considérablement l’ordonnancement juridico-institutionnel du Mali. Ainsi, le caractère un et indivisible de la République du Mali proclamé par l’article 25 de la Constitution volera en éclats. Aussi le fédéralisme ou l’autonomie demanderait le transfert de tout ou une partie de la production législative, règlementaire de l’État fédéral ou l’État central vers l’État fédéré ou l’Entité autonome. Pour le dire brutalement, il y aura co-production législative voire règlementaire entre l’État fédéral, le Mali et l’État fédéré ou l’Entité autonome, l’Azawad. Un tel bouleversement de l’ordonnancement juridico-institutionnel demanderait l’onction du peuple malien, détenteur exclusif de la souveraineté nationale. En effet, aux termes de l’article 118 de la Constitution, aucune modification constitutionnelle n’est définitive qu’après avoir été approuvée par référendum. En effet, le peuple malien, très jaloux de sa souveraineté et de son intégrité territoriale, ne rejettera-t-il pas un tel projet fédéraliste ?

Ensuite, et surtout, le danger : en sus de mettre la souveraineté de l’État malien en danger, concéder, par exemple, l’autonomie à l’Azawad pourrait devenir un précédent créant un effet de contagion, ce que nous appellerons l’effet I LOVE YOU (du nom du virus informatique). Ainsi, nous pourrons redouter des revendications similaires pouvant venir d’autres parties du Mali. Il sera périlleux de sous-estimer l’effet domino.

De tous ces développements, un constat s’impose : l’impossible négociation avec les groupes armés sans respect des préalables constitutionnels. En effet, négocier avec les groupes armés terroristes reviendrait à admettre le principe de l’application de la Charia sur tout ou partie du territoire malien ; et négocier avec le MNLA reviendrait à admettre le principe du dépeçage du Mali. Or personne n’a le droit d’empapaouter, c’est-à-dire utiliser à mauvais escient l’héritage paternel (le Mali). Sans le renoncement aux « dissonances constitutionnelles » (charia, indépendance, fédération) de la part des mouvements armés, il demeure risqué de se précipiter en engageant l’État malien voire sa signature. Aussi le mot Azawad doit être clairement récusé par l’État du Mali sinon il sera de facto mentionné et repris dans tous les documents officiels. Et c’est bien de cette manière que les projets jugés impossibles aujourd’hui finissent par prendre corps et devenir réalités de la part de la légèreté de l’État contesté.
Question légendaire de Lénine : que faire ? Appliquer le théorème du général Ferdinand Jean-Marie Foch : « Mon centre cède, ma droite recule. Situation excellente, j’attaque ».
Sans récuser le principe de la négociation, une tradition dans la vie et la marche des Nations, nous pensons que le Mali doit impérativement poser comme préalable le respect scrupuleux de la Constitution malienne, autrement le refus clair de négocier en tant qu’État sur tous les points entrant en dissonance avec sa Loi fondamentale. Peut-être que le reste pourra faire l’objet d’entregents et de joutes diplomatiques !

Et si le général Ferdinand Jean-Marie Foch finissait par avoir raison tant la sémiotique du chaudron malien semble indiquer qu’une guerre (avec ou sans la Cedeao) semble se profiler après le temps de la négociation comme « chance à la paix » ?
Après la libération du Nord, la désanctuarisation anti-terroriste, la nation doit se retrouver dans sa diversité, discuter sans tabous des rapports intra-nationaux, mettre sur la table tous les sujets épineux au nom d’un nouveau départ, d’une refondation de la nation, d’une réhabilitation de l’État, en d’autres termes, ce qui, dans beaucoup de cas similaires au notre, est appelé « la gestion du post-conflit ».

Dianguina TOUNKARA (Docteur en Droit, élève avocat), Yaya TRAORE (Doctorant en sciences politiques)

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