Au moment où le bon et brave peuple malien tire le diable par la queue, Ladji Bourama hésite à aller chercher l’argent là où il se trouve, de peur de s’attirer les foudres du maître français. Jusqu’à quand subira-t-il ce supplice de Tantale ?
Ladji Bourama adore la France. C’est normal: il y a fait ses études et en a acquis la civilisation même si, pour des raisons toutes récentes, il préfère Paris à Marseille. De plus, sans l’ami gaulois, le palais de Koulouba serait, à ce jour, occupé par Iyad Ag Ghali et ses faiseurs de thé. Enfin, la France nous maintient, nous et les autres Ouest-Africains, sous perfusion financière pour éviter à nos fonctionnaires de manger de l’avoine assaisonnée de potasse. Mais on a beau aimer la France, elle ne peut nous donner ce qu’elle ne possède pas. Et c’est là que le bât blesse car tout à son affection pour la France, Ladji Bourama semble avoir peur de s’ouvrir à d’autres partenaires.
Il faut savoir, en effet, que le pays de François Hollande, quoique cinquième puissance du monde, n’est pas au meilleur de sa forme économique. Sa dette publique en fin 2013 atteint le montant astronomique de 1.925 milliards d’euros, soit 1.280.125 milliards de FCFA ! Ce chiffre n’est pas de mon invention (je préfère écrire des chroniques, comme vous le constatez); il provient des archives de l’INSEE, l’institut français des statistiques, et il signifie que chaque citoyen français est endetté à hauteur de 30.000 euros (19,9 millions de FCFA). Rien que pour financer la sécurité sociale (vieillards, malades, handicapés et consorts), la France dépense par an 661 milliards d’euros (449.565 milliards de FCFA).Pour indemniser les travailleurs qui perdent leur emploi, elle déboursera en 2014 la bagatelle de 31 milliards d’euros ( 20 615 milliards de FCFA).Du coup, au moment où l’Allemagne annonce zéro déficit en 2014, le déficit budgétaire français s’établira à quelque 87 milliards d’euros (57. 855 milliards de FCFA). Quant aux chômeurs, leur nombre atteint 3, 4 millions dans la seule France métropolitaine.
A moins de porter des lunettes en bois héritées de l’ancêtre Soundjata, chacun voit que l’aide française aux pauvres diables comme le Mali ne peut qu’être fort limitée. C’est pourquoi il urge d’aller tendre notre traditionnel pot de mendiant à des pays mieux lotis comme la Chine. Deuxième puissance économique du monde, celle-ci brille de mille feux et, pour tout dire, ignore la crise. Principale créancière des Etats-Unis d’Amérique (rien de moins!), elle accumule les excédents commerciaux. Cérise sur le gâteau, elle possède un fonds souverain (la « Chinese Investment Corporation ») doté de 200 milliards de dollars (100.000 milliards de FCFA). Savez-vous ce qu’est un fonds souverain ? Eh bien! Il s’agit d’un fonds qu’on n’a pas pu manger chez soi et qu’on destine aux investissements à l’étranger.C’est avec une petite partie de ce fonds que la Chine a acquis 10% du capital de la prestigieuse banque américaine « Morgan Stanley ». Au lieu de courir comme Karl Lewis derrière les 3 milliards d’euros promis à Bruxelles, Ladji Bourama devrait prendre au plus tôt la route de Pékin. Il lui suffira de décrocher 1% du fonds souverain pour engranger 2 milliards de dollars.De quoi faire oublier à ses compatriotes les marchés brûlés, le départ de Tatam Ly, voire l’affaire Tomi. Il n’y a d’ailleurs aucune raison que Ladji Bourama échoue à décrocher le pognon chinois puisqu’en retour, il peut louer ou vendre aux Chinois du bois malien, des minérais et, surtout, le million d’hectares cultivables dans l’Office du Niger. Ne le criez pas sur les toits mais de l’indépendance à nos jours, seuls 10% de ces terres furent mises en valeur. En clair, le gaillard de 50 ans qu’est notre pays n’a fait que dormir sur ses deux oreilles depuis que le colonisateur est parti ! Ladji Bourama devrait se souvenir que son prédécesseur, le « Vieux Commando », n’a dû son salut économique qu’à la Chine comme en témoignent le don du troisième pont de Bamako et la construction de l’autoroute Bamako-Ségou. La Chine s’intéresse au plus haut point à l’Afrique à laquelle elle délivre une aide annuelle de 27 milliards de dollars et avec laquelle son commerce croît, chaque année, de 28% depuis 2001. L’aide annuelle au développement fournie par la Chine à l’Afrique seule double celle de la France envers l’ensemble des pays pauvres (13,7 milliards de dollars) et talonne celle des Etats-Unis (30, 7 milliards de dollars). Le pays de Mao s’intéresse particulièrement au Mali où, pour la première fois de son histoire, elle a dépêché 500 soldats dans le cadre de la MINUSMA.
Mais voilà : depuis 7 mois qu’il gouverne, Ladji Bourama a bouclé une soixantaine de voyages sans jamais poser son chapelet, ni sa bouilloire, ni ses babouches de pèlerin en Chine. On n’a pas vu, non plus, à Pékin ni un Premier Ministre, ni un ministre des Finances du Mali. A ma connaissance, seule une micro-délégation du RPM a récemment rendu une visite de courtoisie au parti communiste chinois. Comme si le Mali crachait sur l’argent chinois au moment où le Congo de Kabila cède aux Chinois des concessions minières pour 9 milliards de dollars payés rubis sur l’ongle ! Pourquoi cette bouderie ?
Pourquoi Ladji Bourama ne va-t-il pas prendre l’argent là où il se trouve au lieu de perdre son temps chez un Paul Kagamé dont l’effroyable maigreur montre qu’il a faim et soif comme nous ? La réponse coule de source: Ladji Bourama craint des représailles françaises. La France, jalouse comme une tigresse, déteste, en effet, que ses sujets sub-sahariens fassent du charme à ses concurrents; elle a déjà lancé un sort à ceux qui se sont risqués à ce petit jeu. Modibo Kéita, Moussa Traoré, Sékou Touré et compagnie en savent quelque chose : les uns furent soumis à la diète noire, les autres à un putsch. Quant à Senghor, Omar Bongo et Houphouet-Boigny, grands francophiles devant l’Eternel, ils sont tranquillement morts de vieillesse dans leur lit après une vie d’abondance. Je comprends donc les réticences de Ladji Bourama à franchir, comme César, le Rubicon. Mais entre la crainte des représailles françaises et la nécessité de nourrir un peuple qui crève de faim, il y a lieu de choisir. Et vite. A la place de Ladji, je m’en remettrais à Allah soubahana wa tallah qui m’a confié le pouvoir et je prendrais le chemin de Pékin. Je ne manquerais pas d’accompagnateurs avec toute cette foule de nomades politiques et de griots qui me collent au boubou. D’ailleurs, les représailles françaises ne sont qu’une éventualité alors que la faim populaire est une cruelle réalité. Et puis, Ladji Bourama a déjà pris des libertés avec le maître français sans qu’on lui ôte son chapelet : ne se permet-il pas souvent de ranger au placard la belle langue de Molière pour rouler du latin et du grec ?