Le député élu à Bankass sous les couleurs de l’Union pour la République et la démocratie (Urd), l’honorable Adama Paul Damango et non moins ancien maire de la Commune de Ségué, dans une analyse profonde, décrypte le rôle et les responsabilités de l’opposition malienne.
Selon l’honorable Adama Paul Damango, en démocratie, il n’est pas indispensable qu’il y ait unité, consensus ou unanimité ; l’important est qu’une majorité se dégage. À l’en croire, un parti ou un groupe de partis mis en minorité ou n’exerçant pas le pouvoir exécutif, constitue l’opposition qui peut être parlementaire ou extraparlementaire.
«À l’issue des élections législatives de 2013, dix-neuf partis politiques et trois listes indépendantes ont pu se faire élire à travers le pays pour constituer les 147 députés du Mali», a-t-précisé. Avant d’ajouter que la 5ème législature qui vient de commencer, est constituée de 5 groupes parlementaires qui sont : le groupe parlementaire Rpm ; le groupe parlementaire Apm ; le groupe parlementaire Vrd (Vigilance républicaine et démocratique) et le groupe parlementaire Fare/Sadi. Les groupes parlementaires Rpm, Apm, Adéma et Fare/Sadi se sont déclarés de la majorité présidentielle, alors que le groupe parlementaire Vrd composé de l’Urd, du Paréna et du Prvm, se réclame de l’opposition.
L’honorable Adama Paul Damango explique que l’histoire nous apprend que l’opposition politique au Mali est très vieille. Selon lui, avec l’avènement de l’indépendance en 1960, le parti au pouvoir, largement majoritaire, a absorbé les autres formations politiques existantes et découragé la création de nouvelles, devenant ainsi un parti unique, de fait. Après le coup d’Etat du 19 novembre 1968, poursuit-il, les partis politiques sont interdits. Avec le retour à une vie constitutionnelle normale sous l’égide du parti unique par la Constitution du 2 juin 1974, les partis d’opposition vont néanmoins se créer et mener leurs activités dans la clandestinité, jusqu’au renversement du monopartisme le 26 mars 1991 et l’instauration du multipartisme intégral et du pluralisme démocratique. La Constitution du 25 février 1992, ajoute-t-il, a instauré un régime de type semi-présidentiel qui fait du respect des droits de l’opposition, une exigence.
Parlant de la 1ère législature (1992-1997), l’ancien directeur de l’école de Djinadio dans la Commune de Ségué (cercle de Bankass), révèle que les élections ont vu la domination de l’Adéma/Pasj par le fait que le parti a obtenu la majorité absolue aux législatives avec 76 députés sur les 116 députés que comptait l’Assemblée nationale à l’époque. Alpha Oumar Konaré, élu président de la République, son challenger Tiéoulé Mamadou Konaté va constituer le Fsd (Front pour la sauvegarde de la démocratie). Avec l’entrée du Cnid et du Rdp dans le gouvernement, les autres partis de l’opposition évolueront en rangs dispersés. C’est ainsi que, explique l’élu de Bankass, le Frp (Rassemblement des forces patriotiques) composé du Bdia, du Pdp, du Pmdr, de l’Udd, de l’Ufdp, du Cnid et du Mpr, voit le jour le 17 octobre 1996. L’Udd quittera ce front pour l’autre regroupement de l’opposition dénommé Front pour le changement et la démocratie, créé le 12 décembre 1996 par le Miria, l’Us-Rda, le Rdp, le Prdi et le Pmps.
En 1997, nous confie notre interlocuteur, l’opposition se regroupe au sein du Coppo (Collectif des partis politiques de l’opposition), composé du Bdia, du Cnid, du Fn, du Miria, du Morena, du Mpr, du Pari, du Pei, du Plm, du Pmdr, du Pmps, du Prdi, du Psp, du Rdp, du Rdt, de l’Ufdp, de l’Us-Rda et du parti Sadi.
S’agissant de la 2ème législature 1997-2002, le député élu à Bankass souligne que le groupe Copp-Rnd-Udd-Pdr, qui formait l’opposition parlementaire, totalisait 6 députés contre 141 députés pour la majorité présidentielle. Cette opposition, explique-t-il, était cependant membre à part entière du gouvernement en dépit des dispositions de la loi portant statut de l’opposition qui stipule que : «Toutefois, tout parti politique appartenant à l’opposition, peut participer à la formation du gouvernement ou soutenir l’action gouvernementale. Dans ce cas, il perd d’office sa qualité de parti de l’opposition (article5)».
Le Coppo, selon lui, absent à l’hémicycle, va utiliser d’autres méthodes de contestation à travers des marches pacifiques, des meetings d’information, des conférences de presse. Du coup, un climat de violence s’installe : les manifestations se multiplient à travers le pays, les répressions aussi. On enregistre alors des blessés et des morts.
À l’approche des échéances électorales, le Coppo disparaît et la mouvance présidentielle enregistre le départ du Paréna. Ainsi, la crise interne au sein du parti majoritaire conduit à la démission du président du parti qui finira par créer sa formation politique, le Rpm (parti d’opposition).
En ce qui concerne la 3ème législature 2002-2007, l’élu de Bankass rappelle qu’au 1er tour de la présidentielle, les partis du Coppo se retrouvent dans l’Acc qui soutient ATT et dans l’Espoir 2002, une coalition électorale dirigée par le président du Rpm. Cette 3ème législature, soutient-il, consacre une démocratie consensuelle atypique caractérisée par l’absence d’opposition déclarée à l’Assemblée nationale. Seul, le parti Bara s’est déclaré de l’opposition, mais il n’est pas au Parlement. De ce fait, la démocratie consensuelle s’est imposée à la classe politique. Un président sans parti est élu avec le soutien des partis politiques.
Pour la 4ème législature (2007-2013), le député de Bankass rappelle qu’en 2007, ATT est réélu dès le 1er tour avec 71,20%, soutenu par l’Adp, une coalition de partis politiques parmi les plus représentatifs sur l’échiquier politique national. Au cours de cette législature, continue l’ancien maire de la Commune de Ségué, l’opposition déclarée était le Fdr, représenté par le groupe parlementaire Rpm et le groupe parlementaire Paréna-Sadi avec 19 députés sur 147. Mais, le Rpm et le Paréna finiront par rejoindre le gouvernement.
Au titre de la 5ème législature en cours (2013-2018), le groupe parlementaire de l’opposition est le Vrd composé de l’Urd, du Paréna et du Prvm et compte 21 députés.
Par ailleurs, en mettant en avant la loi n°00-047 du 13 juillet 2000 qui confère à l’opposition un statut juridique, le député élu à Bankass estime que l’opposition actuelle, forte de plus de 20 députés, doit être courageuse, responsable et digne. Pour ce faire, poursuit-il, il faudrait que le cadre juridique soit sécurisé en révisant la loi et en l’appliquant objectivement et sans démagogie. Dans son explication, il précise que l’histoire nous enseigne que l’opposant d’aujourd’hui peut être à la majorité demain. Voilà pourquoi la Fondation Cmdid, pour accompagner la démocratie au Mali, a initié un atelier d’échange du 13 mars 2014 sur les perspectives d’une opposition politique. «L’opposition républicaine que nous sommes, entend pleinement, sereinement et loyalement exercer son mandat de sentinelle, rester vigilante, tenir son rôle de force proposition et agir dans le respect des règles d’un Etat de droit», a-t-il déclaré. Selon lui, il est reconnu à tout parti ou coalition de partis politiques le droit à l’opposition. Ce droit, dit-il, s’exerce aussi bien au sein qu’en dehors de l’Assemblée nationale.
Les partis politiques de l’opposition, croit-il, participent de plein droit à la vie des institutions publiques où ils siègent. L’Assemblée nationale, les organes des collectivités locales sont les principaux lieux de coexistence entre la majorité et l’opposition. À l’en croire, cette coexistence se traduit au niveau de l’Assemblée nationale par la constitution de groupes parlementaires de l’opposition, la présence de l’opposition dans le bureau de l’Assemblée nationale ; la participation de l’opposition dans les commissions permanentes avec la présidence et ou la vice-présidence de certains d’entre elles ; la participation aux organisations interparlementaires ; la participation aux missions intérieures et extérieures qu’exige le travail parlementaire ; la participation aux réseaux et groupes d’amitié parlementaires.
Au niveau des organes des collectivités locales, cette coexistence se traduit par la présence de l’opposition dans les bureaux des conseils ; la participation dans les commissions avec la présidence et ou la vice-présidence de certains d’entre elles ; le contrôle de l’action de l’Exécutif local et la participation aux commissions d’enquête et aux commissions ad’ hoc.
Aussi, soutient-il, les partis politiques de l’opposition peuvent être consultés sur les grandes préoccupations nationales sur lesquelles ils doivent se prononcer. Ils ont un libre accès aux informations par voie d’audience spéciale dans les ministères et administrations publiques. En outre, l’audience doit être accordée à la requête des partis politiques ou sur invitation des autorités.
Cependant, en démocratie, mentionne Adama Paul, l’opposition critique, contrôle et propose. En contrôlant la majorité, l’opposition défend et promeut ses droits ; empêche la majorité de s’installer dans l’arbitraire et chercher à arriver aussi au pouvoir par le scrutin ouvert.
Au niveau du Parlement, le député de Bankass fait savoir que l’opposition, comme tout autre groupe, peut procéder aux propositions d’amendements des projets de loi ; faire une interpellation orale et ou écrite des membres du gouvernement sur les questions d’intérêt national ; et enfin, l’opposition a droit à la motion de censure. Par la même occasion, elle assure le contrôle de l’application effective des lois promulguées ; sanctionne le contrôle par un rapport de mission paritaire majorité-opposition dans les 6 mois après la promulgation de la loi. En outre, l’opposition souhaite que les travaux des commissions permanentes soient couverts par les médias.
Dans un Etat de droit comme le Mali, l’honorable estime que le groupe parlementaire Vrd se doit de respecter les lois de la République du Mali ; de contribuer à l’élévation du débat public en fournissant à l’opinion publique les informations et thèses contradictoires ; de défendre les intérêts supérieurs de la Nation ; et de cultiver l’esprit républicain par le respect de la règle de la majorité.
En mettant l’accent sur les moyens dont l’opposition dispose pour se faire entendre, l’honorable écarte la violence par les casses, la marche avec barricade, les brûlures de pneus sur les voies publiques qui, selon lui, sont des actes non républicains. Par contre, les instruments que l’opposition doit utiliser pour se faire entendre sont, entre autres, les lettres ouvertes au gouvernement, les marches pacifiques, les meetings d’information, les boycotts des activités de la majorité présidentielle à travers la politique de la chaise vide, les conférences de presse, les messages à la radio de l’opposition, la saisine de la Cour constitutionnelle.
Par ailleurs, malgré l’avancée de notre pays dans la démocratie, des zones d’ombre persistent. Pour combler ce vide, le député élu à Bankass a formulé un certain nombre de recommandations. Il s’agit, entre autres, du renforcement de l’opposition qui est partie intégrante du processus global de consolidation de la démocratie ; de la création d’un cadre de concertation de l’opposition pour contrôler les actions gouvernementales. Il faut aussi prévoir des cadres de concertations des partis politiques ou tenir des tables rondes entre la classe politique et le ministère en charge ; élaborer un pacte républicain de bonne conduite électorale ; procéder à la relecture de la loi n°00-047 du 13 juillet 2000 portant statut de l’opposition politique en République du Mali afin de définir un leadership de l’opposition politique et les avantages qui s’y rattachent ; définir les modalités d’accès aux médias d’Etat ; définir des sanctions et leurs modalités d’application en cas de manquement à la loi, promouvoir la culture d’un débat contradictoire.
Comme autres recommandations, l’honorable propose de valoriser et d’adopter des comportements et attitudes favorisant la culture démocratique ; d’informer et de sensibiliser les citoyens sur l’importance et la place d’une opposition politique qui sont aujourd’hui très mal perçues par le citoyen lambda ; d’insérer dans la constitution la Charte des partis politiques, les droits et les devoirs de l’opposition ; appliquer les textes sur l’opposition…