«Les morts ne sont vraiment morts que lorsque les vivants les ont oubliés», dit un proverbe malgache, mais apparemment, il ne s’adapte pas du tout chez nous. Dans ce pays, personne n’est jamais mort. Voilà le triste scénario que les nouvelles autorités veulent mettre en scène dans le grand « cabaret» Mali, au nom d’une prétendue paix durable et une réconciliation nationale en souffrance, à travers une commission vérité, justice et réconciliation. En décidant de réveiller les morts de 1960 à 2013, c’est un pari très risqué que les autorités prennent. Elles risquent d’avoir des surprises très désagréables. De Modibo Keita à ATT en passant par Moussa Traoré, Alpha O. Konaré et le fameux Général 4 étoiles Amadou Haya Sanogo, les morts vont parler.
La nouvelle Commission vérité, justice et réconciliation (cvjr) est créée pour une période de trois ans. Les travaux de la Commission couvrent la période allant de 1960 à 2013 et doivent porter sur tout ce qui est violations des droits de l’Homme et crimes commis dans notre pays au cours des cinquante trois dernières années. Les autorités affirment qu’il ne s’agit pas pour la Commission de réveiller les vieilles rancœurs mais plutôt d’examiner et d’analyser les causes profondes des différents conflits armés et des crimes commis dans la période sus indiquée afin d’éviter les erreurs du passé et de faciliter la réconciliation. Ces enquêtes s’efforceront de rechercher la vérité, disent-ils. Mais quelle vérité peut-on trouver sans réveiller les morts ? Ou pire, on risque de se retrouver devant un scénario inattendu, qui va remettre en cause le tissu social déjà en lambeau et la cohésion nationale très éprouvée.
S’il faut qu’on se dise les quatre vérités entre nous Maliens sur ce qu’on s’est fait subir depuis 60 ans, « alléluia », serons-nous tentés de crier, enfin la vérité éclatera. Mais est-ce nécessaire de se dire les vérités, toutes les vérités sur ces années obscures ? Il y aura des surprises, de vraies surprises. A moins qu’on ne décide d’organiser un folklore comme on en a l’habitude avec tous les foras et autres mascarades organisés dans ce pays sans résultats. A moins que l’on ne veuille jouer à la politique de l’autruche. Là, il y aura un scandale et un vrai. A vouloir se pencher sur les causes de la recrudescence des crises en série dans le septentrion est une chose. Nous regarder dans les yeux pour se dire les vérités sur tout ce qui s’est passé dans ce pays en termes de violation des droits humains, de tortures et de barbaries est une autre chose. Tout dépendra de la volonté politique. Jusqu’où nos autorités sont-elles prêtes à aller ?
Faut-il réveiller les morts ? Faire parler les morts. Quelle belle initiative ! Mais seulement, de 1960 à 2013, il sait des choses, oui des choses et beaucoup de choses d’ailleurs, en termes de liquidation arbitraire, de torture, de viol, de règlements de compte et de disparition forcée. Les autorités affirment que la Commission n’est pas une juridiction et n’a pas vocation à juger. Toutefois, dans le cadre de ses missions, elle mènera des investigations dans les domaines relevant de ses compétences pour aider à la recherche de la vérité.
Quelle vérité peut-on trouver sans juger ? Quel paradoxe que de vouloir situer des responsabilités, comme le disent nos autorités, et ne pas vouloir être juge ? Enfin ! les morts vont parler. Il faut les réveiller, on veut les entendre. De Mamadou Konaté à Dioncounda en passant par Alpha, ATT et Moussa Traoré, il s’est passé des choses. Les fantômes des victimes des bagnes du désert, Taoudéni et Kidal, Kissima Doukara, Oumar Sissoko, Diby Sillas Diarra, de Tiéoulé Mamadou Konaté, Siaka Diarra et autres doivent parler. Ils doivent nous dire la vérité et que les responsables répondent de leurs actes. Vous avez dit vérité et justice non ? Nous y voila. Il faut élégamment demander aux victimes de mars 1991, ce qui s’est passé, qui a donné l’ordre de tirer sur ces pauvres femmes devant la bourse du travail ? Les coupables ne courent-ils pas toujours ?
Il faut réveiller les fantômes des pauvres 120 militaires maliens sauvagement ligotés et égorgés à Aguel Hoc. Eh oui ! On va se dire les vérités et toutes les vérités. Osons franchir ce pas. Nous rendrons service à la veuve et à l’orphelin qui ont soif de vérité. Et la vérité sur les 21 bérets rouges tués et ensevelis dans une fosse commune à Diago, et les bérets rouges tués devant l’Ortm, à l’aéroport et sur la route de Kati, et de tous ces anonymes tués ou portés disparus depuis ? De ce que ces morts nous diront jaillira certainement la vérité, cette vérité qui nous réconciliera avec nous-mêmes et nous unira enfin pour un revivre ensemble à l’image des Rwandais.
La composition de la commission en cause
La Commission va contribuer à l’instauration d’une paix durable par la recherche de la vérité, la réconciliation et la consolidation de l’unité nationale et des valeurs démocratiques. On attend d’elle qu’elle enquête sur les cas de violations graves des droits de l’homme individuelles et/ou collectives commises dans le pays, spécifiquement celles commises à l’égard des femmes et des enfants. Que c’est beau et noble comme mission, mais le problème se pose au niveau même du choix des hommes et des femmes devant conduire cette mission, car il faut l’indépendance, l’autonomie et la transparence du fonctionnement de la commission.
Or, le choix de ces 15 commissaires ne relève que du seul ministre chargé de la réconciliation et du développement des régions du nord. Déjà, nombreux observateurs pensent qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’une commission de plus et d’un bureau de placement des cadres du Rpm qui ne pourront rentrer au gouvernement. Bien sûr ! la tentation est grande, pour qui sait le traitement réservé à ces fameux commissaires. Une chose est sûre : si tous les morts doivent parler, il y aura des surprises et le régime risque de se retrouver sérieusement secoué ; les conséquences, que Dieu nous en garde. Mais puisse que les autorités ont décidé de tenter le diable, qu’elles aient le courage d’aller jusqu’au bout pour qu’il y’ait enfin la justice pour l’orphelin et la veuve.
Harber MAIGA