L’institution régionale diversifie ses opérations. Au grand dam des banquiers d’affaires, qui crient à la concurrence déloyale.
Tout récemment, la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) était mandatée par les promoteurs de la future centrale thermique ivoirienne de Songon, pour conseiller (sur les plans juridique, technique et financier) le projet, estimé à plus d’un demi-milliard d’euros. C’est peu dire que la nouvelle a enragé les banquiers d’affaires locaux. "La BOAD va accompagner les promoteurs de cette centrale dans la négociation des conventions de concession avec le gouvernement alors qu’elle est elle-même une émanation de l’État", fulmine un financier ivoirien.
Vigilant
Plus précisément, c’est la Direction des financements innovants et structurés de l’institution régionale qui est visée. Ce département, fort d’une dizaine de professionnels, avait été créé en 2010 par Abdoulaye Bio-Tchané, alors président de la Banque, notamment pour conseiller États et entreprises privées dans leurs recherches de financement. Il est aujourd’hui accusé de concurrence déloyale. D’après notre financier ivoirien, l’institution commune aux huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) outrepasse son rôle d’apporteur de fonds pour les projets de développement et marche sur les plates-bandes des banques d’affaires en intervenant aussi sur la structuration des financements. Réponse d’Ourèye Sakho Eklo, la Sénégalaise qui dirige l’entité incriminée : "Le conseil d’administration, composé des pays membres de l’UEMOA, est extrêmement vigilant. Il ne laisserait pas l’institution s’éloigner de sa vocation première, le soutien au développement des États."
Il n’empêche : les patrons de banques d’affaires s’inquiètent de la présence de la BOAD sur des dossiers qui pourraient être traités par les acteurs privés (lire ci-contre). Mais s’ils haussent le ton en coulisses, ils refusent de parler publiquement, craignant des représailles de la part de la Banque, vers laquelle ils se tournent fréquemment afin de mobiliser des fonds pour le compte de leurs clients. Parmi les autres contrats ayant suscité leur colère, celui décroché par la BOAD au Bénin en mars. Le gouvernement a confié à l’institution régionale la mission de mobiliser 800 milliards de F CFA (1,2 milliard d’euros) pour des projets d’infrastructures. "N’avons-nous pas les compétences pour prendre en main de telles affaires ?" s’énerve un banquier ouest-africain. Un autre s’interroge : "Faut-il accepter qu’une banque à capitaux publics, dont le mandat d’origine consiste à aider le secteur financier privé à se structurer, en devienne une concurrente ?"
D’après Bassary Touré, vice-président de l’institution, la mission de la fameuse Direction des financements innovants et structurés est de suppléer l’activité des banques d’affaires, selon un principe de subsidiarité. Mais pour les financiers locaux, la BOAD a très rapidement oublié son rôle. "Ses cadres se sont rendu compte qu’ils pouvaient augmenter leurs revenus en allant voir eux-mêmes les clients", affirme l’un d’eux. Interrogée, la Banque - qui a vu son accès aux ressources avantageuses des bailleurs de fonds internationaux se réduire à la suite de la crise financière mondiale - a refusé de communiquer le montant des revenus qu’elle tire de cette activité de conseil.
Sans détour
En définitive, les professionnels ouest-africains demandent une définition plus claire de la mission et des objectifs de la BOAD. Mais il n’est pas sûr qu’ils obtiennent gain de cause. La réponse de Bassary Touré est sans détour : "Plutôt que d’avoir une posture de prédatrices, les banques d’affaires devraient chercher à être plus efficaces, car il y a de la place pour tout le monde", lance-t-il.
Un sentiment confirmé par un investisseur français installé à Abidjan : "Il faut admettre que la BOAD accroît un peu la concurrence sur un marché d’Afrique francophone qui peut avoir tendance à en manquer. Donc en enlevant quelques opérations aux banques d’affaires, elle les pousse à améliorer leur offre. Par ailleurs, la BOAD fait de réels efforts pour apporter un peu d’innovation financière dans l’UEMOA." Et pour l’avocat d’affaires abidjanais Michel Brizoua-Bi, tout ceci est une mauvaise querelle : "Le client va là où il estime que le service lui convient." À bon entendeur...