Les réfugiés maliens du Burkina Faso indiquent qu’ils ont le choix entre une vie difficile dans les camps et l’insécurité dans leur pays.
Djibo, 11 mai 2014 (IRIN) - Plus d’un an après l’intervention de l’armée française qui a mis en fuite les groupes islamistes, le nord du Mali semble avoir retrouvé une certaine stabilité. Mais les réfugiés maliens du camp de Mentao, situé au Burkina Faso voisin, hésitent à rentrer à chez eux, en raison des inquiétudes en matière de sécurité et des problèmes politiques non résolus. Mais les réfugiés se plaignent que les conditions de vie se détériorent dans le camp, ce qui conduit certains d’entre eux à rentrer.
«En ce qui concerne la nourriture, l’eau et la santé, nous sommes dans une situation très difficile », a dit Almahi Ag Almouhak, qui dirige le comité du secteur Sud du camp de Mentao, situé non loin de la ville de Djibo, au nord du Burkina Faso. Le camp héberge environ 12 000 réfugiés maliens. Depuis le début des années 1990 et les insurrections qui ont entraîné une longue période d’instabilité et de violence dans le nord du Mali, la ville de Djibo est devenue un véritable sanctuaire pour les Maliens. Une nouvelle vague de migrations a débuté en janvier 2012, lorsqu’un conflit a éclaté au Mali. Le camp de Mentao a été rapidement rénové et a rouvert ses portes pour accueillir une première vague d’arrivants en février 2012.
«Autrefois, lorsque les plus pauvres d’entre nous n’avaient plus de nourriture, nous organisions des contributions pour leur venir en aide. Mais aujourd’hui, tout le monde est dans la même situation. Nous n’avons pas de marge de manœuvre. Avant, les réfugiés allaient au marché de Djibo pour faire des achats. Mais aujourd’hui, plus personne n’a d’argent », a dit M. Almouhak.
Disputes liées aux rations alimentaires
Les réfugiés évoquent d’autres problèmes : la qualité des soins de santé, la présence parfois envahissante des forces de sécurité, le manque d’occupation pour les jeunes gens. Mais la plupart des réfugiés se plaignent des rations alimentaires et affirment que les rations de riz, d’huile, de mélange de maïs et de soja, et de sel distribuées chaque mois ainsi que les paiements « complémentaires » en espèces sont insuffisants et mal planifiés.
En janvier 2014, suite à une consultation des réfugiés, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et le Programme alimentaire mondial (PAM) ont mis en place un programme de distributions de rations alimentaires et d’espèces. Les réfugiés reçoivent une allocation mensuelle d’un montant de 3 500 francs CFA (7 dollars) pour acheter des produits très demandés comme le lait, les condiments et la viande afin de compléter les rations de riz et d’autres produits reçues du PAM.
Cependant, les réfugiés du camp de Mentao (et d’autres camps) disent que le programme ne fonctionne pas et expliquent que l’argent versé pour compenser la réduction de moitié des rations de 12 kilos de riz distribuées chaque mois ne suffit pas. « Ce que nous recevons est loin d’être suffisant », a dit M. Almouhak.
«Lorsque l’on entend dire que des réfugiés repartent au Mali, ce n’est pas parce qu’ils se sentent suffisamment en sécurité pour rentrer, c’est parce qu’ils ont faim », a dit Mohamed Ag Mohamed Ibrahim, responsable du comité du secteur Sud du camp de Mentao.
Inquiétudes liées à l’insécurité
Les résidents du camp de Mentao restent méfiants malgré la tenue des élections de 2013, la démission du gouvernement de transition mis en place au Mali après le coup d’Etat, l’élection d’un nouveau président et la formation d’un nouveau parlement. Des attaques sporadiques se produisent encore dans les principales villes du nord du pays comme Tombouctou, Gao et Kidal. Les réfugiés émettent également des critiques à l’égard d’un processus de paix en apparence paralysé, sans réel dialogue entre le gouvernement et les séparatistes touaregs du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA).
« Rien ne va », a dit Daouad Ag Ghali, résident du camp de Mentao. « Pas une seule réunion entre les différentes parties [gouvernement et mouvements rebelles] n’a abouti ». Malgré tout, des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) et des réfugiés sont rentrés chez eux ; ils se sont donné le défi de recommencer une nouvelle vie, avec le soutien du gouvernement malien.
D’autres à Mentao disent que le camp sera déserté d’ici un mois si les conditions de vie ne s’améliorent pas en dépit des inquiétudes liées à la sécurité au Mali. «Certains organisent des collectes », a dit M. Almouhak. « Ils récupèreront suffisamment d’argent ensemble pour trouver un camion et partir. Bon nombre d’entre eux veulent simplement retrouver les animaux qu’ils ont confiés à leurs amis ». «La situation est telle que certains vendent les matelas sur lesquels ils dorment pour avoir un peu plus d’argent », a souligné M. Ibrahim. « Nous sommes éleveurs, mais nous n’avons pas nos animaux. C’est la pauvreté ».
Le HCR souligne que le retour spontané est un droit élémentaire pour les réfugiés et un droit auquel l’agence ne s’oppose pas, mais elle veut suivre les rapatriés et savoir comment ils s’en sortent. Les responsables des secours d’urgence et les réfugiés indiquent que des Maliens traversent la frontière avant de revenir un peu plus tard.
Le rapatriement de masse pas à l’ordre du jour
Quelles que soient les améliorations survenues dans le nord du Mali – baisse du nombre d’incidents de sécurité, implication étendue des Nations Unies, restauration graduelle de l’administration publique – le HCR a clairement indiqué que le rapatriement de masse des réfugiés n’était pas prévu pour 2014. « La situation au Mali restera fragile et ne permettra pas le rapatriement à grande échelle des réfugiés », a indiqué l’agence.
Selon le HCR et la Commission nationale burkinabé pour les réfugiés (CONAREF), le nombre de réfugiés a baissé de manière significative, passant du chiffre record de près de 50 000 réfugiés en 2012 à un peu moins de 34 000 réfugiés en février 2014. Selon les projections du HCR, il devrait y avoir environ 14 300 réfugiés maliens sur le territoire du Burkina Faso à la fin de l’année 2015.
Angèle Djohossou, représentante adjointe du HCR au Burkina Faso, a indiqué qu’un accord tripartite doit être signé par les gouvernements du Burkina Faso et du Mali et par le HCR avant qu’un programme de rapatriement ne soit mis en œuvre. Le HCR et ses partenaires ont admis avec tristesse que le niveau de services à Mentao et dans d’autres camps est menacé en raison des coupes budgétaires et d’un manque perçu d’intérêt de la part des bailleurs de fonds, ce qui renforce le sentiment d’abandon ressenti par les réfugiés.
Les conditions de vie spartiates entraînent des frustrations
Mme Djohossou prévient que « la situation au Mali n’a pas reçu le niveau de financement qu’elle mérite », l’attention des bailleurs de fonds s’étant portée sur d’autres priorités, par exemple en République centrafricaine, au Soudan du Sud et en Syrie.
Le budget consacré par le HCR aux opérations relatives aux réfugiés au Burkina Faso en 2014 s’élève à 25,7 millions de dollars contre 32,8 millions de dollars en 2013 ; cette baisse est due au retour attendu de 5 000 réfugiés. Mme Djohossou indique que les fonds alloués pour le Mali en 2013 étaient inférieurs de 50 pour cent à ce qu’ils auraient dû être, et le HCR est confronté à des contraintes similaires en 2014. Le budget est ventilé entre 30 différentes catégories, couvrant la totalité des opérations, de la fourniture de l’eau à la mobilisation des bailleurs de fonds.
Certains domaines tels la protection des enfants et l’éducation sont prioritaires en matière d’allocation budgétaire, mais des manques sont prévus dans d’autres domaines. Par exemple, Mme Djohossou indique que l’agence n’a pas pu suivre les 25 pour cent de réfugiés installés à l’extérieur des principaux camps consolidés avec l’efficacité souhaitée, en raison des contraintes budgétaires.
« Les bailleurs de fonds ont besoin de comprendre le message », a dit un haut représentant d’une organisation non gouvernementale (ONG) présent à Mentao, sous couvert d’anonymat. « Nous avons beaucoup de missions ici, ce qui est encourageant pour nous et pour les réfugiés, mais les bailleurs de fonds doivent comprendre que rien n’a changé ici. Si les fonds ne sont pas là, que vont manger les réfugiés ? ». «Si un réfugié doit payer ses frais d’hôpital, comment va-t-il faire ? S’ils veulent de l’eau, comment s’approvisionneront-ils?».