L’unique cinéaste africain en compétition pour la palme d’Or du 67e Festival de Cannes monte les marches ce jeudi. Le Mauritanien Abderrahmane Sissako présente "Timbuktu", une satire au vitriol des terroristes islamistes qui ont occupé le Nord du Mali.
Tombouctou, dans le Nord du Mali, est une ville assiégée… par les djihadistes. Leur drapeau noir et leurs tirs troublent le quotidien et le calme paisible de cette grande ville du Sahel. Les terroristes imposent leur vision de l’islam à des hommes et des femmes qui le pratiquent pourtant depuis des siècles. Musique, football, cigarettes… tout est désormais interdit. Mais surtout, le voile magnifique des femmes du désert est remplacé par un hideux hijab noir et les gants assortis. « Porter des gants pour vendre du poisson ? », s’insurge une jeune femme au marché à qui la police islamique commande d’arborer patte blanche en montrant ses gants noirs.
Les dés sont jetés. Les islamistes qui règnent à Tombouctou sont malheureusement des farfelus armés, hypocrites - le personnage du chef islamiste Abdelkrim interprété par Abel Jafri en est l’incarnation parfaite - qui cèdent à leurs propres démons pendant qu’ils contraignent les autres à respecter les stricts préceptes d’un islam réinterprété alors qu’il est pacifique, singulièrement dans ces contrées, respectueux de la vie humaine, et du droit des femmes en particulier. A Tombouctou, la charia s’applique à la lettre : on juge vite, on fouette quand on ne lapide pas. Pour fuir cette ambiance nauséeuse, Kidane (Ibrahim Ahmed, dit Pino) a emmené sa femme Satima (Toulou Kiki) et sa fille Toya (Layla Walet Mohamed) dans les dunes. Mais le destin n’a pas encore dit son dernier mot.
Le calvaire de "Timbuktu"
Huit ans après Bamako (2006), c’est un autre plaidoyer que le cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako, seul Africain est en lice pour la palme d’Or, livre au Festival de Cannes où son film "Timbuktu " . Le terrorisme islamiste est réduit à son absurdité absolue, à travers le quotidien de d’individus qui résistent, de leurs bourreaux embrigadés ou convaincus pour certains, versets du coran à l’appui du bien-fondé, de leur action. Le cinéaste mauritanien a un don inné pour filmer les paysages désertiques. Ses films précédents en sont la preuve, notamment Heremakono ("En attendant le bonheur") présenté à un certain regard en 2002. L’époustouflante beauté des lieux rendue par la magnifique photographie de Sofiane El Fani (qui a signé celle de "La Vie d’Adèle, Chapitres 1&2" d’Abdellatif Kechiche, palme d’Or 2013) contraste avec la violence permanente dont fait l’objet Tombouctou et ses habitants. La langueur qui caractérise la vie dans le désert sert la dramaturgie du film. L’atmosphère y est souvent lourde. Avec l’amour qui unit le couple Kidane - Satima et celui que les parents éprouvent pour leur fille, l’humour devient un nécessaire exutoire. Une sorte d’intermède que s’octroie une mise en scène qui frise à certains moments le génial. La scène qui oppose Kidane, l’éleveur, au pêcheur Amadou est à cet égard remarquable.
"Timbuktu", immanquablement un film à messages, qui souffre parfois de l’envie de traduire de façon exhaustive la souffrance des Maliens et des communautés qui composent ce grand pays sahélien. Cependant, sa teneur prime au moment où le Nord-Mali reste menacé par des islamistes venus de toutes les parties du monde. Ce que raconte "Timbuktu" n’est autre que des faits résumés par la fiction afin, surtout pour Abderrahmane Sissako, qu’ils ne passent plus jamais inaperçus. C’est la lapidation d’un couple non marié qui a eu deux enfants à Aguelhok (nord du Mali) qui a inspiré le cinéaste, regrettant le silence des médias sur le drame.
Le terrorisme islamiste se répand dans l’Ouest de l’Afrique, depuis la fin de la guerre en Libye pour le Mali, et est une constante au Nigeria à cause des actions de la secte Boko Haram qui détient depuis plusieurs semaines plus de 200 lycéennes nigérianes. Dans Timbuktu, le ridicule tue les djihadistes pour libérer "la ville aux 333 saints" de ces vrais faux impies. A l’instar de Tombouctou, tombée aux mains d’Al Qaida en avril 2012, pour dix mois plus tard jouir de sa liberté retrouvée.