Il souffle un vent de guerre sur le festival de Cannes: de l'Ukraine à la Syrie, du Mali à la Tchétchénie, les conflits ayant secoué le globe ces dernières années ont inspiré plusieurs cinéastes, qui traduisent chacun à leur manière la sanglante réalité.
La compétition officielle a démarré jeudi avec un film émouvant sur l'islam intransigeant imposé aux Maliens par les jihadistes.
"Timbuktu", du Mauritanien Abderrahmane Sissako, est basé sur des faits réels : Tombouctou a bien été occupé pendant près d'un an en 2012 par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et Ansar Dine (Défenseurs de l'islam), qui pratiquaient humiliations, amputations et coups de fouet avant d'être délogés par l'armée française début 2013.
C'est la lapidation d'un couple non marié dans un village du nord du Mali qui a décidé le réalisateur à écrire "Timbuktu". Parti au départ sur l'idée d'un documentaire, Sissako s'est ravisé.
"On était dans une dynamique urgente, or le documentaire s'accepte facilement, il est peu cher", explique-t-il à l'AFP. "Mais j'ai compris qu'un documentaire tourné à Tombouctou allait donner la parole aux jihadistes. En plus, comme il n'était pas possible de faire des interviews d'habitants sans leur présence armée, la parole aurait été fausse", fait valoir le cinéaste, qui a tourné sa fiction dans la ville-oasis mauritanienne de Oualata.
Le film contient peu de scènes brutales et recèle quelques joyaux comiques. "Il y a une peur de montrer la violence, de choisir la facilité. J'aurais pu couper des mains. mais ce n'est pas parce que c'est la réalité que le cinéma doit s'en emparer, on risque la banalisation", estime le réalisateur, dont le film est un hommage à "celles et ceux qui ont vécu un combat silencieux, qui chantaient dans leur tête une musique qu'on leur avait interdite, ou qui jouaient au foot sans ballon."
- 'Acte de résistance' -
Le parti pris est tout autre dans le documentaire sur la Syrie élaboré par le cinéaste Ossama Mohammed, "Eau argentée : Syrie autoportrait", qui a bouleversé Cannes. Un frappant montage d'images amateur glanées sur Youtube et de vidéos tournées par une habitante de la ville assiégée de Homs, Simav.
Là-bas, filmer est un "acte de résistance" contre un régime animé du désir de "détruire pas seulement votre corps mais aussi votre histoire", affirme à l'AFP Ossama Mohammed, en rappelant que "depuis le début, le conflit syrien a été une révolution d'images".
Foules désarmées ciblées par les tirs, cadavres abandonnés dans la rue, enfants morts, scènes de torture... "Au départ, je ne savais pas que les images allaient être aussi atroces, montrer autant de tueries. Mais il est impossible de raconter cette histoire en faisant l'impasse là-dessus. Au nom de la vérité", souligne le cinéaste exilé en France depuis 2011.
Sa motivation: donner la parole aux victimes anonymes de cette guerre barbare, qui a déjà fait plus de 150.000 morts.Autre terrain, même volonté de témoigner : le réalisateur ukrainien Sergei Loznitsa a filmé de novembre à mars la place centrale de Kiev, Maïdan, centre névralgique de la révolte populaire qui a fait chuter le président Ianoukovitch en février.
"Avec +Maïdan+, c'était la première fois dans ma carrière que je suivais les événements de la vraie vie au jour le jour", à la manière d'un journaliste, explique dans une note d'intention le cinéaste, déjà venu deux fois à Cannes ("My joy", en 2010, "Dans la brume" en 2012).
L'atmosphère euphorique, pacifique et bon enfant des débuts ne dure qu'un temps : à partir de janvier, la police tire sur la foule, le sang des manifestants coule, la place est en état de siège.
Les images, plans fixes et prises longues, sans commentaire, téléportent pendant deux heures le public au coeur de Kiev.
"Mon objectif est de faire venir le spectateur à Maïdan et de lui faire vivre 90 jours de révolution", souligne le réalisateur.
Cannes n'en a pas terminé avec le feu et le sang. Michel Hazanavicius ("The artist") présentera mercredi en compétition officielle "The search", sur le conflit tchétchène de 1999.