Trop d’impératifs attendent le nouveau gouvernement malien. Le cabinet « d’union nationale », exigé par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), marque ainsi le retour de la classe politique malienne au gouvernement. Après des mois d’agitation, le mont Koulouba aura finalement accouché d’une équipe composée d’éléments proches du président Dioncounda Traoré, des fidèles du Premier ministre reconduit, Cheick Modibo Diarra et des partisans de l’incontournable capitaine Sanogo. Aux technocrates auraient donc succédé des gens considérés comme représentatifs des différentes composantes sociales et des divers courants politiques du Mali. Il faut leur souhaiter du bon car les nuages sont encore sombres. La question se pose en effet de savoir en quoi ce nouveau gouvernement est inclusif. Selon les premières informations, son ossature est à l’image du Premier ministre Diarra. D’abord ciblé comme partant, celui-ci a donc repris du poil de la bête. Comme pour montrer qu’il est resté acteur et non spectateur lors de la formation de la nouvelle équipe, le chef du gouvernement malien s’est lui-même rendu au siège de l’Office de la Radio-Télévision du Mali (ORTM) pour remettre la liste du nouveau gouvernement aux journalistes. L’astro-physicien Diarra a donc renforcé sa position. A preuve, il conserve dans la nouvelle équipe 18 anciens ministres. Parmi les nouveaux venus, il y a quatre femmes. La crise semble avoir inspiré, dans un pays où plus de 90% de la population sont de confession musulmane : on a créé un ministère des Affaires religieuses et du Culte. De plus, un Touareg a fait son entrée dans la nouvelle équipe comme ministre de l’Artisanat et du Tourisme. Certains éléments faisaient-ils ombrage à quelqu’un ou leur présence dérangeait-elle ? En tout cas, hormis le fait d’être promu à un poste d’importance, le limogeage du journaliste, Hamadoun Touré, étonne. Avant sa nomination comme ministre de la Communication, il officiait comme chargé de la communication au sein de la mission des Nations unies en Côte d’Ivoire. Cela, après avoir servi au même poste en RDCongo. L’homme dispose donc d’un capital précieux en communication de crise. D’ailleurs, à Bamako, on dit retenir de lui l’image du ministre de la Communication qui, probablement, dans l’histoire du Mali, et comme titulaire de ce poste, a produit le plus de communiqués en un temps record, crise du Nord oblige. Il y a aussi le cas du ministre des Affaires étrangères, Sadio Lamine Sow. L’homme qui a été remercié était précédemment un conseiller du médiateur burkinabè. Comment Blaise Compaoré et ses proches prendront-ils cette sortie de l’ancien sherpa du président Compaoré ? Et dans quelle ambiance vont se poursuivre les négociations avec les différents camps en présence ? La médiation burkinabè et la CEDEAO n’ayant jamais été ménagées durant l’évolution de la crise par des acteurs politiques maliens et pas des moindres, comment donc interpréter le fait d’avoir retiré à Sadio Lamine Sow les rênes de chef de la diplomatie malienne ?
S’agirait-il d’un désaveu ? Sinon, pourquoi ne lui avoir pas trouvé un autre maroquin ? Si ce n’est un camouflet, il est au moins sûr que le chef d’Etat burkinabè vient de perdre un grand privilège : celui d’avoir au sein du gouvernement malien tant attendu, l’homme qui passait pour être ses yeux et ses oreilles. Les acteurs politiques maliens seraient-ils devenus fébriles au point d’écarter quiconque pourrait servir de « taupe » au médiateur de la CEDEAO ou de la communauté internationale ? L’avenir dira quel sort a été réservé à MM. Touré et Sow. En tout cas, le nouveau patron de la diplomatie malienne s’appelle Tiéman Coulibaly. Son parti est membre du Front pour la démocratie et la République, front anti-putsch. Le discours souverainiste et plein de fierté ressassé ces derniers mois ne laissait guère de doute : il y a comme un repli sur soi, un savant dosage qui voudrait signifier que les nouvelles autorités maliennes entendent s’assumer. L’agression islamiste du nord a blessé leur orgueil et mis à nu leur dignité. Elles entendent donc relever le défi. Le vrai boulot va peut-être enfin commencer. Mais il faudrait se garder de tout aventurisme. La nouvelle équipe doit s’attaquer à deux priorités : la reconquête du Nord où les islamistes renforcent progressivement leurs positions et l’organisation d’élections libres sur tout le territoire national. Même si le nombre de ministres n’a pas été réduit, il faut saluer l’effort déployé pour ne pas mettre en place un gouvernement pléthorique. Car, ce n’est pas chose facile en Afrique où on a l’habitude des gouvernements de crise. L’essentiel ici, c’est de ne pas avoir le sentiment qu’on aura perdu du temps pour rien. Or, si la nouvelle situation fait jubiler certains, l’attelage mis en place ne rend pas moins perplexe. Après avoir tout fait pour parvenir à leurs fins, les acteurs politiques maliens doivent éviter de réanimer de sitôt la flamme de la politique politicienne. Celle-ci est sans doute à l’origine de cet accouchement long, lent et difficile. Mais question : l’entrée d’un Touareg et la création d’un ministère chargé du culte et des problèmes religieux suffiront-elles à atténuer l’ardeur des islamistes déchaînés dans le Nord-Mali ? En tout cas, on attend de voir comment ils réagiront suite à la formation de ce gouvernement d’union nationale. De même, la réaction des bailleurs de fonds et de la CEDEAO est fort attendue. Comment la classe politique malienne qui nous a habitués ces derniers mois à un discours de légitime fierté s’organisera-t-elle pour affronter un ennemi que tout le monde sait redoutable ? Combien de temps cela durera-t-il et jusqu’où se manifestera le besoin d’un réel soutien des autres pays ouest-africains et de la communauté internationale ? La logistique fait cruellement défaut et l’expertise étrangère est bien plus nécessaire qu’on ne veuille l’admettre par orgueil.
Certains en ont peut-être assez de prendre le thé vert à Bamako. Toutefois, ce ne sera pas une partie de plaisir que d’aller manger le mouton de la Tabaski, la dinde de Noël ou du Nouvel An à Tessalit. Plus que des mots, il faudra autre chose pour parvenir à arracher les populations martyrisées du Nord des griffes acérées des groupes islamistes. Ces derniers, en dépit de leurs vociférations, ne sont pas invincibles. Au front donc !