Contrairement à la glorieuse victoire annoncée, le triste et désormais célèbre épisode de Kidal se sera conclu par une flétrissure nationale, dont on aurait pu se passer si seulement la raison avait prévalu et si la question avait été abordée avec un peu plus de responsabilité. Au lieu de quoi, les déboires se sont superposés, ont tourné en ridicule tout une nation et mis en exergue des défaillances inquiétantes de la chaine régalienne.
Une motivation d’essence populiste
«Un humiliant cessez-le-feu!». C’est en ces termes moqueurs que certains observateurs, sarcastiques, parlent de la tragédie malienne, qui vient de déboucher sur un accord entre le pouvoir central de Bamako et les différents mouvements armés de la région de Kidal. La signature dudit accord, intervenu vendredi, le 23 Mai dernier, sous la houlette du président en exercice de l’Union africaine, le mauritanien Abdel Aziz, est consécutive aux brusques évolutions qu’a connues la situation dans cette région, suite à la visite du Premier ministre, Moussa Mara.
Après un accueil plutôt convivial à Tombouctou et Gao, le chef du gouvernement pouvait difficilement s’accommoder de terminer cette visite septentrionale sur une saveur d’inachevé. En dépit donc des hostilités déclenchées par l’annonce de son passage dans l’Adrar, Moussa Mara, assez jeune pour n’avoir cure de perdre d’un seul coup le gain de toute une partie, a décidé de franchir la montagne kidaloise par les marches les plus périlleuses qui soient.
Non satisfait d’un premier carnage provoqué aux dépens de fonctionnaires civils et militaires sollicités par ses propres soins, il contraint les forces armées et de sécurité à une guerre improvisée, au nom des promesses d’une riposte immédiate aux perturbations ainsi qu’aux conséquences dramatiques de son passage dans cette ville.
Pour les besoins de la cause, 1500 hommes ont été ainsi mobilisés et positionnés pour renforcer le petit contingent éprouvé par des pertes énormes pendant les premiers affrontements. La publication de ces chiffres avait été faite par le Pm en personne, qui a visiblement choisi de donner une dimension théâtrale et trop médiatique à sa démarche, là où la règle martiale d’usage exige plus de discrétion dans le cas d’espèce. Qui plus est, au mépris des familles meurtries par la mort de proches parents emportés par la visite, il fallait pousser l’élan populiste jusqu’à l’audace d’un retour triomphal à l’aéroport de Sénou.
Mais, quoique l’opinion ait été parallèlement ameutée par des accusations ouvertes les forces Serval et Minusma, les partenaires internationaux du Mali sont demeurés collés au credo du dialogue en exigeant des mouvements armés (Mnla, Hcua et Maa) l’abandon immédiat des positions conquises.
C’est dans ces entrefaites qu’est intervenue l’initiative belliqueuse du Pm qui, pour toute explication, a justifié son action par un très hypothétique dénouement de la situation en 8e région du Mali. «Il fallait une situation comme cela pour débloquer la crise», a-t-il expliqué, lors de sa conférence tenue à Gao à son retour de l’épisode dramatique de Kidal.
Le grand gâchis
Mais, à vouloir ainsi trancher le nœud gordien, Moussa Mara a sans doute risqué et commis l’irréparable là où la clairvoyance ait un sens plus aigu de l’Etat auraient pu épargner à la nation une flétrissure grevée par la perte des positions antérieures de l’armée, le retrait forcé de l’administration des localités occupées, ainsi qu’un soudain retour au phénomène de réfugiés et déplacés de guerre estimés à des milliers déjà par les organismes humanitaires.
S’y ajoute également l’abandon d’un matériel de guerre conséquent entre les mains de l’ennemi, qui l’a énuméré, sans être en tout cas démenti, comme suit : 50 véhicules 4X4 flambant neufs offerts l’Ue, une dizaine de camions de transport de troupes et de matériel, plusieurs chars Brvm, sans compter les autres armes et munitions récupérées dans les casernes abandonnées par l’armée régulière.
Pour ce qui est du bilan humain, la même source a fait le décompte, lors d’une conférence de presse à Ougagdougou où siège le Mnla, d’une centaine de prisonniers détenus par les groupes armés sans être plus précis sur le nombre de soldats tués par la même occasion.
On peut noter tout simplement que les troupes déployées sur le théâtre de Kidal appartiennent majoritairement à la vague de nouvelles recrues dans une armée en pleine restructuration depuis la débâcle de 2012. Autant dire que de pauvres jeunes gens, sans aucune expérience du terrain, ont été sacrifiés dans le bourbier de l’Adrar face à des narco-jihadistes. C’est le qualificatif utilisés par les officiels maliens eux-mêmes, qui ne se rendent pas compte de la gravité de livrer des recrues à des ennemis aussi dangereux.
En effet, reconnaître que l’armée régulière avait affaire à des jihadistes que la France n’a combattus que par intervention aérienne, c’est admettre pour le moins que les autorités se sont aventurées sans mesurer la puissance de l’ennemi.
Comble d’irresponsabilité !
Quoi qu’il en soit, le passage en force à Kidal aura causé plus de gâchis qu’il n’a produit de retombées. La démarche, visiblement plus motivée par des visées populistes et des calculs politiciens sous-jacents, nous a ôté bien plus cher que des vies humaines et un investissement considérable dans le secteur de la défense : notre dignité et le sens de la gratitude envers ceux qui, dans un passé encore récent dans les mémoires, étaient magnifiés comme les sauveurs du pays dans son combat contre l’envahisseur.
A qui imputer la dérive ? Difficile de le savoir, tant l’insuccès est comme toujours orphelin. Au grand dam de la solidarité gouvernementale érigée en principe dogmatique de l’équipe Moussa Mara, les différents responsables se débinent, refusent de s’assumer quand ils ne se rejettent tacitement la faute.
Après la débandade des troupes à Kidal, celle de l’autorité Bamako a d’abord commencé par la tête du gouvernement lui-même. Intervenant sur la question au lendemain du second épisode dramatique de Kidal, le Premier ministre a confié aux journalistes à la Primature que la décision d’attaquer les positions adverses n’émanait pas de l’autorité politique et le gouvernement se demandait d’où venait l’instruction. Un jour auparavant, le ton avait été déjà donné dans un communiqué du gouvernement rendu public par son porte-parole, lequel document fait état d’enquêtes en cours pour déterminer les réelles causes de la déconvenue. Ce fut plus tard au tour du chef de l’Etat, chef suprême des armées de revenir là-dessus avec le même son de cloche. L’autorité politique n’a pas donné instruction de déclencher les hostilités à Kidal, quand bien même il avait deux jours auparavant relevé un sens élevé de l’Etat chez son Premier ministre pour avoir franchi le Rubicon et exhorté les forces armées à une riposte appropriée à la témérité de l’adversaire.
Nonobstant, la tendance est visiblement à la responsabilisation de la haute hiérarchie militaire avec toutes ses implications possibles : le risque d’un dangereux malaise dans la chaîne décisionnelle de l’armée.
En définitive, en moins d’une semaine, les successeurs d’ATT ont enchaîné l’ensemble des fautes qu’on reproche à l’ancien président accusé de haute trahison essentiellement pour n’avoir pas su résoudre les équations militaires qui se sont posées à lui-même à quelques encablures de la fin de son règne.
Quelle leçon d’humilité !
A. KéïTA