Les affrontements des 17 et 21 mai à Kidal entre des groupes armés, dont le MNLA, et l’armée malienne ont fait une cinquantaine de morts dans les rangs de cette dernière. Laurent Touchard* revient sur les causes profondes de ce déferlement de violences.
* Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et l’histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l’université Johns-Hopkins, aux États-Unis.
Le 21 mai 2014, les Forces armées maliennes (Fama) passent à l’offensive à Kidal. Après quelques heures de combat, elles sont contraintes de battre en retraite... Quelles sont les circonstances qui ont conduit à cette intervention ? Quels enjeux, quelles rivalités se cachent derrière l’opération ratée ? Par ailleurs, qui est responsable de ce fiasco ? Après la dimension politico-diplomatico-militaire de ce billet, nous aborderons, dans le prochain, la problématique des Fama aujourd’hui : réorganisation, "bataillons EUTM", considérations opérationnelles...
"Drôle de guerre" au nord : Fama, Minsuma, Serval, MNLA, HCUA, MAA, Mujao, Aqmi...
Premier déploiement d’ampleur des Fama après la reconquête du début 2013 : le 5 juin 2013. L’armée y reprend alors le contrôle d’Anéfis. Elle avance ensuite en direction de Kidal. Beaucoup - comme le président burkinabé - estiment la démarche prématurée, susceptible de nuire aux discussions en cours avec les rebelles. C’est toutefois la politique du fait accompli qui prime. Péniblement, un accord est conclu à Ougadougou. Il enclenche ce qui doit être des négociations entre Bamako et les insurgés "modérés". Cependant, sur le terrain, c’est une véritable "drôle de guerre" qui prévaut. Fama et rebelles (MNLA, Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad [HCUA], Mouvement Arabe de l’Azawad [MAA]) se regardent en chiens de faïence. Entre les deux s’interpose la Minusma, tandis que les éléments français de Serval traquent les terrobandits...
Sur place, les forces maliennes participent aux patrouilles menées dans cette zone sensible qu’est le nord du Mali. Actions qui leur permettent de s’aguerrir, de mettre en pratique ce qu’elles ont appris. À commencer par le respect des droits de l’homme face à l’hostilité d’habitants manipulés. Même si les jihadistes du Mujao ne font quasiment plus les gros titres, il n’a pas disparu. Pas plus que les petits groupes dispersés d’Aqmi. Ils savent se terrer lorsqu’ils y sont contraints. Cette passivité contrainte plus que patience calculée ne les empêche pas d’attendre leur heure, lorsqu’ils en ont l’opportunité. Attitude qui contribue à leur garantir une bonne résilience.
Conflit larvé sur le terrain, guerre des chefs à Bamako
En toile de fond, il y a aussi l’affrontement larvé de deux responsables du gouvernement malien : le Premier ministre, Moussa Mara, et le ministre de la Défense, Soumeylou Boubèye Maïga. Lors de sa déclaration de politique générale à l’Assemblée Nationale, Moussa Mara explique judicieusement que la solution au nord est d’ordre politique et non militaire. Il précise néanmoins qu’il importe d’"établir une frontière nette entre ceux qui s’inscrivent dans la paix et la réconciliation nationale et ceux qui demeurent des terroristes, narco-trafiquants et adeptes des pratiques néfastes à combattre inlassablement et de manière implacable. "
Il souligne enfin – toujours très sagement - qu’il est crucial de rétablir l’autorité de Bamako via la restauration d’une administration. Enfin, il s’affirme en champion de la souveraineté nationale : "Faisons en sorte que plus jamais le Mali n’ait besoin de quelqu’un d’autre pour se protéger, se défendre et assurer sa sécurité ! " S’il se dit prêt à travailler avec la Minusma, ses propos résonnent évidemment comme une critique à peine masquée de la présence de l’EUTM et de la France via le dispositif Serval.
Le discours du ministre de la Défense est tout autre. Celui-ci prône la signature sans tarder de l’accord de défense franco-malien. Accord que voteront - ou non - les députés. La position de Soumeylou Boubèye Maïga apparaît donc comme à l’opposé de celle de Moussa Mara. Or, cette position est également celle du président, Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK). Lui aussi y est favorable...
Posture difficile car les détracteurs du projet ne manquent, arguant que le traité serait l’expression d’un retour en arrière, une menace pour la souveraineté malienne, une forme de colonialisme rampant... Cependant, IBK et son ministre de la Défense l’ont bien compris : que vaut la souveraineté d’un pays si celui-ci ne dispose pas d’un outil militaire suffisamment affûté pour la garantir alors que les facteurs d’insécurité, eux, sont robustes ?