S’il est évident que le départ du ministre Soumeylou Boubèye Maïga du gouvernement est hautement lié aux derniers événements de Kidal, il est tout aussi probable que ce clash entre le chef de l’Etat et le plus politique des membres de l’équipe gouvernementale aura des conséquences sur le pouvoir d’IBK.
Plus que le grand stratège, fin connaisseur des questions de défense et ex-patron des services de renseignements du Mali, c’est aussi et surtout l’homme politique, le président de l’Alliance pour la solidarité au Mali- Coordination des forces patriotiques (ASMA-CFP), une formation politique qui compte quatre députés à l’Assemblée nationale et en nette progression sur l’échiquier national, qui vient de claquer la porte du gouvernement Moussa Mara. Un de ses proches nous confiait hier, à l’Hémicycle : « Cet acte aura sûrement des effets d’entraînement au plan politique. Lesquels ? Je ne saurais le dire pour le moment « .
D’abord, il faut rappeler que le parti de Soumeylou Boubèye Maïga s’est, dans le cadre des élections législatives, beaucoup battu pour obtenir au moins cinq députés en vue de constituer son groupe parlementaire. Mais le parti n’a finalement eu à son compteur que quatre élus dont deux élus à Macina (Aboubacar Bah et Lassana Koné), un à Kayes (Modibo Sogoré, transfuge du PDES) et un autre à Bankass (Idrissa Sankaré), non moins président de la Commission lois de l’Assemblée nationale et Secrétaire chargé des questions électorales du parti.
«Alliés à IBK et non au RPM»
Avec la revue à la hausse du nombre de députés pour former un groupe parlementaire (de 5 à 10), les quatre députés ASMA se sont montré réticents à intégrer le groupe APM, redoutant une perte totale de leur identité. Ils ont alors tenté de former un groupe autonome (à l’image de l’ADEMA et de FARE-SADI) avec les 5 députés de la CODEM et le député de Douentza, Ilias Goro. Mais, ils en ont rapidement été dissuadés par des cadres du RPM. Et leur président, le ministre Boubèye, a entériné cette position en prenant soin d’insister sur son discours favori : « Nous sommes alliés à IBK et non au RPM ! ». Comme pour dire qu’aucune attitude du RPM ne pouvait pousser son parti à quitter la coalition de soutien au chef de l’Etat. Sauf celle du locataire de Koulouba lui-même.
Aujourd’hui, la gestion faite des derniers événements de Kidal et cette démission du ministre de la Défense peuvent-elles être interprétées comme une volonté d’IBK de lâcher Boubèye ? Cette brouille (c’est un euphémisme) scelle-t-elle un divorce entre les deux hommes ? Rien n’est moins sûr. Ce qui l’est en revanche, c’est que Boubèye apparaît comme une tête brulée dans la sphère politique nationale, un véritable dur à cuire au sein du pouvoir d’IBK.
La majorité présidentielle à l’épreuve
L’homme avait été pressenti un moment comme Premier ministre avant la nomination d’Oumar Tatam Ly Faut-il rappeler que Soumeylou est l’ancien 4ème vice-président de l’ADEMA et candidat malheureux à la présidentielle de 2007, candidat aux primaires de l’ADEMA pour la présidentielle de 2013, avant de quitter avec fracas ce parti pour créer l’ASMA et soutenir le candidat IBK ? Par ailleurs, il est de notoriété publique que le parti de Soumeylou Boubèye Maïga a fait un progrès fulgurant en terme d’implantation, avec dit-on, un important ralliement d’élus locaux venant d’autres formations politiques. Ce qui pousse certains analystes à classer l’ASMA-CFP comme le deuxième plus important allié politique du RPM, après la CODEM (5 députés) au sein du groupe parlementaire Alliance pour le Mali (APM).
Ce rappel pour expliquer que ce qui apparaît désormais comme un clash entre le duo IBK-Mara et Soumeylou Boubèye Maïga va impacter certainement sur le fonctionnement de la majorité présidentielle. L’ASMA-CFP a deux alternatives : conforter sa logique de s’affranchir vis-à-vis du parti présidentiel en quittant l’APM ou au pire des cas virer à l’opposition.
Dans le premier cas, l’ASMA-CFP peut d’abord opter pour le renforcement des non-inscrits à l’Assemblée nationale avant de démarcher éventuellement des députés en vue de constituer un nouveau groupe parlementaire. Vu les frustrations de plusieurs alliés politiques du RPM à Bagadadji, cette option doit être prise au sérieux. Mais, si le clash entre IBK et Boubèye est très profond, le président de l’ASMA peut, après concertations avec ses principaux lieutenants, décider carrément de quitter la majorité présidentielle pour animer l’opposition. Ce qui sera un coup dur pour le pouvoir d’Ibrahim Boubacar Kéita.
Gageons que le contexte de fragilité politico-institutionnelle dans lequel le Mali vit actuellement n’en ressentira aucun… coup.
Bruno Djito SEGBEDJI