La communauté internationale sous-estime la menace que représentent les djihadistes retranchés dans l’extrême nord du Mali aux mains des séparatistes touaregs, estime le Premier ministre Moussa Mara.
Le chef du gouvernement s’est personnellement rendu en mai à Kidal, principal fief touareg du Nord, et sa visite a donné lieu à des affrontements qui ont fait huit morts dans les rangs des forces gouvernementales.
L’armée a ensuite lancé une offensive repoussée par les séparatistes, qui se sont ensuite emparés d’autres localités de la région, ce qui a mis en péril les difficiles négociations qu’ils ont entamées avec Bamako.
Selon le Premier ministre, des djihadistes étaient dans les rangs des mouvements armés qui ont pris Kidal le mois dernier.
"La communauté internationale n’accorde pas l’importance qu’elle mérite à la menace djihadiste de Kidal. En ce moment-même, des djihadistes se trouvent à Kidal. Ils sont même arrivés avant moi", a-t-il déclaré à Reuters, interrogé dans ses bureaux de la capitale.
Après le coup d’Etat du 22 mars 2012 contre le président Amadou Toumani Touré, les séparatistes touaregs ont infligé une sévère défaite aux putschistes avant d’être eux-mêmes débordés par leurs alliés djihadistes, dont la progression vers Bamako a provoqué l’intervention de l’armée française en janvier 2013.
Une fois les islamistes chassés, les Touaregs ont été autorisés à conserver le contrôle de Kidal, malgré l’hostilité du nouveau chef de l’Etat, Ibrahim Boubacar Keita.
L’OCCIDENT AU DÎNER
Les trois principaux mouvements séparatistes - le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) et le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) - nient tout lien avec les islamistes, mais le Premier ministre est convaincu que ces derniers vont reprendre le dessus comme ils l’ont fait en 2012.
"Pour les djihadistes, il y aura le MNLA au petit-déjeuner, le Mali au déjeuner et l’Occident au dîner", ironise-t-il.
Après cinq jours de discussions à Alger, les trois mouvements séparatistes ont signé lundi une déclaration dans laquelle ils s’engagent à respecter le cessez-le-feu conclu le 23 mai sous l’égide de l’Union africaine après les combats de Kidal et à poursuivre leurs discussions avec Bamako.
La France s’est félicitée de cette déclaration mais Moussa Mara redoute que la présence de djihadistes dans les rangs séparatistes ne voue tout accord de paix à l’échec.
"Si nous accordons davantage de ressources et de pouvoirs à la région de Kidal et qu’ils élisent un djihadiste à la tête de la ville, cela voudrait dire que nous avons cédé notre territoire aux djihadistes, et de façon démocratique. C’est ce que nous voulons éviter", dit le Premier ministre.
L’absence de délimitation claire entre mouvements islamistes et séparatistes, dont les membres passent de l’un à l’autre au gré de leurs objectifs politiques et militaires, pose par ailleurs un problème d’envergure, poursuit-il.
"Ils ont les mêmes intérêts quand leur adversaire est l’armée malienne. C’est quand on les laisse face à eux mêmes que les divergences apparaissent", ajoute-t-il. (Avec John Irish à Paris et Emma Farge à Dakar, Jean-Philippe Lefief pour le service français)