Le président de l’Union des patriotes pour la République (Urp) se réclame de la majorité présidentielle, mais quand il s’agit d’évoquer des questions d’intérêt national, Dr Modibo Soumaré, n’a pas la langue de bois. En témoigne cette interview qu’il a accordée à L’Aube. Et dans laquelle il se prononce sur des sujets brûlants qui émaillent la vie politique nationale ces derniers mois.
Pour Dr Soumaré, si le Premier ministre est l’initiateur de sa visite à Kidal, alors, il est le seul responsable de ce qui s’est passé là-bas entre le 17 et le 21 mai et qui fait couler aujourd’hui beaucoup d’encre et de salive. A l’endroit du président IBK, notre interlocuteur ne porte pas non plus de gants : il qualifie notamment sa gestion de neuf mois agités, tout appelant à rassembler l’ensemble de la classe politique autour du gouvernement pour sauver les meubles. Exclusif !
L’Aube : Qui est responsable, selon vous, de ce qui s’est passé à Kidal entre le 17 et le 21 mai derniers?
Dr Modibo Soumaré : C’est le Premier ministre qui doit certainement nous dire qui est à l’origine de l’initiative de sa visite à Kidal. Si c’est lui-même, alors c’est lui le responsable.
Selon les dires du Premier ministre, la visite a été organisée et préparée, mais vu le filme des événements sur place à Kidal, tout porte à croire que tel n’était pas le cas. Dès lors, peut-on rendre les organisateurs responsables de ce qui est arrivé ?
Au-delà, c’est la non récupération de Kidal jusque-là qui nous vaut cette situation.
Avec la débandade de l’armée le 21 mai, le dialogue semble s’imposer au gouvernement et aux groupes armés. Quels doivent être les termes des négociations : sur quoi et avec qui négocier?
Le dialogue s’imposait depuis le début. Nous savons que, quels que soient les crépitements des armes et le vainqueur, cela va se terminer par le dialogue. Parce que, du moment où il s’agit de conflit entre des Maliens, même si du côte du Mnla on retrouve des étrangers terroristes et djihadiste, le dialogue est incontournable. Mais, le gouvernement malien n’était-il pas en meilleure posture avant la visite du Premier ministre. Aujourd’hui, malheureusement après la déroute de l’armée, il se retrouve en position de faiblesse pour affronter les négociations. Je pense qu’il faut user de beaucoup d’intelligence pour tirer le meilleur profit de cette partie qui s’annonce vraiment compliquée pour les Maliens et surtout pour le gouvernement. On a beaucoup tergiversé et hésité à prendre certaines décisions qu’il fallait, certes douloureuses mais indispensables. Donc, il faut aller à la négociation et savoir utiliser notre intelligence et surtout prendre comme bâton de pèlerin le principe de l’intangibilité des frontières issues des colonisations. Si on arrive à donner la parole aux touaregs, aux arabes et autres ethnies qui sont restés loyaux envers le Mali et à mieux communiquer, je pense que c’est la solution.
Que pensez-vous de la politique française de Kidal ?
Il y a eu une démarche dans laquelle les Français ont été cohérents en disant qu’il fallait tenir compte d’un certain nombre de revendications du Mnla. Dans la reconquête aussi, les Français ont travaillé à ce que les combattants du Mnla puissent se retrouver tous dans une région, à savoir Kidal. Ils ont insisté sur le fait de négocier pour trouver une solution à la crise. Ils ont été sans pitié pour les narcotrafiquants et les djihadistes, qui ne sont pas Maliens. On se rappelle de ce qui s’est passé à Konna le 11 janvier 2013. En regardant cela, on va pouvoir faire des concessions, sans pour autant insulter l’histoire. Parce que c’est une histoire récente, très fraiche.
Par ailleurs, à mon avis, il y a place à beaucoup de propositions et d’imaginations que le gouvernement et le président doivent pouvoir faire, surtout en rassemblant la classe politique autour d’eux ; et je regrette que ceci ne soit encore malheureusement pas fait (ndlr : l’interview a été réalisée avant que le président IBK ne rencontre la classe politique à Koulouba, le mercredi 3 juin dernier).
Et les forces de la Minusma?
Depuis le début, nous avons fait une conférence de presse à l’URP. On a dit que le Mali n’a pas besoin d’une force d’interposition. Le Mali a besoin de forces combattantes et d’appui. Dès le départ, à l’URP, nous avons demandé de ne pas signer, de ne pas demander à ce que la Minusma soit déployée. Malheureusement, nous n’avons pas été entendus. Et aujourd’hui, ce sont les Maliens et même le gouvernement qui contestent les termes de la présence de cette force chez nous. Je crois qu’on est pratiquement le seul parti politique qui a demandé de ne pas signer pour le déploiement des casques bleus. Je l’ai dit haut et fort que le Mali n’a pas besoin de casques bleus. Mais, dès lors qu’on signe un contrat, il faut se plier. La Minusma ne fait qu’appliquer les termes de la résolution qui a permis son déploiement ici. Ne comptons pas sur la Minusma pour aller se battre contre les rebelles du Mnla, ce n’est pas leur mandat. C’est cette confusion qu’il ne faut surtout pas faire, au risque de soulever les populations contre la Minusma.
Que pense-vous de la future signature avec la France d’un accord de coopération ?
Depuis la transition, nous avons proposé au niveau de l’Urp et même de la Frdp Malikô, qu’il y ait un accord de défense entre le Mali, la France, les Etats-Unis et l’Algérie. Quand certains disaient que c’est une honte qu’on signe un accord de défense le 20 janvier, je leur demande ceci : le 20 janvier, on fête quelle armée ? Une armée à refaire. Il faut qu’on regarde les choses en face ; c’est bien d’être fier de son armée, mais à regarder de près, nous savons bien que nous devons fabriquer, réinventer, réarmer moralement cette armée. Parce qu’elle a besoin d’être mobiliser, équiper et entraîner. Mais, aujourd’hui, quand il y a des coups de feu, les militaires détalent ; il faut chercher à savoir pourquoi ils fuient.
Pour toutes ces raisons, je dis que le Mali doit signer un accord intelligent de défense. La Côte d’Ivoire a signé un accord de défense depuis des années. C’est le Tchad qui est venu, à la limite, libérer le Mali, le Tchad a un accord de défense. Le Sénégal a un accord de défense. Sommes-nous mieux que ces pays ? Je ne le pense pas. Il ne s’agit même pas de copier ce qu’ils ont fait, mais inventons notre propre accord dans les respects des partenaires et tirons toute la couverture de notre côté.
Pour en revenir à d’autres affaires ou dossiers brûlants qui émaillent la politique nationale ces derniers mois, quel commentaire avez-vous, particulièrement, sur :
La Déclaration de Politique Générale du Premier ministre Moussa Mara ?
D’abord, cela a été une déclaration bien fouillée. C’est une des plus longues déclarations de Politique générale. Mais, sur un certain nombre de points, je suis resté sur ma faim, surtout en termes de nombre d’emplois à créer. On pouvait oser mieux et multiplier les chiffres par 10 voire 100. Le Mali est un grand chantier, le Mali est un pays agropastoral. Sur les chiffres annoncés, on peut créer au moins la moitié dans l’assainissement sur l’ensemble du territoire. Ensuite, sur la santé, sur les dizaines de milliards que le Mali met aujourd’hui dans les domaines sanitaires, on peut créer de milliers d’emplois. Aucune structure privée au Mali ne bénéficie d’appui. La France donne des millions d’euros à ces entreprises pour les développer, pour créer de l’emploi. Tous les magasins de menuisier, de mécaniciens peuvent créer de l’emploi.
Aussi, je propose qu’on transforme l’Apej en un comptoir de création d’emplois à la place des 3 milliards injectés dans les stages qui sont très souvent pas effectués.
Dans un pays comme le Mali, je ne peux pas comprendre qu’il n’y ait pas d’IRM ; il n’y a pas de vrai service de réanimation au Mali. Vous croyez que toutes les pathologies sont évacuables ? Non. Quand on crée une structure, on sauve les Maliens. Les besoins des urgences, de la réanimation peuvent arriver à nous tous sans exception. Donc, dans la DPG de Moussa Mara, il fallait qu’on touche à ces points.
Nous avons appelé à voter pour IBK au second tour et quand on aura l’opportunité de discuter avec lui ou avec le chef du gouvernement, on ne fera pas l’économie de nos propositions parce que je pense qu’on peut faire mieux. Je ne suis pas d’accord qu’on mette 30 milliards dans les évacuations sanitaires. Qu’on donne au moins la moitié de ce chiffre pour équiper les structures de santé.
Il y a une aide publique à la presse, aux commerçants et pourquoi pas à la santé ?
Parlant de la régionalisation, je crois que c’est une autonomisation des régions qui ne dit pas son nom. Nous, à l’Urp, nous sommes contre cela parce que connaissant la nature des hommes africains. Quand on va faire de l’autonomie dans toutes les régions, il y aura 8 Etats qui vont être issues du Mali.
Le statut de l’opposition ?
L’opposition n’a pas besoin de statut. L’opposition, par définition, doit s’opposer. Mais, quand on parle d’opposition modéré ou d’opposition constructive, je ne sais pas ce que ça veut dire. Soit on soutient le gouvernement, soit on ne le soutient pas. Quand Modibo Sidibé dit par-ci d’opposition constructive et Soumaïla Cissé parle par-là d’opposition républicaine, alors qui est l’opposition radicale ? Qu’ils arrêtent de faire le grand écart.
Les textes ne rendent pas l’opposition orpheline, sauf si on veut une sorte de structure à budget encore. Déjà, on finance les partis politiques, ceux de l’opposition et de la majorité ; donc, il faut animer l’opposition avec cet argent. Mais quand on va créer un statut de l’opposition, y injecter des milliards, ce n’est pas une bonne idée.
L’affaire Tomi Michel ?
Le président de la République a dit que c’est son ami. Je pense que c’est un problème privé. Quand « Le Monde » écrit une chose sur le citoyen, l’homme Ibrahim Boubacar Keïta, c’est son avocat qui doit répondre.
L’achat de l’avion présidentiel ?
Ce n’est pas une bonne idée d’acheter un avion en ce moment. On n’a pas été consulté, mais je pense qu’il avait mieux à faire. Mais c’est fait, notre proposition est de vendre un des avions. On ne peut pas se permettre de garder deux avions présidentiels.
Les multiples voyages du président ?
S’il a de l’énergie, et si ces voyages permettent d’amener des financements ou de solutionner les problèmes que nous avons, c’est une bonne chose. Mais aujourd’hui, on doit plus se focaliser sur les problèmes intérieurs. Les invitations, les présidents en reçoivent des milliers, on ne peut pas honorer tout ça sans se faufiler et oublier les problèmes internes. Je pense qu’il y a assez de dossiers à l’intérieur. Donc s’il peut diviser par trois ses voyages, ce serait idéal.
La démission du ministre de la défense, Soumeylou Boubeye Maïga ?
Je ne pense que cela soit une bonne chose que le ministre de la défense démissionne en cette période et les motifs n’ont jusque là pas été évoqués publiquement. Ce qu’on a entendu par-ci et par-là montre à suffisance que les uns et les autres se rejettent la responsabilité d’avoir donné l’ordre de tirer ou de ne pas tirer. Pour ma part, je sais que le Premier ministre a dit que le Mnla a fait une déclaration de guerre contre le Mali et après dans une déclaration, il dit que le Mali est rentré en guerre. Pour moi, cela suffit largement. Ce qui fait est fait, et aujourd’hui, les gens doivent s’assumer. C’est ça aussi être un homme politique
Bref les neuf mois de gestion du président Ibrahim Boubacar Keïta ?
Cela a été neuf mois agités. IBK lui-même a dit que son mandat est une nouvelle transition. Pendant cette période de transition, on doit rassembler le maximum de forces progressistes. Il faut rassembler l’ensemble de la classe politique autour du gouvernement ; cela ne veut pas dire qu’il y a absence d’opposition. On peut faire consensus sur la question du nord, la défense du territoire, l’accord de défense, parce que ce sont des questions de souveraineté. Chacun d’entre nous aspire à dormir tranquillement chez lui, voyager et aller paisiblement à son travail. Sur ces sujets, on doit pouvoir faire consensus. Il a manqué d’initiative au pouvoir d’aller dans ce sens là. C’est bien d’appeler les jeunes, les artistes, mais les animateurs de la classe politique ce sont les partis politiques. Il faut appeler ces partis politiques et dialoguer avec eux.
Réalisée par Mohamed Sylla
Mémé Sanogo