Huit mois après les scrutins présidentiel et législatifs marquant la fin de la période de transition ayant suivi le coup d’Etat du 22 mars 2012, le Mali reste toujours confronté à d’énormes défis et le navire continue de tanguer dangereusement, menaçant à certains moments de sombrer dans l’abîme. En mettant en parallèle, d’une part les attentes placées au retour à l’ordre constitutionnel et les espoirs suscités par l’élection de Ibrahim Boubacar Keita, et d’autre part l’état actuel du pays, force est de constater l’absence d’avancées significatives sur de nombreux chantiers, tandis que des reculs sont enregistrés dans la gestion de nombre de dossiers prioritaires.
Il n’est point besoin d’être grand clerc pour constater que la presque totalité des objectifs prioritaires affichés par le nouveau pouvoir, à travers les engagements électoraux de IBK, restent encore à l’état de simples incantations. A titre d’illustration, le rétablissement effectif de la souveraineté du Mali sur l’ensemble de son territoire, objectif emblématique présenté par l’actuel locataire de Koulouba comme devant être réalisé à très court terme, reste encore à l’état de mirage. On pourrait en dire autant de l’objectif de restauration de l’autorité de l’Etat, autre cheval de bataille du candidat IBK, ou encore de celui de reconstruire l’armée en la dotant dans les meilleurs délais des capacités opérationnelles et humaines requises et, sans jeu de mots, en réussissant son réarmement moral. Il en est de même de la lutte pour la bonne gouvernance et contre la corruption.
Notre pays, sorti exsangue d’une double crise politique et sécuritaire mais fort de l’appui de la communauté internationale et des Partenaires Techniques et Financiers, avait pourtant, à l’entame du mandat du Président IBK, des atouts sérieux à faire valoir, pour avancer rapidement sur l’ensemble des dossiers ci-dessus évoqués. Sans vouloir accabler qui que ce soit ou instruire le procès de tel ou tel, la vérité oblige à dire que ces atouts, ceux de l’intégrité territoriale presque totalement rétablie, de l’élection d’institutions légitimes et reconnues, du rétablissement de la chaîne de commandement dans l’armée et du soutien sans faille de la communauté internationale, n’ont pas été optimisés – c’est un euphémisme – par les nouvelles autorités.
La gestion de ces grands dossiers a été en effet polluée par de graves erreurs d’appréciation. Sur le Nord, elles ont été légion : analyse erronée tant du rapport des forces en présence que de la marge de manœuvre du pays dans la gestion du conflit du nord dont on a pas suffisamment pris en compte l’internationalisation ; erreur sur l’impact de l’absence imputable au gouvernement d’offre de propositions de règlement réaliste sur les comportements des groupes armés etc.
Quant au binôme « Bonne gouvernance – lutte contre la corruption », les initiatives malheureuses qu’ont été la passation du contrat dit d’armement et l’acquisition dans des conditions peu orthodoxes d’un second avion présidentiel ont largement contribué à ôter à ce nécessaire combat toute crédibilité, tant aux yeux des partenaires techniques et financiers que du citoyen lambda.
Enfin, l’objectif d’une armée reconstruite, redevenue opérationnelle, moralement apte à assumer ses missions doit être revu, sinon repensé, après le grave revers militaire subi par les FAMA à l’issue de la séquence tragique du 21 mai 2014. Cette péripétie du conflit qui oppose le gouvernement aux forces irrédentistes touareg aura eu au moins le mérite de rappeler que la reconstruction de l’armée de nos vœux ne peut obéir à aucune logique populiste, encore moins à des préoccupations d’agenda personnel, mais surtout qu’elle devra s’opérer dans la sérénité en ayant pour horizon le moyen et le long terme.
Les constats qui précèdent, loin de pousser au découragement, devraient inciter à l’action. Ils posent à la fois la question cruciale de la qualité du pilotage actuel des affaires de l’Etat et celle du nécessaire rassemblement des forces vives pour que le pays se donne tous les moyens de relever les défis auxquels il demeure confronté.
A cet égard, le chef de l’Etat ne doit pas perdre de vue, lui qui a été plébiscité par les Maliens si l’on s’en tient aux suffrages exprimés lors de la dernière élection présidentielle, que l’opinion publique est changeante et que les élections ne concernent au final qu’une minorité de citoyens. L’erreur serait de considérer que les forces qui composent l’actuelle majorité présidentielle sont les plus qualifiées pour conduire les destinées du Mali en cette phase cruciale.
Pour renforcer la qualité du pilotage de l’Etat, corriger les lacunes constatées et rassembler le maximum de Maliens autour de son action et de son projet de société, le Président de la République doit, à notre avis, prendre l’initiative d’un gouvernement d’union nationale, composé à la fois des représentants de la majorité présidentielle, de ceux de l’opposition et de personnalités indépendantes.
Il s’agira de mobiliser toutes les forces vives, à travers des personnalités représentatives, intègres et compétentes, pour donner les meilleures chances au Mali de recouvrer l’intégrité du territoire national, de retrouver toute sa place dans le concert des Nations, de renouer avec la cohésion et de poursuivre son développement économique et social.
La concertation récemment engagée par le chef de l’Etat sur les questions d’intérêt national avec les partis politiques, y compris ceux de l’opposition, va dans le bon sens, même si l’on peut regretter qu’elle soit intervenue si tardivement et en un moment où les urgences s’accumulent. Ce serait faire preuve de courage et de vision que d’approfondir cette approche inclusive en faisant le choix de l’ouverture et du rassemblement autour de la réalisation des priorités nationales.