Avec 77 % des voix au second tour, le président Ibrahima Boubacar Kéita dit IBK a été plébiscité par les Maliens. Un plébiscite qui symbolisait l’immensité des attentes et symbolisait un profond espoir de changement. En plus de l’efficacité dans la gouvernance des affaires publiques, IBK est attendu pour redonner au Mali son honneur et sa dignité bafoués par l’occupation des trois régions du nord avec son corollaire de violations des droits de l’Homme (viols, amputations, mariages forcés, restriction des libertés individuelles…).
Démolition des réalisations sur les lits et servitudes
I
Moins d’un an après, il est difficile de faire le bilan d’un mandat de cinq ans. Mais, force est aussi de constater que, dans la réalité de tous les jours, l’immense espoir suscité est en train de s’estomper, rogner par le doute qui se généralise dans le cœur des Maliens. Et la démission du Premier ministre Oumar Tatam Ly, le 5 avril 2014, a prouvé que Ladji Bourama tarde à trouver ses marques dans la gestion du pouvoir.
IBK est-il réellement l’homme de la situation ? A-t-il l’expérience politique nécessaire pour offrir à ses concitoyens tant le changement souhaité après avoir vécu la plus dramatique des crises de leur histoire contemporaine ?
Ce sont là, entre autres, des questions que des Maliens se posent depuis quelques mois. Des interrogations qui traduisent leur crainte et le doute qui est en train de prendre le pas sur l’espoir suscité par l’élection d’Ibrahim Boubacar Kéita à la présidence de la République après un peu plus d’un an de vide démocratique.
«Les Maliens l’ont élu parce que, parmi tous ceux qui étaient sur l’échiquier, il avait l’étoffe du seul qui pouvait faire sortir ce pays de la situation désastreuse qu’il traversait. Mais, pour le moment, le constat n’est pas fameux», souligne un diplomate africain en poste à Bamako. Ce constat est jugé pertinent dans de nombreux milieux socioprofessionnels et politiques.
Pour Issaka I. Doumbia, leader engagé au sein d’une association ayant soutenu l’actuel président, IBK «est en train d’échouer dans sa mission. Il faut qu’il s’en rende compte et fasse le nécessaire pour redresser le tir, sinon il conduira ce pays droit à la dérive». On le sait, les Maliens ont le sang chaud et sont impatients. Ce qui les conduit souvent à des «conclusions trop hâtives». Mais, ils ne manquent pas non plus de motifs de doute par rapport aux capacités du «Tisserand en Chef» à combler leurs attentes.
A tout point de vue, les signaux sont négatifs. Ils ne plaident pas en faveur du changement escompté. La question du nord est par exemple au point mort. D’Ibk ses compatriotes attendaient une résolution rapide, surtout de l’inacceptable situation de Kidal. «Je pense que les Maliens doivent faire le deuil de Kidal», nous disait récemment un confrère sous forme de boutade. En l’élisant, beaucoup de ses compatriotes voyaient déjà leur président sur le front dans un tank pour aller réinstaurer la République du Mali dans ses frontières géographiques et historiques. Mais, comble d’ironie, ils ont assisté impuissants à la libération de ceux qu’ils considèrent comme des «criminels en puissance», c’est-à-dire des combattants du Mouvement National de Libération de l’Azawad (Mnla).
Après des déclarations va-t-en- guerre, et l’échec de la prise de Kidal, IBK ne parle aujourd’hui que très peu du nord. Et la lutte contre la corruption s’enlise à peine commencée parce que les racines du mal sont plus profondes que prévues. Pis, les Maliens vivent mal à cause de la surenchère sur les denrées de première nécessité. Et la majorité ne voit pour le moment aucune lueur d’espoir à l’horizon.
Malaise au sommet sur fond de défiance
Visiblement, IBK a du mal à impulser à la gouvernance cette volonté qu’on sent en lui dans ses discours, dans ses déclarations sur fond de menace comme un père fouettard face à ses enfants. La démission du Premier ministre Oumar Tatam Ly (OTL), le 5 avril 2014, a finalement donné raison à ceux qui soupçonnaient un malaise au sommet de l’Etat depuis quelques mois.
Six mois après sa nomination, OTL a jeté l’éponge parce qu’il ne pouvait plus compter sur son président pour corriger «les dysfonctionnements et les insuffisances» diagnostiqués dans la gestion du pays. Y faire face nécessitait du courage, de l’audace, donc la confiance et le soutien indéfectibles du Boss. Sentant donc qu’il ne pouvait pas avoir la marge de manœuvre indispensable à faire face aux défis du changement, le jeune banquier-technocrate n’a pas voulu prendre de risques politiques pouvant le discréditer à l’avenir.
Pour OTL, il est nécessaire, dans un environnement institutionnel devenu moins favorable, d’impulser à l’action gouvernementale «des évolutions propres à lui conférer davantage de cohésion et à lui doter de compétences accrues lui permettant de mettre en œuvre des changements tant attendus par vous-même et par le peuple malien tout entier».
Mais, n’ayant pu convaincre Ibk sur cette nécessité, pourtant de nature à le mettre dans une position confortable pour assumer la mission qui lui a été confiée, le Chef du gouvernement n’avait d’autres choix que de présenter sa démission.
Connaissant l’homme, réservé et pudique, les observateurs pensent que OTL a méticuleusement choisi «les expressions utilisées» dans sa lettre de démission. Les «sous-entendus» sont faits sciemment pour ne pas heurter celui qu’il a servi pendant six mois tout en alertant sur la nécessité de prendre le taureau par les cornes s’il veut réellement entrer dans l’histoire comme le leader qui a su combler les attentes d’un peuple avide de changements depuis la Révolution de mars 1991.
Si, pendant les premiers mois, Ibk a réussi à maintenir l’espoir par des discours de fermeté, il doit comprendre que les Maliens veulent voir du concret aujourd’hui.
Il doit comprendre qu’il a semé le doute dans le cœur de ses sulets par des décisions incomprises comme la levée des mandats d’arrêt contre les bandits armés qui ont pactisé avec les terroristes, la libération sans jugement des prisonniers de guerre pris par les miliaires maliens dans les rangs des groupes armés, la validation de la candidature d’ex-rebelles du Mnla aux législatives avant qu’ils ne soient élus sous les couleurs du Rpm, son propre parti.
Sans compter que les Maliens ont été surpris et dépités par la présence de plusieurs membres de la famille et de la belle-famille présidentielle dans le gouvernement et dans des institutions clefs comme l’Assemblée nationale. L’une des raisons du plébiscite d’IBK, c’est que ces compatriotes voyaient un leader ferme et rigoureux au-dessus de telles considérations.
De l’unanimité au doute
On comprend alors que les premiers pas de Ladji Bourama à Koulouba durant neuf premiers mois, n’aient pas pu faire l’unanimité en terme d’efficacité, d’avancée concrète vers le changement souhaité. Car, les Maliens se trouvent aujourd’hui partagés entre optimisme et pessimisme au regard des nombreuses décisions qu’il a prises depuis son accession au pouvoir.
Pour les Maliens, la question principale demeure toujours comment gérer le quotidien ? Ils sont nombreux ceux qui ne cachent plus leur amertume et leur crainte de lendemains encore plus incertains. «J’ai l’impression que rien ne bouge. Il faut baisser le prix des produits de première nécessité pour permettre aux Maliens de subvenir à leurs besoins fondamentaux», se plaint un plombier qui confiait son désarroi à un confrère de la place.
De nos jours, le Malien lambda reproche au président de la République de traîner les pieds dans la réalisation des actions concrètes comme la création d’emplois pour les jeunes et une amélioration du pouvoir d’achat du citoyen.
Un économiste expliquerait cette déception par le fait que la relance de l’économie tarde à venir, les investisseurs ne se sentant pas totalement en confiance. Et cela, parce que le gouvernement a pataugé, le Premier ministre n’ayant pas eu les coudées franches pour prendre des mesures rigoureuses et audacieuse indispensables.
La situation actuelle donne raison aux détracteurs et aux opposants qui ont toujours défendu qu’Ibrahim Boubacar Kéïta n’a aucun projet de société crédible pour relever le Mali. Mais, pour certains de ses partisans, Le président a seulement du mal à dégager ses priorités.
Ce qui peut aussi sonner comme un aveu d’impuissance pour qui sait que tout est priorité dans un pays qui sort d’une grave crise comme le Mali. Le rétablissement total de l’intégrité territoriale, l’instauration de la paix et de la sécurité, la relance de l’économie pour s’attaquer le plus rapidement possible aux difficultés de la vie quotidienne des Maliens…sont autant d’actions prioritaires encore en souffrance. Et il est utopique de remettre le pays sur les rails, même avec le soutien de la communauté internationale, sans les affronter courageusement de face.
Aujourd’hui, disent des opposants à l’Assemblée nationale, avec les 3 milliards d’euros que la communauté internationale a mis à la disposition du Mali pour sa reconstruction, nous devons plutôt regarder vers l’avenir. Maintenant, un changement de cap est plus que jamais nécessaire après neuf mois de ce que l’opposition qualifie de «navigation à vue».
Il faut sortir de cette léthargie de la théorie du changement pour espérer apaiser les différentes grognes syndicales et redonner un espoir, mince fut-il, à la ménagère dont le panier ne cesse de se vider désespérément.
Une situation politique plus que jamais fragile
Cela est d’autant vite souhaité que, comme le craint un diplomate occidental dans la capitale malienne, «très rapidement, la situation politique pourrait devenir fragile à Bamako si le nouveau gouvernement ne fixe pas des objectifs clairs, avec des priorités à dégager».
Nous dirons qu’il ne suffit pas seulement de se fixer «des objectifs clairs», mais il faut sortir de la complaisance pour que le gouvernement soit efficace. Pour nombre d’observateurs, le profil du nouveau Premier ministre (Moussa Mara) peut être un atout «si le chef de l’Etat malien lui reconnaît ses prérogatives et le laisse travailler». Ce qui est sûr, IBK ne peut pas non plus se permettre de changer de Premier ministre tous les six mois. Au risque d’être emporté par la grogne syndicale, une révolte populaire !
A lui de prouver que les Maliens n’ont pas eu tort de lui faire confiance ! Le défi n’est pas mince parce qu’il a tout à démontrer pour que la confiance et l’espoir rendissent sur le doute qui s’est généralisé pendant les six premiers mois du règne du Kankelentigui !
Dan Fodio