C’est aussi sobrement que le président-poète Léopold Sédar Senghor avait répondu à Wolé Soyinka qui, dans un élan de contestation, avait renvoyé ses aînés du courant de la négritude à leurs chères études en ces termes : « le tigre ne crie pas tigritude, il saute sur sa proie » ! L’histoire a rendu justice aux Senghor, Césaire, Damas qui ont su affirmer une « présence africaine », noire dans le débat politique et intellectuel de leur époque sans forcément recourir aux mots et aux catégories marxistes. De son côté, Soyinka a eu son parcours digne d’éloges, avec un Prix Nobel de Littérature, mais il a tout aussi compris, plus tard, qu’il n’avait pas besoin de lapider l’héritage des pionniers pour « exister ». Cette métaphore sied parfaitement à Moussa Mara qui, en moins de trois mois à la Primature, réussit l’authentique exploit de désobliger, d’exécrer y compris dans les cercles les plus favorables à sa nomination à la tête du gouvernement.
Le débat sur la motion de censure de l’opposition a fini de nous convaincre que l’arrogance et le cynisme de ce jeune homme le perdront fatalement. Il pèse tant d’incertitudes sur notre pays, nos concitoyens sont si déprimés qu’un chef de gouvernement a mieux à faire que de s’enfermer dans le mensonge et le déni de réalité. Chacun est libre d’en penser ce qu’il veut, mais la motion de censure présentée par les députés de l’opposition avait de nombreuses vertus. La première, c’était d’offrir une tribune de catharsis au sens grec du terme, à savoir une discussion qui débouche sur l’apaisement des passions. Pour réussir l’exercice, il eut fallu un Premier ministre dans le rôle du héros tragédien : « si la tête de Moussa Mara suffit pour sortir le Mali du marasme (sans jeu de mot), je demande au Président de la République de la couper. Je me suis rendu à Kidal avec les meilleures intentions du monde et parce que les événements ont tourné au drame, je dédie le reste de ma vie, de ma carrière politique à consoler les veuves et les orphelins engendrés par les douloureux événements. Ne dit-on pas que l’enfant ne tombe que des mains de celui qui accepte de le porter ? C’est le bras de l’Exécutif, que je suis, qui a failli, ne cherchez donc pas à couper la tête que symbolise le Chef de l’Etat ! ». Voilà ce que j’aurais dit à la place d’un PM incapable de faire acte de contrition. Un vote de confiance acquis à l’issue d’une telle démarche d’humilité nous aurait ému aux larmes, mais en lieu place, les Maliens, sidérés, eurent droit à un Moussa Mara auto satisfait, célébrant lui-même son équipée meurtrière, à défaut d’exiger de la Nation traumatisée par l’humiliation de Kidal, une couronne de lauriers.
Prétentieux et non ambitieux
Que ce jeune homme prétentieux et non ambitieux sache pour toujours qu’il n’est pas plus courageux que les valeureux préfets, sous-préfets et cadres qui ont été sacrifiés sur l’autel de son héroïsme de façade. Quand on fait le voyage Gao-Kidal dans le confort douillet de l’avion de la Minusma pour se poser dans le camp de cette force plutôt qu’à l’aéroport de Kidal, quand on mobilise toutes les forces de défense pour sa seule protection et celle de sa délégation, en livrant les représentants du commandement territorial et d’autres civils au crime et aux exactions des groupes armés, il faut se garder de tout triomphalisme.
Et pour jouer les érudits, je te rappellerai, Monsieur le Premier Ministre, la fameuse apostrophe d’Alphonse de Lamartine :
« Honte à qui peut chanter pendant que Rome brûle,
S'il n'a l'âme et la lyre et les yeux de Néron,
Pendant que l'incendie en fleuve ardent circule
Des tempes aux palais, du Cirque au Panthéon !
Honte à qui peut chanter pendant que chaque femme
Sur le front de ses fils voit la mort ondoyer,
Que chaque citoyen regarde si la flamme
Dévore déjà son foyer ! » (in Réponse au Journal la Némésis)
Moussa Mara n’a peut-être pas chanté, mais il a gazouillé (tweeté) à son arrivée à Gao, un retentissant « tout s’est bien passé », qui ne laissait le moindre doute sur le peu de cas qu’il faisait du champ de ruines laissé derrière lui à Kidal. « Honte à celui qui chante quand Kidal brûle » ! Le Premier ministre a donc beau jeu de railler Soumaila Cissé, qui a affronté par deux fois les escadrons de la mort de la junte de Kati dont le président du parti YELEMA était un des visiteurs assidus. Dans le fameux document de stratégie électorale prêté à l’équipe du candidat du RPM, et qui a circulé à quelques jours du scrutin, certains indices laissaient entrevoir le caractère politique de l’agression contre le candidat de l’URD. En tirant matière à alimenter un humour cynique, le PM prouve à suffisance que l’acharnement contre l’honorable Soumaïla Cissé ne fut pas pour déplaire à certains.
Pour en revenir au débat sur la motion de censure, Moussa Mara, nous semblait-il, avait atteint la limite supérieure du mensonge d’Etat lorsque, comme un forcené, il s’est lancé à corps perdu contre l’avion acquis sous le Président ATT, le traitant de tous les noms d’oiseau incapable de voler. Après les témoignages des experts, et plus récemment les preuves accablantes contre ses thèses absurdes, le Premier ministre s’est rendu coupable d’une nouvelle embardée : oui l’avion, admet-il du bout des lèvres, appartient au Mali mais il a été immatriculé au compte de l’armée de l’air et, de ce fait, ne peut être utilisé hors du territoire national.
On se demande bien par quel tour de magie, le Président ATT réussissait à parcourir le monde sous la même immatriculation. La vérité est plus prosaïque et elle dit ceci : Moussa Mara, en plus d’être menteur et cynique, est proprement inculte. L’avion présidentiel le plus connu au monde, c’est celui qui transporte le Président des Etats-Unis d’Amérique. Il s’appelle Air Force One, pas pour frimer mais pour dire que c’est le premier avion de la flotte militaire américaine. Pour la gouverne de notre cher PM, Air Force One est même conçu pour transporter des ogives nucléaires, en cas de besoin, pour la sécurité de l’homme le plus puissant de la planète.
En France, la situation n’est pas différente. Mieux, la base de l’avion de commandement français comme des autres avions du groupe de liaison aérienne ministérielle est l’aéroport de Villacoublay, aéroport militaire par excellence.
Mara ne comprend probablement pas grand-chose à cette démonstration, mais plus près de lui, l’avion dont il est le pitoyable avocat, le Boeing 737-700 du Président IBK a été acquis au compte du ministère de la Défense, pas seulement pour dissimuler les chiffres, mais aussi pour souligner qu’il est un outil de souveraineté nationale.
En un mot comme en 20 milliards, le prix de votre avion, l’immatriculation d’un avion civil, de surcroît présidentiel, au compte de l’armée de l’air n’a jamais été un obstacle à son mouvement. Je demande à Moussa Mara d’être attentif aux déplacements du président nigérian, le plus clair du temps, il le fait à bord d’un jet estampillé Nigeria Air Force. C’est à croire que confesser une erreur de jugement est au-dessus de la force de ce jeune homme. Il persiste et signe pour le prendre au mot, sans peur du ridicule.
Recadrer la gouvernance
L’opposition républicaine, à travers la motion de censure, avait tendu à la majorité présidentielle la perche qui lui aurait permis de recadrer la gouvernance et l’action publique. Mara ne manque certainement pas de qualités, mais de sa nomination à ce jour, il a posé des actes qui lui ont enlevé le crédit et l’autorité morale de continuer à diriger le gouvernement. L’initiative de l’opposition mettait le président de la République en situation de désigner un nouveau Premier ministre de son camp et de son choix, l’essentiel étant de donner enfin du souffle à un pouvoir qui en manque cruellement.
Le jeune Mara fera son miel de ce vote sous forme de réflexe de survie. Avec une tranquille assurance, chaque jour, il dépouille symboliquement le Président IBK d’une de ses prérogatives. Quelques faits pour illustrer le propos : à l’occasion de sa déclaration de politique générale, Moussa Mara a doctement annoncé à la représentation nationale une « révision constitutionnelle » dans le cadre du renforcement de la démocratie dans notre pays. Le périmètre d’intervention du PM ne peut dépasser l’annonce de réformes politiques ou institutionnelles, la forme que peuvent revêtir ces réformes, surtout lorsqu’elles touchent à la Constitution, est une prérogative du président de la République.
Plus encore, après son équipée sanglante à Kidal, le Premier ministre s’est autorisé à déclarer publiquement la guerre aux groupes armés, une prérogative qui n’appartient même pas qu’au président en propre, celui-ci a besoin de l’autorisation expresse de l’Assemblée nationale pour en décider ainsi. Le président IBK en était réduit à le suivre dans cette hérésie.
Par ailleurs, le Chef de l’Etat veut-il convier l’opposition à venir conférer avec lui, c’est encore le cabinet de Mara qui envoie un méprisant SMS signé d’un illustre inconnu, avant de se rétracter devant la désapprobation des Chefs des partis politiques, en daignant lui-même appeler quelques-uns au téléphone. Le PM se substitue allègrement au cabinet du président de la République.
Sponsoriser des manifestations
On pourrait passer sous silence, si ce n’est trop grave, la gestion de nos relations avec la Minusma et Serval. Le premier diplomate qu’est le Chef de l’Etat est délesté de ses responsabilités par un Mara qui s’érige en père-fouettard. Le Premier ministre ne rate aucune occasion pour vitupérer les forces étrangères et sponsoriser des manifestations contre elles si ce n’est des opérations de boycott de produits français. Telle une pieuvre, le PM siphonne au quotidien l’espace vital du Président de la République, qui finira par réaliser ce qui est à l’œuvre, peut-être un peu tard quand surviendra une crise de régime et j’ai bien peur de percevoir déjà des signes annonciateurs.
Moussa Mara prend même un malin plaisir, salut l’artiste, à souligner l’asymétrie entre le Président de la République et lui. Il vient au bureau à 05h du matin, tomber à bras raccourcis sur de pauvres gendarmes assoupis pour mettre en exergue le fait que le Chef de l’Etat arrive bien plus tard au bureau. Il se fait le chantre de la levée des couleurs nationales à la primature pour nous inviter, de façon subliminale, à regarder du côté de Koulouba.
L’OPA (offre publique d’acquisition et non d’achat) du Premier ministre sur le camp présidentiel est si minutieusement préparée que l’intéressé n’hésite pas une seconde à draguer lourdement les milieux islamistes dont il n’ignore rien de l’apport dans l’élection de IBK. A vue d’œil, il nous vieillit au quotidien son image pour un « gosse » on va dire de moins de 40 ans, la barbe, le boubou, la démarche et tout le reste.
Le Premier ministre a de la suite dans les idées, car plus tard, c’est devant la Ligue des prédicateurs du Mali, dont on ignorait jusqu’à l’existence, qu’il est allé détailler son plan de guerre pour Kidal, en affirmant que les moyens dont nous disposons, permettaient de conquérir non pas seulement le gouvernorat mais Kidal toute entière. On connaît la suite.
Pour conclure, une dernière perle de Moussa Mara au cours du débat sur la motion de censure : «le Mali ne s’enfonce pas dans la crise, il sort, au contraire de la crise ». A ce niveau de cécité, il n’est pas superfétatoire de rafraîchir la mémoire du Premier ministre d’IBK avec ce récit sur le naufrage du Titanic, puisé sur Wikipédia : « Le 14 avril 1912 vers 9 h 0, le Titanic a déjà parcouru 1 451 milles (2 687 kilomètres). Durant cette journée, le Titanic reçoit une dizaine de messages venant de plusieurs navires, parmi lesquels le Baltic et le Californian, lui signalant des avis de glace. À 22 h 55, le Californian, alors pris dans la glace à 20 milles (environ 36 km) au nord du Titanic, envoie un message à tous les navires alentour, parmi lesquels le Titanic : à bord de ce dernier, Jack Phillips l'interrompt en lui demandant de se taire, ce qui pousse son correspondant à couper sa radio pour se coucher.
À 23 h 40, par 41° 46′ N et 50° 14′ O alors que le Titanic avance à 22,5 nœuds (41,7 km/h), le veilleur Frederick Fleet installé dans le nid-de-pie du mât avant aperçoit un iceberg droit devant dans le brouillard et le signale à la passerelle. Le 1er officier William Murdoch, alors officier de quart, essaie de faire virer le navire vers bâbord et fait stopper les machines et demande une marche arrière toute. Quelque 37 secondes plus tard, le navire vire mais heurte l'iceberg par tribord et le choc fait déchirer des tôles et sauter des rivets ouvrant ainsi une voie d'eau dans la coque sous la ligne de flottaison. Les portes étanches sont alors immédiatement fermées par Murdoch afin d'éviter une voie d'eau plus importante. Mais l'eau commence à envahir les cinq premiers compartiments du bateau. Or le Titanic ne peut flotter qu'avec au maximum quatre de ses compartiments remplis d'eau… ». On connaît là aussi la suite. Et pour compléter le récit, les historiens rappellent qu’au moment où ce gros drame se nouait, les riches passagers du mythique paquebot s’échangeaient, dans un grand bal, des pas de danse plus entraînants les uns que les autres.
Délit de fuite…
Moussa Mara commet un délit de fuite devant la réalité et renouvelle l’exercice de la méthode Coué dans des proportions insoupçonnées. A l’observation, il n’aura échappé à personne que ce jeune Premier ministre se révèle un objet de grande curiosité, présentant tous les symptômes d’un vulgaire politicien, voire d’un dangereux arriviste.
Je m’interroge toujours sur ce qui arrive au Mali depuis un moment. Que Moussa Joseph MARA parle au Mali de lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite, lui dont l’essentiel du patrimoine lui a été légué par un condamné pour crime économique! Qu’est ce qui nous arrive, au Mali ? A la séance plénière de la Motion de censure, Moussa Joseph MARA s’habille comme l’avait fait à une autre époque le Président Modibo KEITA (la seule différence est la coiffure) en feignant oublier que le Lieutenant Joseph MARA était membre du CMLN qui a perpétré le coup d’Etat du 19 novembre 1968 et sait probablement bien de choses sur la mort du même Président Modibo KEITA. Et c’est lui, Moussa Joseph MARA qui nous dit qu’au Mali, nous savons qui est qui ? En effet, sur ce point, il a raison. Si seulement il imaginait un millième de ce qui se sait de lui, il se serait abstenu de bien de propos et même d’ambition politique tellement son passif héréditaire est lourd. Et maintenant qu’avec sa chevauchée meurtrière de Kidal, il y ajoute un passif personnel sans égal dans les annales politiques de notre pays.
Ahmadou Abdoulaye DIALLO
Président par intérim du PDES