Agériens et Nigérians ont fait de leur mieux. Les Américains beaucoup plus que cela Battus, mais pas abattus.
Eliminés, mais fiers d’eux-mêmes. Telle était la tonalité générale des jugements portés par les commentateurs et le public africains pour apprécier les défaites des Fennecs et des Super eagles. Nos confrères de l’Intelligent d’Abidjan avaient hier la plume caustique et le jugement corrosif pour critiquer cette attitude. Dans l’absolu, ils n’avaient pas tout à fait tort de se révolter contre le fait que beaucoup se satisfassent de peu. Echouer au stade des huitièmes de finale de la Coupe du monde ne représente pas en soi une performance inoubliable, ni un exploit à saluer pour une sélection africaine. Il convient en effet de ne pas oublier que cela fait 24 ans que les Camerounais ont atteint les quarts de finale et que cette performance commence à sérieusement dater. Mais il est vrai qu’en football l’Afrique nourrit une propension un peu trop appuyée à considérer chacun de ses revers comme un verre à moitié plein. Elle préfère la chasse au bouc émissaire à l’identification des vraies causes de l’échec et se rassure très facilement en prophétisant que demain sera meilleur. Il est vrai aussi que les médias internationaux concourent à encourager l’acceptation du minimum par leurs commentaires paternalistes sur les performances des représentants du continent. Pour les grandes chaines de télévision et les journaux sportifs réputés, un quart de final au Mondial représente un record à égaler pour une sélection africaine. Aller au-delà serait quasiment toucher au rêve. Le raisonnement est spécieux puisqu’on ne compte plus les nations moyennes arrivées en demi-finale d’une Coupe du monde et dont le nom est aujourd’hui oublié, même des spécialistes. Faut-il rappeler que la Pologne est entrée deux fois dans le carré magique qui a accueilli également la Suède, le Chili, ou la Belgique ? Ceci dit, il convient d’atténuer la sévérité dont ont fait preuve nos confères ivoiriens. Il n’y a certes rien de fondamentalement glorieux à échouer en huitièmes de finale, mais il reste à reconnaître que Nigériens et Algériens ont joué à hauteur de leur potentiel. Ce que n’ont réussi ni le Ghana, ni la Côte d’Ivoire, encore moins l’exécrable Cameroun. En outre – et pour une fois cela ne relève pas de la victimisation -, le Nigéria a vu contre la France les obstacles se multiplier sur son chemin. Il s’est fait refuser un but pour un hors-jeu plus que contestable et un penalty que la faute d’Evra lui fournissait sans discussion. Matuidi aurait dû recevoir un carton rouge pour son agression sur Onazi et Giroud aurait pu encourir la même sanction pour son coup de coude à un défenseur des Super eagles. Comme l’a dit sobrement, mais froidement Stephen Keshi, un arbitre a certes le droit de se tromper. Mais une fois, pas quatre. Ces faits de jeu auraient-ils pu inverser le résultat ? Difficile de le dire. Mais leur juste appréciation aurait au moins pu permettre au Nigéria d’ouvrir la marque. Et face à une France désorientée et peu incisive, l’avantage ainsi acquis avait de bonnes chances d’être décisif. Les Fennecs ont eu, à notre avis, comme principal mérite celui d’avoir pacifié la vie à l’intérieur de leur groupe. La grande faiblesse des bonnes équipes algériennes (et il y en a eu ces vingt dernières années) résidait auparavant dans la continuelle guerre des ego qui empoisonnait la confection de la liste des sélectionnés et pourrissait la gestion des matchs décisifs. Un adversaire averti et tactiquement roué savait qu’il lui suffisait de faire déjouer l’Algérie pendant une vingtaine de minutes pour que le semblant de collectif explose et que les joueurs se préoccupent plus de solder leurs antagonismes personnels que de faire bloc pour reprendre en main le match. DES SCHÉMAS CONTRADICTOIRES. A ce Mondial, il s’est produit au sein de l’Algérie une mue étonnante. Etonnante, parce que la même sélection avait traversé de manière fantomatique la CAN 2013 au cours de laquelle elle ne s’est même pas extraite des poules (un nul et deux défaites). Etonnante, aussi parce que les joueurs se sont entendus pour imposer à leur entraîneur une composition d’équipe plus offensive contre la Corée du sud. Etonnante enfin, parce que cette révolution interne s’est passée sans éclats de voix et sans étalage d’états d’âme. Pour une fois, le vestiaire algérien est resté bien clos et solidaire. Mais la révolution lancée par les Fennecs avait ses limites. Qui connaît Vahid Halilhodzic sait qu’il n’est pas spécialement porté sur le football offensif et qu’il a toujours eu une préférence pour les systèmes cadenassés animés par des joueurs de devoir. C’est cette vision qu’il avait imposée à ses poulains jusqu’au match contre la Corée du Sud. C’est cette vision qu’il a dû réviser précipitamment pour le deuxième match de son équipe, mais qu’il a rétablie partiellement contre l’Allemagne avec un milieu de terrain plus défensif. Les Algériens ont donc essayé de s’exprimer au mieux dans ces schémas contradictoires. Mais comme ils étaient dépourvus d’un vrai projet de jeu, leur faiblesse tactique a été clairement exposée lorsque les Allemands haussèrent la cadence en tout début de deuxième mi-temps et alignèrent alors les occasions franches de but. Les Algériens ont donc fini à l’orgueil et à la solidarité. Ce qui n’était pas peu, mais qui était très loin de ce que les Américains ont démontré mardi soir contre la Belgique. Car s’il y a un vaincu à saluer sans restriction dans ces huitièmes de finale, c’est bien la sélection conduite par Juergen Klinsmann. Elle avait étonné contre le Ghana, puis littéralement séduit et convaincu face au Portugal. On connaissait la discipline tactique et l’esprit compétiteur des Américains. Ils ont ajouté à leurs qualités de base traditionnelles une finesse technique inattendue et un savoir-faire tactique surprenant. Tous ces atouts leur ont permis d’offrir mardi dernier la tentative de come back la plus intense de la compétition. A 0-2 pendant les prolongations, la partie semblait jouée pour les Belges auteurs d’un match remarquable et qui avaient littéralement étouffé leurs adversaires pendant la plus grande partie de la rencontre. Mais ce fut au moment où tout paraissait perdu que l’équipe des Etats unis a ressuscité pour nous gratifier d’une séquence de pur bonheur footballistique. Dans l’assaut qu’elle livra rien ne manquait. Ni la vitesse d’exécution, ni le sang-froid de combinaison, encore moins la détermination à renverser le destin de la rencontre. Dans un Mondial qui jusqu’ici nous a fourni une belle moisson d’émotions, la prestation américaine d’avant-hier a presque valeur d’anthologie. Car elle a fait une démonstration exceptionnelle de ce que le football peut proposer lorsqu’il est pratiqué avec intelligence et engagement. Les éliminés africains pourraient utilement jeter un coup d’œil sur ce finish hors norme pour savoir ce qui leur manque encore pour que leur verre soit entièrement plein. Car pour les compétiteurs que sont les Américains, seule la victoire est belle. Et pour elle, il faut non pas s’arrêter au possible. Mais faire reculer les limites de l’imaginable.