– Deux cents participants, des universitaires, des chercheurs, des étudiants, des députés, des élus communaux et d’autres acteurs politiques ont, pendant plus de huit heures d’horloge, samedi 25 août, débattu intensément de la plus grave crise que vit le Mali depuis son accession à l’indépendance à la suite de l’occupation de ses trois régions administratives du nord, Kidal, Gao et Tombouctou, par les indépendantistes du MNLA, les islamistes intégristes de Ançar Dine, MUJAO et AQMI.
Le prétexte de ces retrouvailles : la conférence organisée à l’initiative de l’association Djoyoro Fa ayant pour thème : « La question des minorités touareg et arabe au Mali dans la perspective historique et géostratégique » traité à travers des communications riches et variées abordant tour à tour les aspects historiques, sociologiques et géostratégiques qui ont donnés lieu à d’intenses et sérieux échanges de la part d’une assistance motivée.
Des contributions sans complaisance et souvent d’une grande hauteur de vue et d’un réel souci de rigueur intellectuelle, se sont efforcées de scanner les réalités politiques, socioculturelles, économiques, religieuses dont la méconnaissance, à cause de leur complexité et de leur opacité, ont limité l’efficacité des multiples tentatives de recherche de solution à une crise dont les origines, par certains aspects, remontent bien avant même la colonisation.
Les débats ont mis à nu un constat implacable : l’écrasante majorité des Maliens ne se connaissent pas entre eux et le nord demeure la grande et mystérieuse inconnue. « Il faudrait, a martelé M. Zeidane Ag Sidalamine, un ancien membre des mouvements irrédentistes désormais un militant inconditionnel de l’unité nationale, que les Maliens apprennent à mieux se connaître pour surmonter nos méfiances et aspirer à une plus grande intégration des cœurs ».
« Nous ne connaissons nos problème qu’à travers les médias. Autant dire que nous ne connaissons pas la vraie réalité. Il faudrait que les intellectuels acceptent d’aller sur le terrain pour appréhender par eux-mêmes ce qui s’y passe concrètement », a renchéri Mme Oumou Touré, native du nord et une militante active de la société civile.
Le nord du Mali était-il délaissé par le pouvoir central ? A travers la multitude des réactions, l’accent a été particulièrement mis sur les modalités de la décentralisation. Pourquoi une région comme Kidal dont tous les dirigeants politiques et administratifs étaient composés exclusivement de ressortissants locaux n’a pas pleinement bénéficié des avantages des projets de développement auto centré ? Ce fut une des questions récurrentes tout au long de la rencontre. La mauvaise gestion des ressources importantes mobilisées pour les régions du nord a été systématiquement dénoncée par de nombreux intervenants.
« La vraie guerre à mener est celle du partage du pouvoir économique a indiqué un participant avant d’ajouter que la décentralisation a plutôt consisté à « décentraliser, en fait, la pauvreté ». La mauvaise gouvernance des différents gouvernements dans la gestion des crises successives du nord ont été largement soulignées.
À cet égard, certains participants ont stigmatisé la conduite de nombreux intercesseurs, touaregs pour la plupart, appelés à jouer un rôle déterminant dans la médiation entre les différentes rebellions et le pouvoir central de Bamako les accusant de malversations dans la manipulation des fonds destinés au développement du nord. « Tout ce que l’Etat central a versé pour le nord, n’a servi qu’à faire le beurre de quelques uns » a déploré un intervenant.
La mauvaise gouvernance en matière de sécurité d’une part et d’autre part l’absence ou la marginalisation de l’Etat (postes administratifs vacants dans les faits ; l’autorité hiérarchique traditionnelle règne en réalité) ont entraîné de lourdes conséquences comme la démilitarisation des régions du nord qui a considérablement fragilisé les structures administratives régionales. De fait, ont fait remarquer plusieurs participants, la partie malienne du Sahara était devenu un no man’s land incontrôlé et livré à des activités prohibées comme le trafic à grande échelle des armes et surtout de la drogue.
« Les accords de paix comportaient des dispositions déstabilisatrices pour l’autorité de l’Etat comme par exemple celle qui a consisté à mettre sur pied au nord des troupes composées uniquement d’anciens rebelles » a souligné un participant. Le constat général a mis un accent sur la construction d’un vrai Etat pour rendre crédibles les perspectives de sortie de crise. « L’Etat malien a failli à ses responsabilités régaliennes proteste avec véhémence un participant. Le Mali souffre de la piètre qualité des hommes en charge des affaires publiques. Il faudra que cela change radicalement ».
« La justice est au cœur de beaucoup de rébellions a déclaré un jeune ressortissant « bella » (ancien esclave) du nord. J’ai fait deux fois le concours de la magistrature en vain. J’ai vu remettre à des candidats des épreuves déjà traitées par des examinateurs. Tant qu’il n’y a pas de justice entre tous les Maliens, il faudra s’attendre à d’autres rébellions ».
« Ce qui nous arrive n’est pas fortuit. C’est la conséquence du refus de réfléchir. Nos outils d’analyse de nos réalités sont des outils étrangers. Le nord du Mali est au centre d’une bataille géostratégique mondiale. Il y a des intérêts qui nous dépassent. Si nous ne forgeons pas nos propres stratégies d’approche, nous serons écrasés » a soutenu un autre participant.
La crise libyenne s’est invitée dans les débats. Les premières vagues de jeunes touaregs à destination de la Libye remonte à la grande sécheresse des années 70 qui a décimé le cheptel et compromis les récoltes céréalières. Ces jeunes ont été alors recrutés pour aller combattre dans la bande d’Aouzzou aux côtés des troupes de Kadhafi.
« Dès lors, a fait remarquer un participant ressortissant du nord, Kadhafi a fait partie intégrante des rébellions touareg et non des solutions. Il a cassé les communautés touareg en les opposant les unes aux autres ». « Les événements actuels du Mali, a renchéri le président du Conseil régional de Kidal, est une des retombées de la crise libyenne ».
Pour de nombreux observateurs des sociétés touaregs, notamment les ressortissants de la région de Kidal à majorité touareg, la crise malienne, en plus des raisons inhérentes à la mal gouvernance politique et administrative, est aussi la conséquence de la désintégration des mécanismes endogènes de règlement des conflits au sein des sociétés traditionnelles touaregs.
Jadis, structurées autour d’un système de chefferie bien organisé, les sociétés traditionnelles touaregs géraient les tensions internes grâce la concertation. Les rencontres communautaires au sein d’un même clan et entre différents clans permettaient d’anticiper les crises. « Le pouvoir de la parole permettait un mode de gestion démocratique garantissant la paix. » a témoigné un notable de Kidal.
La colonisation, soucieuse de maintenir l’ordre administratif à tout prix, avait créé des structures de coercition destinées à mater toute velléité de trouble. Goumiers et fellaghas bien entraînés et maitrisant parfaitement le territoire sous administration coloniale quadrillaient en permanence les grands espaces du nord ne laissant aucune chance à la moindre rébellion de se développer durablement.
Quand survint l’indépendance, a expliqué un anthropologue, les nouveaux maîtres du pays avaient plus à cœur de conquérir des militants politiques que de se soucier des équilibres sociaux et économiques au sein des sociétés touaregs. Ils n’ont ainsi pas su prendre en compte les facteurs endogènes porteurs de causes de dissension. Ils ont laissé s’exacerber les antagonismes entre les tribus et entre celles-ci et l’administration. Les incompréhensions se sont aggravées engendrant la méfiance et l’hostilité à la faveur desquelles le sentiment d’appartenance nationale s’est considérablement effrité.
S’agissant des relations entre les différentes composantes raciales nationales, pour beaucoup d’observateurs, les touaregs cultivent un sentiment raciste à l’endroit des autres ethnies. Pourtant, selon le témoignage de plusieurs participants originaires de Tessalit, il n’en était rien. Ils ont plutôt mis l’accent sur la culture du brassage ethnique en vigueur dans leurs localités illustré par la pratique courante des mariages et autres alliances interethniques.
Au terme des travaux, faisant ressortir la principale aspiration de l’assistance, le président-fondateur de Djoyoro Fa, M. Konimba Sidibé, soulignera le besoin impératif d’«aller à la rencontre de l’autre». « Il faut, a-t-il déclaré avec insistance, améliorer notre connaissance des réalités touaregs. »
Se faisant l’écho d’un avis partagé par beaucoup de participants, M. Konimba dira que « le Mali a été sacrifié sur l’autel de la Libye ». Il mettra aussi l’accent sur la refondation « d’un Etat moderne plus démocratique où la culture de l’injustice et de l’impunité sera bannie de nos pratiques ».
« Le Mali, explique M. Konimba Sidibé, ne peut se sortir d’affaire tout seul. La crise qu’il vit concerne le reste du monde. La solidarité internationale est donc indispensable pour nous aider à surmonter la crise que traverse le pays. Si le Mali avait été à la hauteur en termes de gouvernance on aurait fait l’économie de bien de crises douloureuses.»
« Il ressort de nos travaux, poursuit M. Sidibé, qu’un appel pressant pour un Etat fort a été lancé à tous. De même nous avons besoin de promouvoir un autre modèle géostratégique qui intègre une globalisation fondée sur des rapports équitables entre nations ».
Les résultats des travaux de la conférence seront largement diffusés et feront l’objet d’une autre conférence ouverte au grand public