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Chefs d’Etat africains : Ces fils maîtres du jeu du pouvoir
Publié le lundi 21 juillet 2014  |  L’aube




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En Afrique, on observe, hélas, de plus en plus que la transmission du pouvoir ne s’effectue plus au terme d’une compétition politique. Mais au travers d’une transmission quasi patrimoniale mise en scène par la famille et le clan. Les illustrations en la matière sont assez éloquentes. Pourquoi et comment les enfants des présidents en Afrique arrivent-ils à monter sur le trône, devançant des concurrents plus habilités qu’eux à prendre en main les destinées du pays ? Eléments de réponse

L'interrogation ne manque pas de pertinence. Au fil du temps, les observateurs de la scène politique africaine ont le sentiment que les présidents africains semblent se passer de plus en plus souvent le mot pour créer des situations similaires à celles qui ont prévalu au Togo, au Congo Démocratique ou au Gabon où les fils de chefs d’Etat sont actuellement au pouvoir. Dans ces trois pays, les « héritiers » (il faut bien les désigner ainsi) ont remplacé les pères dans le but avant tout de préserver les acquis de la famille et du clan. Un tour d'horizon permet de constater qu'au Sénégal ou au Niger un scénario similaire était en marche, mais n’a pas abouti. Plus récemment, au Mali, le cas du fils du président Ibrahim Boubacar Kéïta a défrayé la chronique.

L’on se rappelle que, présenté à l'Elysée, Karim Wade s'était défini comme l'héritier du «Gorgui» (surnom donné à son père). Au forcing, et avec la bénédiction de son géniteur, Karim voulait s’emparer de la mairie de Dakar. Mais la route lui en a été barrée par l’opposition sénégalaise. Agacé par ce contretemps imprévu, son père lui avait offert un autre tremplin en le bombardant à la tête d’un super département au point que la presse sénégalaise avait ironiquement qualifié Karim de « ministre des mers, des terres et de l’air ».

L’on se rappelle aussi que quand Wade est arrivé au pouvoir, il avait fait appel à ses deux enfants, Karim et Sindiély, qui se trouvaient alors à l’étranger. Il leur avait demandé de revenir au Sénégal travailler à ses côtés. A l’époque, le président Wade disait que "le rôle de Karim, c’est d’être... mon fils. Il m’aide provisoirement à la mise en place des services de la présidence de la République. Karim me conseille, mais il n’a pas de bureau à la Présidence. Il sait des choses que je ne sais pas. C’est un homme d’action". Si au départ, Karim n’était que conseiller de son père, les choses ont évolué très rapidement pour lui. Deux ans après l’accession à la magistrature suprême du « Vieux », le fils de l’ancien chef d’Etat avait quitté ses fonctions de "associate director" dans le département Corporate Finance de la SBC Warburg (une grande banque londonienne spécialisée dans les télécommunications), où il a travaillé pendant six ans, pour venir épauler son père. En fait, c’était pour descendre dans l’arène politique, appuyer Abdoulaye Wade dans l’exercice du pouvoir et se positionner en tant que successeur.
Le même scénario sera-t-il déclenché pour Mohamed Alpha Condé, le fils unique du président guinéen Alpha Condé ? Polyglotte (outre le français, il maîtrise l'anglais, l'espagnol et le portugais), Mohamed a servi d'interprète officiel à son père avant que ce dernier ne le nomme en août 2011, conseiller à la Présidence. L’intitulé très vague de la fonction a suffi pour qu'on soupçonne aussitôt l’héritier d'intervenir sur tous les dossiers sensibles traités à la présidence de la République, notamment ceux miniers. Les rumeurs d’intrusion dans les affaires délicates ont été soigneusement entretenues par l'opposition et par certains opérateurs en conflit ouvert avec le pouvoir, tel le diamantaire israélien Beny Steinmetz. En réplique, le président Condé a voulu se montrer catégorique. "Mon fils, a-t-il dit, n'est pas un homme d'affaires. Il suit pour moi des dossiers de coopération, notamment avec l'Afrique du sud". Cette mise au point n’a toutefois pas empêché le fils du président guinéen, au demeurant homme discret et "quasi invisible", de faire sentir aux initiés sa très grande influence. Si bien que la question qui se pose désormais, c’est de savoir si l’opposant historique guinéen devenu le premier président démocratiquement élu en Guinée encouragera son fils à franchir le Rubicon qu’ont traversé les « fils de … » au Togo, au Gabon ou encore au Congo démocratique. Mais il est aussi possible que Alpha Condé saura résister à la tentation du scénario dynastique, ainsi que l’avait fait son presque homonyme Alpha Oumar Konaré, ancien président du Mali qui a su mettre sa famille en dehors de la gestion du pouvoir, ou du moins hors d’une gestion ostentatoire et arrogante.
« Les enfants de … » ne se destinent pas obligatoirement aux plus hautes fonctions. Contrairement à son frère Karim, Sindiély Wade avait une fonction bien définie au palais de la République. Elle s’était mise au service de son père en qualité d’assistante spéciale du président de la République. Elle avait en charge l’agenda du chef de l’Etat et remplissait la fonction qui était celle de Claude Chirac, Conseiller en communication, presse-opinion de Jacques Chirac. Ou encore un peu celle de Assiatou Traoré dite Pitiou auprès du président de la Transition malienne, Dioncounda Traoré. Extrêmement discrète à ses débuts, aidant à la saisie des discours de son père et gérant certains de ses agendas, Mademoiselle Traoré a, au fil du temps, pris du galon et était de presque tous les voyages présidentiels sans qu’un titre officiel ne lui soit affecté dans les délégations. Prenant goût aux délices du pouvoir, elle a vu son nom cité pour une sulfureuse affaire d’hydrocarbures dans un article du très respectable confrère « La Lettre du Continent », article repris par un journal local « Le Sphinx ».
Restons au Mali. Qu’en est-il de l’influence réelle du désormais « homme fort de Sébénicoro » Karim Kéïta sur qui la presse malienne tire à boulets rouges pour son influence débordante dans le choix des hommes à des postes aussi importants que celui de président de l’Assemblée nationale ? La presse lui prête à tort ou à raison le projet d’évincer l’ancien Premier ministre Oumar Tatam Ly qui est pourtant le choix du Président IBK. L’homme de rigueur et de poigne que sait être le chef de l’Etat laissera-t-il faire ? Rien n’est moins sûr. Même si beaucoup rappellent des propos prêtés à IBK, alors tout puissant Premier ministre et président du parti au pouvoir ADEMA-PASJ, qui en s’adressant à des élèves et étudiants les avait mis en garde presque vingt ans plus tôt : « Si vous refusez d’étudier, nos enfants viendront vous gouverner ici », aurait-il lancé sans se douter que sa boutade pourrait bien devenir prédiction.
Quoi qu’il en soit, en Afrique, les « enfants de … » donnent de plus en plus fréquemment l’impression de vouloir se construire un destin enviable en profitant de la présence au pouvoir de leur géniteur. Sous l’ère ATT, ses filles, principalement la plus jeune Mabo, étaient citées à tort ou à raison dans plusieurs affaires dites juteuses du pays. Au Niger, à la même époque, le président Mamadou Tandja avait fait modifier la Constitution pour pouvoir passer la main à son fils Ousmane dit «Gobert», le chouchou des Chinois. Plus stratège, le défunt doyen Omar Bongo Ondimba a discrètement encouragé son fils Ali Bongo à aller se présenter à l'Elysée et en juin 2008, il aurait parlé de son «fiston» sous la tente à Tripoli, au colonel Kadhafi qui préparait lui-même Seif EI-Islam à prendre sa succession.
A Brazzaville au Congo, les mauvaises langues parlent du fils du président, Denis Christel dit «Kiki» qui serait en embuscade. Il serait soutenu par sa grande sœur Claudia, conseillère très écoutée du président de la République, Denis Sassou Nguesso.
Gamal Moubarak, qui semblait promis en Egypte à une ascension fulgurante, a vu sa trajectoire brutalement interrompue par le printemps arabe. Gamal avait pourtant mis en place le système qui devait le porter à la magistrature suprême. A la tête d'une commission politique du parti majoritaire, il avait réussi à placer bon nombre de ses hommes à la tête de ministères de souveraineté.
Au Tchad, l'héritier Brahim Déby, assassiné à Paris dans des conditions troubles, se comportait en futur Numéro 1. Le chef de l’Etat laisse aujourd'hui les cousins profiter des avantages du pouvoir. La preuve? Ils sont parachutés à la tête de grandes institutions ou de sociétés juteuses.
Au Gabon et au Togo, ce fut le même scénario de guerre de succession dans les familles qui s’est déclenché après le décès du père président. Dans le premier pays cité, à peine Omar Bongo porté en terre, les ambitions vont se libérer brutalement au grand jour. Alors qu’à Lomé le président Faure Eyadema, pour se débarrasser de son frère Kpatcha, l'accuse de tentative d'atteinte à la sûreté de l'Etat, le fait arrêter et jeter en prison.

En République Démocratique du Congo (RDC), la thèse de la conspiration contre Joseph Kabila a été brandie contre les gêneurs. Le rôle de cerveau du pseudo-complot a été attribué à Etienne Kabila Taratibu. Ce dernier avait toujours revendiqué le statut de fils aîné de Laurent Désiré Kabila, ancien président de la République et défunt père de l'actuel chef de l'Etat. Parti en 2002 en exil en Afrique du sud, sous prétexte de participer au dialogue inter congolais, Etienne Kabila s’était illustré par de fréquentes attaques incendiaires contre son présumé demi-frère. Se présentant comme l’aîné biologique des descendants de Laurent Désiré Kabila, Étienne avait accusé l'actuel maître de la RDC d'imposture, l'appelant Hippolyte Kabangé, prénom et nom sous lesquels Joseph Kabila aurait été scolarisé à Dar-es-Salam en Tanzanie.
Etienne a toujours affirmé craindre également pour sa vie. Il faisait ainsi allusion à la disparition d'une sœur, Aimée Kabila, qui revendiquait elle aussi sa part de l'héritage paternel. Cette femme avait été assassinée chez elle à Kinshasa dans la nuit du 15 au 16 janvier 2008 par des hommes armés. Une autre sœur, Hortense Kabila, avait subi le même sort, abattue dans sa résidence de Lubumbashi par sa garde rapprochée. Enfin, un autre frère Oscar avait été retrouvé empoisonner en décembre 2011. Aujourd'hui mis aux arrêts par la police sud-africaine en compagnie de 19 autres personnes, Etienne est accusé d'avoir voulu renverser son frère Joseph Kabila.

Il arrive que le cercle des prétendants à la succession dynastique s’élargisse à d’autres proches de la famille. Au Burkina Faso, le beau-frère du président Blaise Compaoré tout comme son frère cadet, François Compaoré, et la belle-mère de ce dernier, Alizèta Ouédraogo dite "Gando", une richissime femme d’affaires, constituent un cercle actif dans les affaires publiques du pays. Pour sa part, Lucien Marie-Noël Benbamba, époux de la sœur cadette des Compaoré, est directeur général du Trésor.
De tous les pays africains, le Togo, est celui qui se distingue le plus dans l’implication de la famille présidentielle dans la gestion des affaires de l’Etat. Le lieutenant-colonel Ernest Gnassingbé, l’aîné des fils de feu Gnassimbé, commande la garnison de bérets rouges du camp Landja de Kara dans le Nord du pays. Le capitaine Rock Gnassingbé, pour sa part, est à la tête du groupement des blindés et occupe accessoirement la présidence de la Fédération togolaise de football.
Au niveau de l’Assemblée nationale togolaise, siège un autre fils du président Eyadema. A la direction de la Société d’administration de la zone franche (Sazof), se trouve un des fils du défunt chef de l’Etat, Kpatcha. Les filles Eyadema, elles, sont toutes mariées aux hommes forts du régime. Le Premier ministre Agbéyomé Kodjo et le ministre des Affaires étrangères Koffi Panou ont convolé en secondes noces avec des filles du général-président.
L’ère IBK fait entrer le Mali dans le cercle des pays où la famille a une forte implication dans la gestion du pouvoir. Le président de l’Assemblée nationale est le beau-père du fils du Président. Au moins trois ministres sont des neveux ou des beaux-parents de l’épouse du président de la République.
Ce nouveau mode de prise de pouvoir en Afrique se révèle très inquiétant et soulève un certain nombre de débats se rapportant à l’âge des présidents et la gestion de l’alternance. La boutade bien connue de Félix Houphouët-Boigny «En Afrique, on ne peut pas désigner quelqu’un du doigt en disant qu’il est un ancien chef». Même si cette boutade n’a plus valeur de jugement universel, elle continue de rappeler que l’alternance politique n’est pas une valeur facilement mise en œuvre en Afrique.
Quand un président a du mal à transmettre à ses enfants le sceptre présidentiel, il choisit le plus souvent de s’y accrocher vaille que vaille. Le Nigérien Mamadou Tandja aura payé de sa réputation cet appétit insatiable. Mais son expérience ne semble guère servir de leçon. Nombreux en effet sont les chefs d’État qui gardent les rênes de leurs pays malgré une longévité hors norme, et/ou qui restent à leur poste malgré un âge bien avancé. Petit tour d’horizon des indéboulonnables et des « papies » présidents. Depuis la mort de Omar Bongo (41 ans de pouvoir), le peloton de tête africain comprend quatre trentenaires ou presque : Robert Mugabé, zimbabwéen, 87 ans. 31 ans de pouvoir ; Teodoro Obiang Nguema, équato-guinéen, 69 ans. 32 ans de pouvoir ; José Eduardo dos Santos, angolais, 69 ans. 32 ans de pouvoir, Paul Biya, camerounais, 78 ans. 29 ans de pouvoir. Puis viennent Yoweri Museveni, ougandais, 67 ans. 25 ans de pouvoir. Omar el-Bechir, soudanais, 67 ans. 22 ans de pouvoir. Blaise Compaoré, burkinabè, 60 ans. 24 ans de pouvoir.
Il faut cependant distinguer le cas de ces dinosaures de celui de certains chefs d’Etat qui viennent très tard au pouvoir et qui se font remarquer par leur âge avancé. C’est la situation qu’a connue Abdoulaye Wade, aujourd’hui âgé plus de 83 ans et que connaissent aujourd’hui Alpha Condé de la Guinée Conakry, la libérienne Ellen Johnson-Sirleaf, 71 ans, première présidente africaine en fonction depuis « seulement » 2006 et Ibrahim Boubacar Kéïta du Mali, 69 ans et quelques mois de présidence.
Tous les vieux chefs d’Etat africains présentent des bilans divers et ne peuvent, bien sûr, être mis sur un pied d’égalité. Mais force est de reconnaître que c’eût été une chance pour le continent africain si plus souvent dans les hautes sphères des Etats, vieillesse rimait avec sagesse.

MAFILA

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