Des victimes de violations graves des droits humains lors du conflit au Nord du Mali en 2012 constituées parties civiles et accompagnées par la FIDH et l’AMDH ont, pour la première fois, témoigné devant la justice malienne ces derniers jours. Alors que ces auditions constituent une première étape pour donner la parole aux victimes, nos organisations s’inquiètent de voir la lutte contre l’impunité des auteurs des crimes les plus graves remise en cause par les négociations politiques en cours et l’échange de présumés responsables de violations des droits humains contre des prisonniers de guerre.
Nos organisations réaffirment l’importance de la tenue de négociations politiques permettant d’aboutir à un accord de paix définitif, inclusif mais rejettent toute impunité pour les auteurs des crimes les plus graves, l’impunité étant l’une des causes du conflit actuel.
Plusieurs victimes de graves violations des droits humains ont été entendues par des juges d’instruction maliens ces derniers jours. Ces auditions sont les premières de victimes constituées parties civiles dans les procédures judiciaires ouvertes par la justice nationale sur les crimes perpétrés au Nord du Mali sous le contrôle des groupes armés.
« Que des juges d’instruction maliens puissent entendre pour la première fois des victimes des graves violations des droits humains perpétrées au Nord du Mali est une première victoire pour toutes les victimes qui veulent que leur histoire soit entendue, que la vérité éclate et que leurs bourreaux soient jugés » a déclaré Maître Patrick Baudouin, responsable du Groupe d’action judiciaire et président d’Honneur de la FIDH.
Le 24 juin 2014, l’AMDH et la FIDH avaient rencontré le président de la République qui avait réaffirmé à la délégation son attachement à une solution pacifique, négociée tout en ne ménageant aucune impunité aux auteurs de violations des droits humains.
« Les négociations politiques sont un impératif pour parvenir à un accord de paix définitif et inclusif respectant l’unité nationale mais seraient un échec si les droits des victimes à la justice, à la vérité et à la réparation n’étaient pas garantis », a déclaré Maître Moctar MARIKO, Président de l’AMDH.
Le 15 juillet 2014, le gouvernement malien a procédé à la libération puis à l’échange de 42 éléments des groupes armés présumés auteurs de graves violations de droits de l’homme et inculpés par la justice malienne, contre 45 éléments des forces armées et de sécurité capturés par les groupes armés lors des combats 17 mai 2014 à Kidal. Cet échange de prisonniers est intervenu à la veille de l’ouverture des négociations politiques, le 16 juillet 2014 à Alger.
« Si nous comprenons les raisons humanitaires de cet échange, de telles libérations à caractère politique peuvent être préjudiciables aux droits légitimes des victimes à voir avancer les procédures judiciaires relatives aux crimes commis au nord, nomment garantir que les responsables répondent de leurs actes au cours d’un procès juste et équitable », a déclaré M. Karim Lahidji, président de la FIDH.
Ces événements se déroulent sur fond d’une recrudescence de combats et d’altercations armées entre belligérants dans le but d’être en position de force au cours des négociations politiques qui ont débuté à Alger depuis le 16 juillet 2014.
Ainsi, le 10 juillet 2014 aux alentours de Tabankort (près d’Anéfis) les éléments armés du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) du Haut Conseil pour l’unicité de l’Azawad (HCUA) et du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) se sont violemment affrontés avec des hommes de la coalition tripartite. Cette coalition, proche des autorités de Bamako, est composée d’une partie du Mouvement arabe de l’Azawad dirigé par Ahmed Sidi Ould Mohamed (MAA loyaliste), des membres de la tribu touareg des Imghads et de la Coordination des mouvements et forces patriotiques de résistance (CM-FPR).
Le 15 juillet 2014, une attaque suicide revendiquée plus tard par le groupe groupe jihadiste Al-Mourabitoune de Mocktar Belmoktar, un ancien chef d’AQMI, a ciblé des forces françaises dans le secteur d’Al Moustarat à une centaine de kilomètres de Gao. 7 militaires français ont été touchés par l’explosion.
L’un des trois militaires grièvement blessés, le légionnaire Dejvid Nikolic, est décédé dans la soirée selon les autorités françaises. Il s’agit du neuvième soldat tué au Mali depuis le lancement de l’opération Serval en janvier 2013 et le premier à décéder des suites d’une attaque suicide, bien que des telles opérations aient déjà eu lieu dans le nord du pays contre des casernes où étaient stationnés des soldats français et africains.
Depuis le 20 juillet 2014, de violents affrontements entre des groupes armés se réclamant du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) d’un côté et du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) de l’autre se déroulent à Tarkint dans le cercle de Bourem.
Rappel des faits :
Le 18 juin 2013, le gouvernement du Mali et la coordination du Mouvement National de Libération Nationale de l’Azawad (MNLA) et du Haut Conseil pour l’unicité de l’Azawad (HCUA) ont conclu à Ouagadougou un « accord préliminaire à l’élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix au Mali » ayant permis la tenue, en juillet et août 2013, d’un scrutin présidentiel. Cet accord avait prévu entre autres la conclusion d’un accord définitif 60 jours après l’élection présidentielle, le cantonnement des groupes armés, la mise en place d’une commission d’enquête internationale sur les crimes commis au nord et la prise des « mesures de confiance ». En dépit de ces engagements, la Commission d’enquête internationale n’a pas encore été mise en place.
En octobre 2013, le gouvernement du Mali a procédé à la levée de six mandats d’arrêts et à la libération de 23 éléments du MNLA et HCUA.
Le 17 Mai 2014, lors de la visite du Premier ministre Moussa Mara à Kidal, huit fonctionnaires maliens ont été tués dans le gouvernorat et 32 autres arrêtés au cours de violents combats entre les forces de sécurité maliennes et les groupes armés avant qu’ils ne soient relâchés le 19 mai 2014.
Le 21 mai 2014, les forces armées maliennes (FAMA) ont lancé une offensive contre les groupes armés de Kidal qui s’est soldée par une soixantaine de morts et plusieurs dizaines de prisonniers chez les FAMA et des dizaines de morts parmi les groupes armés, notamment le MNLA et HCUA.
Face à cette escalade de la violence et ces violations du cessez-le-feu, nos organisations avaient exhorté les parties à venir à la table de négociations.
Les négociations politiques qui se sont ouvertes à Alger le 16 juillet 2014, regroupent d’un côté le gouvernement malien et la Coordination des mouvements et forces patriotiques de résistance (CMF-PR) et de l’autre côté les groupes armés du Mouvement National de Libération Nationale de l’Azawad (MNLA), du Haut Conseil pour l’unicité de l’Azawad (HCUA) et du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA). La Coordination des mouvements et forces patriotiques de résistance (CMF-PR) regroupent les éléments des milices armées pro-gouvernementales de Ganda-Koy, le Front de Libération des régions Nord du Mali (FLN), de Ganda-Izo, de l’Alliance des communautés de la région de Tombouctou (ACRT), de la Force armée contre l’occupation (FACO), et du Cercle de réflexion et d’Action (CRA).
Sous l’égide des Nations unies, de la CEDEAO et de 5 pays de la région dont l’Algérie, les négociations politiques doivent permettre d’aboutir à un accord de paix dans le respect de l’intégrité territoriale du Mali selon les termes négociés pendant de longs mois en vue de la tenue de ces négociations.
International Federation of Human Rights (FIDH)