Une trentaine d’étudiants de l’Institut national de formation des travailleurs sociaux (Infts) sont à couteaux tirés avec le Centre national des œuvres universitaire (Cenou). Ils accusent la structure chargée de la gestion des bourses des étudiants d’avoir bloqué les leurs. Certains d’entre eux n’ont touché aucun centime de leurs sous depuis l’ouverture de l’année 2014, alors qu’ils ont eu la certitude que leurs montants ont été versés par le trésor dans leurs comptes bancaires. La raison ? Ecobank a reçu l’ordre du Cenou, de bloquer lesdites bourses. Le Cenou se défend : ces étudiants étaient inscrits dans deux facultés en 2013 et ont touché deux bourses la même année, cela est inacceptable. Nous avons enquêté. Notre reporter a rencontré les étudiants, l’administration universitaire (Infts, Cenou), des responsables dans les départements concernés (ministère de la Solidarité, de l’Action humanitaire et de la Reconstruction du nord ; de l’Enseignement supérieur et la Recherche Scientifique). Le Cenou qui a instruit la décision de blocage aux services d’Ecobank, n’est pas blanc comme neige dans cette affaire de bourses. Le Cenou s’embourbe.
Le phénomène devient très récurrent et pose énormément de problèmes aux étudiants boursiers. Il s’agit des cas d’omissions dans l’attribution des bourses, et de double inscription qui ont conduit au blocage des comptes boursiers au niveau de la banque.
Pour les amener à restituer l’une des deux bourses perçues, le Cenou affirme avoir ordonné la rétention de leurs bourses. Une mesure que ces derniers disent ne pas comprendre. «Je pense que le Cenou et la Banque jouent un double jeu avec nous. Nous avons nos bourses dans nos comptes, mais ne pouvons pas y accéder. Au niveau de la Banque, on nous informe que c’est le Cenou qui a donné l’ordre de ne pas accéder à nos comptes, parce que nous avons pris deux bourses en 2013, au titre de l’Infts et de la faculté. Pour qu’on ait accès à nos sommes, ils veulent nous prélever d’abord les sommes d’une des bourses prises en 2013. On nous demande d’aller au guichet faire la mise à disposition de nos comptes. Chose que nous refusons. Nous voulons qu’on nous dise la destination de ces sommes qu’on va nous soustraire », proteste Oumar Traoré, étudiant à l’Infts. Sans être contre cette rétention, ils demandent à avoir des réponses à certaines interrogations auprès des autorités en charge de l’institut pour en avoir le cœur net.
Existe-t-il un texte interdisant aux étudiants inscrits à la fois à l’Institut et à la Faculté, de bénéficier de la bourse au niveau de chacune de ces structures ? Le Cenou s’est opposé à la prise des deux bourses, mais les sommes coupées au titre de la deuxième bourse seront-ils versées au trésor public?
D’où viennent les bourses de l’Institut ?
Du point de vue de certains étudiants de l’Institut national de Formation des Travailleurs sociaux, cette école relevant du ministère de la Solidarité, de l’Action humanitaire et de la Reconstruction du nord, les bourses de cet établissement ne doivent pas être confondues avec celles de l’Université relevant du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Et de ce point de vue, un étudiant qui est doublement inscrit à l’institut et à la Faculté devrait bénéficier des deux bourses. Ce d’autant plus que la bourse des étudiants est comprise dans le budget de l’Institut, validé par le département de tutelle. Cependant, au ministère de la Solidarité, de l’Action humanitaire et de la Reconstruction du nord, nous avons eu la précieuse précision qu’il n’est point question de bourse de soutien quelconque pour les étudiants de l’Institut, mais que toutes les bourses sont gérées par le Cenou y comprises celles de l’Institut.
Une précision confirmée par Idrissa Kéita, chargé de mission au ministère de la Solidarité, de l’Action humanitaire et de la Reconstruction du nord, qui affirme que les bourses de l’Infts ne viennent pas du département, mais du Cenou qui gère la situation des étudiants à travers un système de bancarisation. «Le département n’est que tutelle en termes d’encrage», a-t-il dit.
Au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, le chargé de mission, Adama Coulibaly, indique que l’Institut ne relève pas de l’Enseignement supérieur, mais que la gestion de sa bourse relève du Cenou.
Le chef de la cellule informatique et de communication du Cenou, Ahmadou Z. Traoré, explique : « le Cenou ne peut empêcher un étudiant de s’inscrire dans deux ou trois facultés en même temps, mais il ne peut donner qu’une seule bourse à l’étudiant et pas plus par an. Et on a mené des campagnes de sensibilisation, d’information à leur endroit en les invitant à se faire identifier pour le compte d’une seule faculté ou Institut ». Pour lui, il n’y a pas de blocage dans le paiement de leur argent. Ils ne remboursent au trésor que ce qu’ils ont pris illégalement à l’Etat. «Les bourses ont été débloquées pour ceux dont le montant à prélever dans le compte est suffisant pour un reversement au trésor. Par contre, les étudiants qui ont pris les deux bourses en même temps, se voient leurs comptes mises sous restriction jusqu’à ce que le montant que le Cenou a demandé à la banque de reverser au trésor soit atteint», a-t-il dit.
De son côté, le directeur par intérim de l’Infts, Oumar Konaté, a également indiqué que le Cenou est le seul à détenir le fichier d’identification des bourses des étudiants. De ce fait, il est en mesure d’identifier les étudiants qui sont inscrits dans deux structures universitaires. «Il y va de soi donc qu’un étudiant qui joue double jeu en prenant deux bourses, qu’il rembourse au trésor», a-t-il conclu.
Le Cenou dans le bourbier
Malgré les justifications données par les différents responsables, tout porte à croire qu’il y a anguille sous roche dans cette affaire de bourses au niveau de ce service chargé de la gestion des aspects non académiques de la vie des étudiants et dont la mission est l'amélioration des conditions de vie des étudiants. Souleymane Issa Traoré est un ancien universitaire qui a fréquenté la Faculté des Sciences technique (FAST) qu’il a terminé en 2010, sans pouvoir percevoir ses bourses de deux dernières années (2008 à 2010 : licence et maîtrise). Jusque là il court derrière sa bourse. Qu’est-ce qui s’est réellement passé dans le cas de Souleymane Issa Traoré ? Sa conclusion est terrible. Il estime qu’il est en train d’être volé par le Cenou avec la complicité d’Ecobank, par la soustraction frauduleuse dans son compte. Tenez ! Souleymane Issa Traoré, après six années d’âpres luttes, de 2008 en sa qualité d’étudiant, jusqu’à ce jour en tant qu’enseignant, explique sa longue attente et ses démêlées avec le Cenou : «Je faisais la Faculté des sciences et techniques, section Math-Physique-Chimie. J’ai passé ma licence en 2008-2009, et ma maîtrise en 2009-2010. Durant ces deux ans, je n’ai pas eu mes bourses. A l’époque, on me faisait comprendre que je faisais partie des omis à cause de la bancarisation. Et on m’a recensé comme les autres omis. Mais quand j’ai terminé avec la Fast en 2010, avec ma maitrise, j’ai postulé au concours de l’Ensup la même année. Admis, j’ai continué avec l’Ensup sans obtenir mes bourses de la licence et de la maîtrise de la Fast, mais ayant toujours en tête que je les aurais tôt ou tard, car on m’avait rassuré. La bourse de l’Ensup était différente de celle de la Fast. A l’Ensup, je n’ai pas été confronté à ce problème, car j’étais payé en 2011 par l’économe. Quand ma carte bancaire est sortie à l’Ecobank en 2012, l’économe m’a dit que mon paiement sera désormais fait par la Banque. Et durant l’année 2012, la carte bancaire était inexploitable. Quand j’ai réclamé, on m’a dit d’attendre que c’est en cours de traitement. Dans cette situation, j’ai soutenu le 9 juillet 2013. Quelques jours après, toutes mes allocations de l’Ensup sont tombées dans mon compte. (A noter que tous les mouvements de compte sont signalés par un message alerte au téléphone de l’intéressé). J’ai été retiré la somme sans problème.
Et en fin 2013 vers décembre, un soir, j’ai reçu un message alerte (au téléphone) du dépôt de 183 000 Fcfa. Je me suis dit que c’était une partie des arriérés de la Fac. J’ai retiré la somme aussi sans difficulté. Ensuite, j’ai reçu le 5 juillet 2014 un dépôt de 831.250 Fcfa dans mon compte. Là, je pensais que c’était le reste de mes arriérés. Et du 5 juillet au 23 juillet 2014, je ne suis pas parvenu à accéder à mon compte. Mais le même 23 juillet, vers 17h 45 mn, j’ai reçu le message de retrait de 193.000 Fcfa alors que je n’ai pas accès à mon compte. C’est en ce moment que je me suis rendu à Ecobank (siège central) pour en savoir plus. Là, on m’a dit d’aller à l’agence Ecobank «Djigué». Arrivé là-bas aussi, après vérification, ils disent que mon compte est sous restriction. Motif évoqué par eux: que je suis inscris dans deux facultés, qu’il y a eu deux bourses dans mon compte. Ce qui est faux et archi-faux. Car quand je rentrais à l’Ensup, j’avais terminé avec la Fast en laissant mes deux ans arriérés de bourses. Là, ils m’ont dit d’aller voir le Cenou. Comme à la Banque, au Cenou, j’ai expliqué que je n’ai jamais fréquenté deux facultés en même temps. Ils m’ont demandé le temps de vérification».
Le Cenou dos au mur
Sans lâcher prise et sûr de son bon droit, Souleymane Issa Traoré persiste auprès du Cenou, cherchant à comprendre comment ses sous ont été soustraits, par qui et pourquoi, alors que son compte est sous restriction ? Qui était à l’origine de cette ponction sur son compte, qu’il n’aurait dû jamais savoir sans l’alerte de son téléphone qui lui indique tous les mouvements sur son compte ? Il a posé la question à son interlocuteur à la Direction du Cenou, section bourse, du retrait de 193.000 Fcfa sur son compte alors qu’il n’en a pas accès. Souleymane Issa Traoré poursuit : « le technicien en informatique du Cenou, Fofana, reconnaît que c’est eux qui ont tiré cette somme de mon compte. Mais qu’il s’agissait d’un cas de transfert concernant un autre Souleymane Traoré à l’Ensup. Concernant le reste de mon argent, 638.250 Fcfa, il m’a demandé du temps pour vérifier si toute fois, cet argent dans mon compte n’appartenait pas à d’autres étudiants. Et quand je lui ai posé la question s’il était possible que deux étudiants aient le même numéro matricule, il a rétorqué que cela était impossible.
Une semaine après, je suis revenu au Cenou le voir. Dans son bureau, il m’a dit qu’il y a une certaine Fati Sy qui est à l’Ecobank qui gère ces genres de situation. Il a tenté de joindre cette dernière pendant 2h sans succès. Ensuite, Fofana lui a envoyé un e-mail pour qu’elle essaye de voir ma situation afin de me remettre dans mes droits. On a fait plus d’une heure aussi sans réponse. C’est ainsi qu’il m’a donné un bout de papier sur lequel est écrit le nom de Fati Sy. Il m’a demandé d’aller la voir de sa part, et qu’il lui a déjà expliqué la situation».
Contradiction entre agentd du Cenou et d’Ecobank
Selon Souleymane I. Traoré, le technicien en informatique Fofana avait soutenu que si Fati ne trouvait pas d’erreur après vérification, elle lèverait la restriction sur son compte. Ce qui allait permettre au requérant d’avoir avoir accès à son argent. Que trouve Fati Sy ? Aux dires de Souleymane Issa Traoré : « Quand je suis allé voir Fati Sy, elle me dit que le technicien lui a demandé des relevés (retraits) de mon compte qu’elle vient d’envoyer à Fofana, que je dois retourner voir. Là, j’ai insisté que c’est le même Fofana qui m’a dit de venir la voir et qu’il était impossible pour moi de retourner chez lui sans avoir des explications convaincantes. Ensuite, elle me dit d’attendre 48h pour utiliser ma carte. ET si ça ne fonctionnait pas, de retourner voir Fofana. Contrairement à ce que Fofana avait soutenu, Fati Sy explique qu’Ecobank ne fait aucune vérification, et que tout cela se faisait au Cenou. En plus l’ordre de restriction sur les comptes vient du Cenou », explique Souleymane.
Après les 48 h indiquées par Fati Sy, l’utilisation de la carte n’a rien donné et non pas sans avoir réessayé, Souleymane I. Traoré a tenté de joindre le technicien Fofana, une semaine plus tard. Mais il ne décroche pas, explique Souleymane.
Que sont devenus les 193.000 Fcfa tirés sur le compte de Souleymane I. Traoré par le Cenou et Ecobank? Deux étudiants peuvent-ils avoir le même numéro matricule? Pourquoi ces deux agents du Cenou et d’Ecobank se font le malin plaisir de tourner en bourrique les étudiants qui n’ont demandé qu’à avoir les sommes qui leur reviennent de droit? Y a-t-il un réseau mafieux au Cenou avec la complicité d’Ecobank pour détourner les bourses des étudiants? La Direction d’Ecobank et celle du Cenou sont elles au courant de ces agissements de leurs agents, face à la délicate question des bourses? Que fait le département de l’enseignement supérieur pour un dénouement heureux de ce problème ?
En tout cas cette complicité entre le Cenou et Ecobank cache mal des conséquences graves sur le cursus universitaire de certains étudiants. Combien d’étudiants ont-ils abandonné leurs dus à la banque à cause des interminables va-et-vient ? L’on se souvient aussi de la pomme de discorde entre le Cenou et les étudiants par rapport de la contribution à l’effort de guerre.
Hadama B. Fofana