Le syndicat des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO s`est retrouvé, jeudi dernier, dans la capitale sénégalaise pour décider du sort de deux peuples au banc de la Communauté: celui du Mali et celui de la Guinée Bissau considérés dans le vocabulaire de la ré-colonisation comme étant les deux grands malades de l’ouest-africain.
Pour ce qui est du nôtre, le médecin auscultant de loin, au regard des effets secondaires non prévus, a choisi de revoir à la baisse les doses prescrites… pour ne pas perdre le malade Mali.
Ainsi, contrairement à l’imposition d’un délai de transition et d’une jonction de celle avec la période intérimaire, la CEDEAO « demande (simplement) aux autorités de transition d’accélérer l’élaboration de la feuille de route de transition, avec un chronogramme d’actions (dispositions législatives, organisationnelles et opérationnelles) devant conduire à la tenue d’élections présidentielles et à la restauration totale de l’ordre constitutionnel, y compris la mise en place d’un cadre de concertation sur les questions importantes relatives à la mise en œuvre de la transition avec la facilitation du Médiateur ».
Et pour ce qui concerne l’envoi d’une force pour « sécuriser la transition », elle revoit sa copie et le subordonne à la demande expresse du gouvernement malien qui semble lui dire avec gentillesse : «Pour les hommes, merci, nous en avons ; reste les moyens et pour ça, la balle est dans votre camp ». Quid du casernement forcé de la junte ? La CEDEAO, qui avait pris ses désirs pour la réalité et pensait que ses menaces en l’air allaient effrayer et provoquer la débande à Kati, maintenant « demande au Médiateur de procéder à la revue du rôle du CNRDRE dans la transition en consultation avec les autorités de transition et, dans le respect de l’Accord cadre, faire des recommandations appropriées à la Conférence».
Reste la malheureuse équation du « président de la Transition » décrétée in abstracto par le syndicat des Chefs d’État en vertu de leur summa imperii qu’il s’est arrogé sur notre pays. Le silence radio des adoubeurs signifie-t-il un renoncement à leur projet d’imposer l’homme qu’ils souhaitent pendant le temps qu’ils souhaitent à la tête de notre pays? Ou simplement l’adoubé a-t-il reculé face au tollé que les décisions du sommet d’Abidjan ont provoqué ?
Interrogé par les journalistes à l’issue du sommet de la CEDEAO tenu le jeudi 3 mai à Dakar, le président de la République par intérim, M. Dioncounda TRAORE a trouvé une pirouette très ingénieuse pour répondre sans répondre: «Je me veux une solution et non problème pour le Mali. La Constitution ne prévoit que 40 jours, je ne ferai pas une seconde de plus au terme des 40 jours si telle est la volonté du peuple malien».
A première vue, l’on est enclin de féliciter le président intérimaire et de saluer son sens de responsabilité et son esprit de sacrifice. En effet, la manipulation des mots faisant son effet, M. TRAORE apparaît comme un homme qui ne veut surtout pas s’accrocher au pouvoir, un patriote dont le seul souci est le Mali, un démocrate qui est prêt à s’effacer pour la paix et la quiétude de son pays. Dès les premières heures du coup d’État, n’avait-il pas dit qu’il était prêt à se sacrifier (renoncer à son ambition présidentielle) pour sauver le Mali? Donc, quoi de plus normal, face au raidissement de la junte de Kati qui n’entend pas céder au-delà des 40 jours, que le même Dioncounda fasse encore preuve de «renoncement» pour sauver le même Mali!
L’argumentaire, quoique captivant, résiste-t-il à l’analyse profonde et aux enjeux du contexte?
Nous avons le plus grand respect pour le politique et le président, mais aucun pour le politicien et l’opportuniste, aucun verbiage politicien et la fuite en avant pouvoiriste. Quand on consent à laisser son pays aller à la dérive, sans s’en soucier pendant dix ans, on peut assez difficilement prétendre en être le sauveur.
Quand on est comptable du lourd bilan du Général ATT à la tête du Mali et qu’on ne s`en soit jamais démarqué, on est mal fondé à s’ériger en «sauveur» du Mali divisé. Quand on s`est tu pendant que le Mali allait à la catastrophe, on insulte les Maliens en proposant sa solution. Parce que quelle solution M. TRAORE peut-il être pour le Mali ou quelle solution peut-il offrir au Mali pour sa sortie de crise?
L’homme est perfectible; mais à moins de se renier, le politicien reste toujours un accroc du pouvoir. On aurait cru à la sincérité et à la bonne foi de M. TRAORE s’il n’avait choisi, comme son alter-ego ATT, de ne pas valser sur une question pourtant simple: voulez-vous rester ou partir à la fin de votre mandat? ATT avait toujours pris soin de répondre à cette question par: «Je suis même pressé de quitter le pouvoir…» Et tout le monde connaît la suite: il s’apprêtait à décréter le report des élections. M. TRAORE, qui va jurer sur tous les saints du ciel qu’il n’était pas dans les secrets des dieux du Palais de Koulouba, nous sert à peu près la même complainte: «Je ne resterai pas une seconde de plus, si tel est le souhait partagé; si telle est la volonté du peuple…»
Le peuple, ah, le peuple, exutoire et le bouc-émissaire derrière lequel se cachent tous les sombres desseins! Le peuple, le mot de passe de tous les complots, de toutes magouilles et de tous les traficotages des politiciens ! Jusqu’ici, nous avions pensé que M. Dioncounda TRAORE n’avait rien de commun avec ces politiciens qui se cachent derrière le commode prétexte du «peuple» pour assouvir leurs ambitions. Mais là, nous sommes obligés de nous interroger sur les comment et les quand est-ce que M. Dioncounda va-t-il demander «l’avis du peuple malien» quant à son maintien ou non après les 40 jours.
Comment et par quel mécanisme va-t-il sonder la volonté du peuple malien? A moins qu’il n’ait la science infuse pour connaître la volonté du peuple, nous nous trouvons devant une mascarade, une fuite en avant de la part d’un président intérimaire, qui, face à l’échéance des 40 jours qui s’approche inexorablement et au refus catégorique de la junte de le laisser poursuivre une minute de plus que les 40 jours prévus par la Constitution, s’agrippe et s’accroche désespérément et artificiellement à un pouvoir qu’il entend conserver avec la bénédiction de la CEDEAO.
N’est-ce pas avec cette même CEDEAO que M. TRAORE s’est accordé lors du sommet extraordinaire d’Abidjan, le 26 avril 2012, pour prolonger et étendre son mandat d’intérim à toute la période de transition des 12 mois imposés au Mali en violation de la Constitution et de l’accord-cadre, sans consulter le même peuple malien auquel il fait référence et sans aucun avis pris au sein des forces vives et des parties prenantes.
Et cerise sur le gâteau, pour sa probation obtenue du syndicat des chefs d’Etat, des troupes armées pour «sécuriser» sa transition, le défendre et protéger non de la junte seulement mais du même peuple dont il n’a pas eu à chercher à connaître la volonté. Sinon, un politique précautionneux comme M. TRAORE, qui connaît la fibre patriotique et nationaliste de son peuple, le désespoir et le déshonneur qui ont été les siens dix ans durant pendantque lui et ses amis accompagnaient le régime par leur silence et leur complicité, le contexte dans lequel est intervenu le putsch du 22 mars, la situation lourde qui prévaut à la Bamako… aurait dû dire à la CEDEAOo: «Mes frères et amis, je suis sensible à votre sollicitude et à l’honneur que vous me faites, mais laissez-moi retourner dans mon pays pour m’enquérir de la volonté du peuple afin de lui permettre de décider en toute souveraineté». Mais comment refuser 12 mois de présidence offerts sur un plateau d’or, mieux avec une possibilité de reconduction?
A Abidjan, ce n’est pas le peuple malien et sa volonté dont il se réfère aujourd’hui qui étaient au centre des préoccupations, du projet et de l’agenda du président Dioncounda, mais bien son propre sort et sa sécurisation.
Ce n’est pas le Mali dont il veut être la solution, le Mali qu`il dit vouloir sauver, mais sa présidence intérimaire qu’il voulait transitoire, pour 12 mois, voire plus fort du soutien de ses nouveaux «frères et amis». A Abidjan comme à Dakar, M. TRAORE ne s’est jamais projeté dans une logique concertée qui conforte le retour au dialogue inter-malien et à la confiance entre les forces vives de notre pays, ciment indispensable d’un retour à l’ordre constitutionnel tant galvaudé. En ne pensant qu’à lui et non au Mali, M. TRAORE ne s’est pas voulu comme «la solution», mais «le problème» de l’impasse constitutionnelle qui pointe à l’horizon des 40 jours.
Parce ses «si le souhait est partagé» et «si telle est la volonté du peuple» soulèvent beaucoup de questions, de supputations, de polémiques qui seront dans les jours à venir plus de problèmes que de solutions pour le Mali dans sa recherche de solution à la crise. Et il serait une grossière erreur de prendre sa repartie à la junte («pas une seconde de plus») comme un renoncement. Au contraire, c’est une défiance, une bravade qui pourrait aussi se lire comme: «Je resterai tout le temps qu’il faut si le souhait est partagé».
Fin politique, M. TRAORE sait que l’outrancière personnalisation de la question de l’intérim et de la transition joue en sa faveur; la culture du Malien l’interdisant de s’opposer au bonheur de quelqu’un… sous peine de se voir traiter de «nyèngo» et de «hasidi». Mais s’agit-il vraiment de cela? Dual ex, sed lex! Pendant dix ans, les Maliens, y compris lui-même Dioncounda, se sont tus et ont lassé faire ATT, lui permettant de mettre entre parenthèses tous les principes démocratiques et républicains (le fait majoritaire, la séparation du pouvoir, l’unicité du budget), va-t-on pousser le «musalaha» piétiner le principe constitutionnel qui consacre l’intérim à 40 jours?
De leg lata, l’intérim, c’est au maximum 40 jours suivant les dispositions de l’article 36 de la Constitution malienne du 25 février 1992 : «Lorsque le Président de la République est empêché de façon temporaire de remplir ses fonctions, ses pouvoirs sont provisoirement exercés par le Premier Ministre. En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou d`empêchement absolu ou définitif constaté par la Cour Constitutionnelle saisie par le Président de l`Assemblée Nationale et le Premier Ministre, les fonctions du Président de la République sont exercées par le Président de l`Assemblée Nationale.
Il est procédé à l`élection d`un nouveau Président pour une nouvelle période de cinq ans. L`élection du nouveau Président a lieu vingt et un jours au moins et quarante jours au plus après constatation officielle de la vacance ou du caractère définitif de l`empêchement. Dans tous les cas d`empêchement ou de vacance il ne peut être fait application des articles 38, 41, 42 et 50 de la présente Constitution». Donc, c’est 40 jours: pas un heure de plus, pas un minute de plus, pas une seconde de plus.
Mais après?
Le constituant malien n’a rien prévu. Parce qu’il était en droit de penser qu’en copiant les principes de la Vè République française, les démocrates maliens étaient disposés à les appliquer. Parce que dans un système démocratique, la stabilité politique qui y est sui generis fait que l’intérimaire est une sorte de régent qui ne s’accroche pas, mais au contraire œuvre de toute bonne foi pour respecter les délais constitutionnels. Bavardage, le Mali n’est pas la France. Mais au Mali comme en France, ce sont le même système et les mêmes mécanismes constitutionnels, sauf les délais.
En effet, en France, l’intérim est organisé par l’article 7 de la Constitution de 1958 qui prévoit: «…En cas de vacance de la Présidence de la République, pour quelque cause que ce soit, ou d`empêchement constaté par le Conseil Constitutionnel saisi par le Gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses membres, les fonctions du Président de la République, à l`exception de celles prévues aux articles 11 et 12 ci-dessous, sont provisoirement exercées par le Président du Sénat.
En cas de vacance ou lorsque l`empêchement est déclaré définitif par le Conseil Constitutionnel, le scrutin pour l`élection du nouveau président a lieu, sauf cas de force majeure constaté par le Conseil Constitutionnel, vingt jours au moins et cinquante jours au plus après l`ouverture de la vacance ou la déclaration du caractère définitif de l`empêchement».
N’ayant pas de Sénat, nous avons mis le président de l’Assemblée nationale et au lieu de «vingt jours au moins et cinquante jours au plus », on a mis «vingt et un jours au moins et quarante jours au plus».
Mais alors, pourquoi au Mali, la mise en œuvre de l’intérim pose plus de problème qu’en France? Parce que contrairement au Mali démocratique qui s’angoisse dans la perspective de la fin de l’intérim, le droit constitutionnel a prévu et réglé l’ordre de succession du président de la République jusqu’au troisième degré:
1.En cas d`empêchement ou de vacance, les fonctions du président sont exercées provisoirement par le président du Sénat. Selon le fait générateur et l`évolution de la situation (le cas échéant), l`intérim du président prend fin, soit lorsque l`ancien président reprend ses fonctions, soit lorsque le nouveau président élu entre en fonction.
2.En cas d`empêchement du Premier ministre, c`est le "numéro deux" du gouvernement (selon l`ordre protocolaire) qui devient ipso facto président intérimaire.
En absence d’un tel ordre de succession, et dans l’hypothèse où un président n’a pu être élu au terme du délai constitutionnel, comme cela semble être notre cas, comment régler la question de l’intérim?
La solution portée par le CEDEAO qui viole la Constitution malienne est en totale contradiction avec le principe de droit du «locus regit actum» (l’acte juridique est soumis aux conditions de forme de la loi du pays dans lequel il a été conclu). La volonté de la CEDEAO (en l’espèce d’un syndicat de chefs d’État ramant à contre-courant des réalités et des aspirations des peuples) ne pouvant en aucune façon se substituer la volonté souveraine d’un pays. Le traité de la CEDEAO reconnaissant et garantissant la souveraineté des pays membres qui la composent.
Ab intestat, il est raisonnable de penser que la question de l’intérim qui préoccupe notre pays puisse être tranchée et soit tranchée, non par une saisine de la Cour constitutionnelle comme le préconisent les partisans de Dioncounda, mais par une décision politique concertée de l’ensemble de la classe politique, des forces vives, les parties prenantes (pourvu qu’on sache ce qu’il faut y mettre), les parties signataires de l’accord-cadre, dans le respect de la souveraineté du Mali et dans le seul intérêt du peuple Mali.
M. TRAORE pourra-t-il être l’homme du consensus consacré pour cette transition ? Il le veut; en tout cas ses «si» en disent long sur le goût qu’il a pris à la fonction présidentielle en si peu de temps. Et ses partisans y ont travaillé par la manipulation des esprits à travers les médias depuis son investiture. Qui n’a pas vu et compris le glissement entre Dioncounda «président intérimaire» et Dioncounda «président de la Transition» malienne?
Mais cette stratégie n’a-t-elle pas été contre-productive avec le fourvoiement de l’impétrant à la présidence de la Transition à l’occasion du sommet d’Abidjan au sortir duquel les Maliens se sont sentis humiliés, pire vendus, trahis au profit non du sacrifice affirmé mais de l’ambition d’être et de rester à Koulouba.
En ne se démarquant pas des décisions d’Abidjan, M. TRAORE a creusé davantage le fossé des suspicions légitimes au sein de la classe politique et de la société civile et conforté plus le peuple dans sa réticence à accorder sa confiance aux politiciens, notamment ceux qui n’hésitent pas, pour leurs intérêts personnels, à bafouer son honneur et sa dignité.
Or, à Abidjan, M. TRAORE ne s’est pas montré à hauteur de mission pour refuser l’inacceptable pour l’honneur et la dignité de son peuple; dire non quand il fallait dire.
Et pour cette faute, le souhait pourrait être partagé qu’il «s’efface après les 40 jours».
Telle pourrait être la volonté du peuple s’il était consulté.
Mais M. TRAORE sait que dans les conditions actuelles, ce n’est pas possible.
Va-t-il en tirer les leçons lors de son discours promis à la nation?