Le Mali du président Ibrahim Boubacar Kéita est au bord de la banqueroute. Les recettes habituelles n’arrivent plus à faire face aux dépenses de prestige. En l’absence de fonds qui émanent des institutions financières internationales et de tous les partenaires qui ont tourné le dos, ne cautionnant pas la gabegie et la mal gouvernance des autorités de Bamako, en moins d’un an au pouvoir. Pour trouver une solution alternative, l’Etat malien a décidé de tordre le dos aux opérateurs économiques maliens pour extorquer le manque à gagner, en imposant une mesure qu’ils ne peuvent pas supporter. Les importations au Mali sont bloquées depuis trois semaines. En cause, une mesure de vérification des importations dont les commerçants jugent l’application brutale et les frais exorbitants.
C’est une nouvelle crise au Mali qui frappe en premier lieu les opérateurs économiques, mais qui par ricocher concerne la nation toute entière, les consommateurs en particulier, mais aussi l’Etat. Les effets induis qui commencent à se faire sentir au marché se traduisent par une hausse sans précédent des prix des marchandises. A terme, c’est la crise financière, la faillite qui guettent les opérateurs économiques maliens, et le pays est en proie à une ébullition sociale et à l’instabilité. Le front économique malien est en effervescence, les commerçants se concertent et veulent un moratoire de trois mois. Mais entre les commerçants et le gouvernement Mara semble s’instaurer un dialogue de sourds. Les autorités financières maliennes refusent de reculer et les commerçants affirment qu’ils sont dans l’impossibilité d’aller sans délai à l’application de la mesure qui frise l’arbitraire parce que n’adoptant aucune pédagogie inclusive. Les corridors maliens offrent un horizon sombre, des milliers de camions bloqués aux différentes douanes. Si le gouvernement ne consentit pas à revoir sa copie les commerçants iront en grève. Ce qui est sûr, une grève des commerçants risque de faire plus mal que le gèle du financement du FMI, de la banque mondiale, de l’Union européenne et des premiers partenaires bilatéraux du Mali, car elle rime avec tension sociale, instabilité et tout ce qui s’en suit. Nous avons approché le 3ème Vice président du Groupement des Commerçants du Mali pour vous édifier. Interview !
Le Républicain : Depuis trois semaines environ, la douane malienne a décidé d’appliquer une ancienne mesure qu’elle a tirée du tiroir non sans provoquer des grincements de dents du côté des opérateurs économiques. Dites-nous concrètement, en quoi consiste cette mesure ?
Ousmane Guitteye : En 1989, donc il y a 25 ans, le Mali a instauré une mesure visant à la vérification de toutes les marchandises pour en déterminer la valeur réelle, en particulier celle relative au tonnage et la valeur marchande, cela dans l’idée de les taxer d’un certain montant au dédouanement. Mais, la mesure a cessé d’être appliquée et est tombée dans l’oubli. On ne l’appliquait plus. Et puis, tout récemment, sans préparation aucune, on nous apprend subitement, que suite à la suspension des subventions du FMI et de la Banque mondiale l’Etat a exhumé la mesure afin de renflouer ses caisses. Les opérateurs économiques n’en ont su quelque chose qu’au moment du dédouanement de leur marchandise au cordon.
Avez-vous donc été pris au dépourvu?
Jugez-en vous-même ! Comme je vous le disais, c’est au cordon douanier que les commerçants se sont vus imposer la nouvelle directive. Les marchandises sont arrivées au poste sans que les commerçants sachent que la mesure a été mise en application. Concrètement, la mesure consiste à faire en sorte qu’après réévaluation de la valeur des marchandises si vous devriez payer 10 millions vos marchandises seront taxées à 30% et vous allez payer 13 millions. A cela s’ajoute le paiement d’autres petits frais indispensables dans les relations entre commerçants et douaniers. Il est vrai que nous étions en pourparlers sur la question avec le gouvernement mais aucune date n’avait été retenue pour sa mise en application. Nous voulions qu’il nous accorde un délai de grâce de trois mois pour que nous nous préparions à cette mesure et c’est unilatéralement que la mesure entre en vigueur. Ni la Chambre de Commerce, ni l’association des commerçants détaillants n’ont rien pu obtenir de contraire.
Comment les commerçants ont-ils accueilli la décision des autorités de réactiver une mesure restée inappliquée depuis 25 ans ?
Le hic c’est que même si cette mesure était légale, force est de reconnaître que son application brusque et soudaine, aujourd’hui, par les douaniers provoque une grande frustration pour les commerçants.
Nous ne nous opposons pas à son application, loin s’en faut, mais, nous pensons qu’il fallait simplement nous en informer à temps, surtout que dans le cas d’espèce il est question d’une mesure qui n’a pas été appliquée depuis plus de 25 ans. C’est ce temps de communication et de préparation nécessaires à la fois dans la conduite des affaires commerciales qui nous est aujourd’hui refusé par le gouvernement. Alors oui, la frustration est grande, la colère aussi.
En somme, les opérateurs économiques maliens, sans en être responsables, font aujourd’hui les frais du gel par le Fmi et la banque mondiale de leur financement au Mali ?
Nous ne sommes, en aucun cas, responsables de la brouille entre l’Etat malien et ses partenaires financiers. Et nous ne comprenons pas qu’elle puisse avoir un lien avec le dédouanement de nos marchandises. Et nous considérons que nous sommes mal payés, en retour, d’avoir toujours contribué, dans la mesure du possible, au développement du pays, en payant correctement nos impôts et nos taxes, en approvisionnant à hauteur de souhait le marché national, pour le vrai bonheur des Maliens, celui qui se voit et se mesure tous les jours !
Malgré la crise ivoirienne, celle du nord et le coup d’Etat au Mali, vous avez pu faire satisfaire à l’approvisionnement du marché. Cette dernière mesure ne sera-t-elle pas la contrainte de trop ?
Effectivement, malgré les difficultés que vous évoquez, les commerçants ont toujours su faire face à l’approvisionnement du marché intérieur, mais honnêtement aujourd’hui avec l’application de cette mesure, on n’en peut plus. Habituellement en de pareilles situations, les commerçants ne bronchent pas. Ils obtempèrent chaque fois que c’est possible. Mais cette fois-ci, trop c’est trop ! Car, on se rend compte qu’aucun commerçant ne peut supporter la mesure. C’est pourquoi nous avons décidé de nous faire entendre.
Malgré cet état de fait et vos protestations, les douanes vont-elles continuer à appliquer la mesure ?
Ce n’est pas la faute des services de douane, non ! Entre les commerçants et la douane, il y’a toujours eu un terrain d’entente. On se comprend. Chaque fois qu’une mesure est dure pour les commerçants, la douane a toujours laissé tomber au moins pendant un moment, le temps que nous nous y préparions. Nous sommes aujourd’hui en face d’une décision qui émane des hautes autorités de l’Etat. Lesquelles semblent ne pas savoir que gouverner c’est prévoir, gouverner c’est communiquer, gouverner c’est travailler à rendre possible un dialogue partenarial sans lesquels rien de durable ne se pourrait. Notre pays, plus jamais est dans ce besoin du faire ensemble …
Dans l’impossibilité de payer, relativement à la nouvelle mesure vos camions sont bloqués depuis trois semaines au cordon douanier ?
Aujourd’hui à Kati, il y a plus de 1000 camions contenant des marchandises, en rade. Même constat à Koutiala, Kayes, Sikasso, Mopti .C’est trop ! , beaucoup trop !et la mesure en question n’a eu pour effet que de gripper dangereusement l’outil économique, ce d’autant plus que les pluies abondantes qui s’abattent en ces temps d’hivernages commencent à détériorer des denrées pour l’essentiel périssables, à cela s’ajoute que les poids des gros porteurs provoquent des éboulements et les conteneurs se renversent. Les voleurs se sont mis en embuscade, les chauffeurs sont partis…La situation est périlleuse.
Vous ne demandez que trois mois pour être prêts à supporter l’application de la mesure?
Rien que trois mois, que le gouvernement nous refuse. Après les trois mois, les commerçants seront prêts à payer les 30% de taxes que la mesure leur impose.
Si le gouvernement ne revient pas sur sa position, quels sont les risques possibles sur le marché et sur le pays ?
Le risque sera grand et imprévisibles ses proportions. Les pénuries sectorielles ont déjà commencé avec son corolaire l’inflation. Quand elles atteindront les denrées alimentaires et de première nécessité ce sera un grand chaos sans compter le risque que les commerçants n’auront même plus d’argent pour aller dédouaner leurs marchandises même si le gouvernement décidait en dernier ressort de sursoir à l’application de la mesure. Parce que la force d’un commerçant c’est dans le renouvellement des commandes. Si tout d’un coup toutes ses affaires se trouvent bloquées, il ne pourra plus rien renouveler. C’est la faillite assurée et elle affectera d’une manière ou d’une autre le pays.
En cas d’échec des négociations avec les décideurs, quelles sont les mesures que le groupement envisage de prendre afin de faire face à la situation ?
Notre plus grand souhait est que le gouvernement fasse un effort pour revenir sur sa décision et accorder aux commerçants la clause de trois mois qu’ils lui demandent. Mais, en cas d’échec des négociations, ce que nous ne souhaitons pas, les commerçants iront en grève et fermeront leurs boutiques.
Il n’y a aucun doute là-dessus. Nous n’aurons aucun problème à mobiliser tous les Maliens le jour venu. Car l’application de la mesure frappe aujourd’hui de plein fouet tous les Maliens. Certes, aujourd’hui il s’agit des importateurs, mais après ce sera le tour des commerçants détaillants et des consommateurs. En un mot, c’est vraiment un problème qui concerne tous les Maliens.
Quel appel lancez-vous aux autorités ?
Nous leur demandons tout simplement de ne pas prendre à la légère ce problème surtout en ces moments de vache maigre pour les Maliens et dans le contexte actuel du pays. Car, les Maliens ont souffert et n’ont plus d’argent. Or, cette mesure risque d’entraîner une flambée des prix des produits de première nécessité sur le marché, et cela commande la stabilité même du pays.
Aujourd’hui dans certains milieux étatiques on pense que ce sont les opérateurs économiques qui ont de l’argent, qu’il faut les taxer et ils payeront. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Je vous retourne la question. Il suffit de comparer aujourd’hui un grand commerçant à un haut fonctionnaire, vous saurez aisément qui est le plus riche. Mais, je ne voudrais pas rentrer dans cette histoire. Tout ce qui nous demandons aujourd’hui au gouvernement est qu’il nous accorde les trois mois de clause transitoire avant de commencer l’application de la mesure. Ils éviteront au pays un malaise supplémentaire.
Est-ce à dire qu’après ces trois mois de clause, il n’y aura plus de risques de flambée de prix des marchandises ?
Loin de là, il y aura toujours le risque de flambée des prix des marchandises sur le marché. Mais, seulement ce qu’il faut comprendre c’est que la flambée des prix aussi se contient. Il faudrait donc donner le temps aux opérateurs de se préparer, pour ce faire. Et on ne demande pour cela que trois mois.
Autrement dit si jamais la mesure doit être appliquée, les Maliens doivent s’attendre à une hausse des prix des produits sur le marché ?
Evidemment. Ce qu’il faut savoir, c’est que dans tous les cas le commerçant ne perdra jamais. Le commerçant préfère ne pas faire du commerce que d’engager sa fortune dans les affaires pour perdre après. S’il achète quelque chose qui lui revient à 5000 FCFA, il le revend à 6000 mais le jour où à cause de la douane la même chose va lui revenir à 7000 il va la vendre 8000 F. ça se passe comme ça. Le commerce veut dire avoir un profit, non perdre. Et le problème est que cela se fera au mauvais moment. Car, tout récemment il y a une hausse sur les frais de l’eau et de l’électricité. Et s’il faut appliquer aujourd’hui cette mesure tout risque d’aller à la hausse au Mali.
Propos recueillis par Youssouf Z. KEITA
Boukary Daou