Les négociations avortées ont laissé apparaître d’importantes divergences de perception entre le gouvernement et l’UNTM. Le fait est préoccupant, mais rectifiable
Soit l’union sacrée (ou ce qui y ressemble), soit la solitude magnifique (ou ce qui s’y assimile). Tel est l’alternative qui se présente à un pouvoir quand ce dernier se trouve dans une position de quasi hégémonie institutionnelle et qu’il lui faut affronter une conjoncture exceptionnellement compliquée. La démocratie malienne a très vite expérimenté l’une et l’autre formules exposées plus haut lorsqu’elle a connu ses premiers tangages. La voie du rassemblement avait été choisie en 1993 au moment les brasiers dispersés de l’agitation scolaire se muèrent en un impressionnant incendie. Le premier foyer de la contestation avait été allumé le 7 novembre 1992 quand deux cents candidats libres titulaires du baccalauréat contestèrent leur orientation à l’IPEG et envahirent le département de l’Education qu’ils saccagèrent en bonne partie. Puis le 16 février 1993, plusieurs centaines d’étudiants de l’Institut polytechnique de Katibougou, mécontents de ce qu’ils considéraient comme une réduction du montant de leurs bourses, incendièrent les locaux du gouvernorat de Koulikoro, le domicile du chef de l’Exécutif régional, les bureaux de l’IPR et de certains services régionaux.
Puis le 24 février, c’était au tour de Bamako de se trouver entièrement paralysé par des centaines d’élèves et d’étudiants qui s’insurgeaient contre les sanctions infligées à leurs camarades de l’IPR. Les principales artères de la ville avaient été rendues inaccessibles par l’érection d’innombrables barricades et le département de l’Education, protégé par un impressionnant dispositif de sécurité, avait essuyé plusieurs heures de siège. Le pic des attaques fut atteint le 5 avril quand les manifestants venus des écoles, rejoints par des loubards, mirent le feu et saccagèrent les locaux de l’Assemblée nationale, de l’espace culturel Jamana ainsi que les domiciles de plusieurs responsables du parti majoritaire l’Adema – PASJ.
Pour bloquer la spirale de la tension, le président Alpha Oumar Konaré obtint le 9 avril la démission de l’équipe Younoussi Touré et décida d’une ouverture politique vers l’opposition à qui il fut proposé d’entrer dans le gouvernement. La dénomination de la nouvelle équipe ne fut pas aisée à trouver. L’expression « gouvernement d’union nationale » rebutait autant de nombreux responsables du PASJ que les leaders de l’opposition. Les premiers, qui accusaient leurs adversaires d’avoir attisé et instrumentalisé le soulèvement « scolaro-estudiantin », mettaient ouvertement en doute la loyauté des entrants et la fonctionnalité de l’attelage inédit. Les seconds, qui avaient âprement négocié les portefeuilles qui leur seraient attribués afin de ne pas se retrouver avec des coquilles vides en guise de ministères, tenaient à préserver leur liberté de parole et leur droit de critique à l’Assemblée nationale. Ces différentes restrictions donnèrent donc naissance à la dénomination « gouvernement à base politique élargie » qui consacrait le rapprochement sans célébrer l’entente.
LA SOLITUDE ACCEPTÉE ET ASSUMÉE. L’équipe mise en place le 16 avril 1993 sous l’autorité d’un nouveau Premier ministre – Me Abdoulaye Sékou Sow – tint la route un peu moins de dix mois. Le temps de s’apercevoir que les représentants de l’opposition au sein de l’Exécutif s’acquittaient sans arrière-pensée de leurs responsabilités. Le temps aussi pour l’agitation scolaire et estudiantine de renaitre avec force et avec comme mot d’ordre la contestation des nouveaux critères d’attribution des bourses. Le 2 février 1994, l’Association des élèves et étudiants du Mali déclenchait une opération « ville bloquée ». Le chef du gouvernement qui voyait dans cette montée de tension inopinée une manipulation orchestrée par ses adversaires politiques au sein du PASJ, démissionnait le même jour sans s’être concerté au préalable avec le chef de l’Etat. Ce dernier confia aussitôt la charge de la Primature au ministre des Affaires étrangères d’alors, Ibrahim Boubacar Keïta. Ce fut alors qu’après la séquence de l’union en pointillé s’enclencha le scénario de la solitude imposée
En effet, le tout fraîchement intronisé responsable de l’Exécutif dut faire face immédiatement au retrait du gouvernement non seulement des représentants de l’opposition, mais aussi de ceux des Partis signataires du pacte républicain (PSPR) qui participaient à la gestion des affaires depuis le premier gouvernement de la IIIème République. Seul Boubacar Karamoko Coulibaly démissionna de sa formation et demeura dans l’équipe gouvernementale comme « ministre citoyen ». L’Adema-PASJ se retrouva donc seule (ou presque puisque le RDT de Amadou Aly Niangadou resta à son côté, mais sans représentant au gouvernement) pour affronter les tempêtes qui se levaient : la gestion de la dévaluation de 50% du franc CFA intervenue le 11 février, la reprise des troubles scolaires, le réveil des attaques armées au Nord du Mali et la déstabilisation d’une partie de l’Armée par la Coordination des sous-officiers et des hommes de rang. Les Rouges et Blancs ne sortirent de leur solitude politique – acceptée et assumée – que le 26 octobre 1996 lorsqu’une nouvelle majorité présidentielle, la Convention nationale pour la démocratie et le progrès (CNDP), vit le jour avec en tête de file des nouveaux alliés le Parena de Tiébilé Dramé et la CDS de Blaise Sangaré que complétaient quatre autres formations.
La Convention s’élargit en septembre 1997 pour donner naissance au premier gouvernement du second mandat du président Konaré et pour faire pièce au Collectif des partis politiques de l’opposition qui avait vu le jour en avril 1997 au lendemain de la débâcle organisationnelle du premier tour des législatives. Cependant, tous ces rassemblements sont restés très éloignés d’un schéma se rapprochant peu ou prou de celui de l’union nationale et similaire à celui qui avait eu cours en avril 1993. A préciser que dans notre analyse, nous ne prenons pas en ligne de compte le consensus proposé par le président Amadou Toumani Touré qui relevait d’un esprit différent. Il réunissait, en effet, sous la bannière d’un indépendant des partis dont aucun ne disposait d’une majorité décisive à l’Assemblée nationale à la différence du PASJ hégémonique au parlement lors des législatives de 1992 (76 députés sur 117) et 1997 (128 sur 147).
Aujourd’hui le RPM se trouve dans une situation qui sur le plan institutionnel est quasiment celle des Adémistes de la première décennie de la IIIème République. Il dispose notamment d’une majorité blindée à l’Assemblée nationale qui met l’Exécutif en situation d’absolu confort. Mais une telle situation comporte ses risques logiques. Celui d’une moindre exigence vis-à-vis du gouvernement dont l’action doit être contrôlée par les députés. Celui du dédain à l’égard des remarques critiques de l’opposition. Celui du relâchement de l’écoute sur les alertes venues du pays réel. Pour le moment, les députés s’efforcent d’enrayer le danger de l’assoupissement par des missions d’information sur le terrain, mais il leur faudra certainement se tourner vers une forme de présence plus pointue lorsque surgira vraiment le risque de la routine. Le gouvernement est, de son côté, astreint à la nécessité de vigilance et de veille dans les domaines aujourd’hui encore plus sensibles qu’à l’accoutumée que sont devenus ceux de la sécurité, de l’économie et du social. A cet égard, il paraît indispensable de s’interroger sur la gestion du récent préavis de grève de l’UNTM.
LA MÉMOIRE ET SURTOUT L’EXPERTISE. En suivant le débat qui a opposé mercredi dernier le ministre de la Fonction publique, du Travail et des Relations avec les institutions et le Secrétaire général adjoint de la centrale syndicale, on ne pouvait se défaire d’une impression de malaise, ni se dispenser d’une question de fond. La première était suscitée par la profondeur des divergences que les deux personnalités ont affichées sur presque tous les sujets abordés. Aussi bien sur la nature des rapports qui devraient s’établir entre les syndicats et leur département d’interface (le terme « tutelle » étant à notre avis inapproprié pour définir les relations les deux parties) que sur l’importance particulière que revêtent les points de revendication qui n’ont pas fait l’objet d’accord, sur la nature des concessions possibles dans les domaines objectivement impossibles à traiter dans le court terme (comme la valeur du point d’indice) et sur l’indispensable verrouillage des points acquis, précaution aussi utile aux syndicats que sécurisante pour le gouvernement.
Ce relevé des désaccords introduit inévitablement la question de savoir comment se sont perdues au niveau de l’administration publique la mémoire et surtout l’expertise acquises durant les années de négociations serrées avec les syndicalistes. Mémoire et expertise qui auraient utilement aidé à observer quelques vérités et attitudes basiques. Il faut par exemple de se souvenir que les syndicats n’entretiennent officiellement avec leurs interlocuteurs gouvernementaux que des rapports de revendication et de négociation gérés à l’intérieur de procédures soigneusement balisées. Ils ne se hasarderont donc jamais à solliciter auprès d’un ministre une visite protocolaire qui passerait immanquablement aux yeux des militants comme un acte d’allégeance ou de collusion.
Sur les points financiers qui sont traditionnellement les plus difficiles, les négociateurs syndicaux, instruits par leurs propres experts et conscients de l’impossibilité de faire aboutir sur le champ certaines revendications, sont d’habitude disponibles pour une solution de repli qui consisterait en l’augmentation échelonnée et au paiement différé des nouveaux droits. Le procédé leur permet de ramener un acquis à présenter à leur base tout en concédant un indispensable bol d’oxygène à l’Exécutif. Sur d’autres points comme les tarifs d’eau et d’électricité, l’argumentaire gouvernemental aurait gagné en densité en confessant la caducité du scénario élaboré en 2007 concernant notamment le prix de l’électricité. En 2007, les autorités d’alors avaient entamé un ambitieux programme d’interconnexion aux réseaux de pays voisins qu’elles pensaient achever dans un délai assez court. Ce programme devait amener une nette diminution du coût de l’énergie électrique, donc une baisse des tarifs à la consommation. Malheureusement les faits ont démenti ces projections et contraint le gouvernement à placer EDM SA sous perfusion.
PAS DE MIRACLES. L’atmosphère peut-elle substantiellement changer entre l’UNTM et le gouvernement à l’inévitable reprise des négociations ? Il semblerait que de sérieuses chances existent pour que cette évolution se produise si l’on en juge par les mises à plat qui ont eu lieu lors de la rencontre UNTM-Premier ministre du jeudi 22 août dernier. Le réajustement tactique est d’autant plus nécessaire que les signaux ne manquent pas, indiquant que la centrale syndicale qui s’est testée de manière satisfaisante sur la grève de la semaine dernière ne serait pas isolée si elle choisissait l’escalade et projetait un deuxième coup d’éclat, plus radical que le premier. Elle a reçu en effet les manifestations de sympathie appuyées de la CSTM et du syndicat autonome de la magistrature. La centrale dirigée par Hamadoun Amion Guindo, qui a manifestement apprécié la visite de courtoisie rendue par le nouveau patron de l’UNTM ainsi que les plaidoyers menés en commun par les deux organisations sur la scène internationale, n’a pas écarté la possibilité d’actions concertées dans le futur.
Les responsables syndicaux, dont la capacité de mobilisation a été visiblement sous-estimée par certains de leurs interlocuteurs, savent pertinemment que leurs revendications rencontrent un écho favorable auprès d’une grande partie de la population dans un contexte où la difficulté à vivre pèse lourdement sur le quotidien de l’écrasante majorité de nos concitoyens. Ceux-ci – et nous l’avons dit à plusieurs reprises – n’exigent pas de miracles de l’Etat. Mais ils attendent de ce dernier qu’il se montre attentif à défaut d’être secourable. Le président de la République a bien perçu cette demande, lui qui tout au long des dernières semaines a rencontré un maximum d’acteurs politiques et de la société civile sur les problèmes du Nord. A tous, Ibrahim Boubacar Keïta a réitéré la même conviction : point de salut hors de la solidarité et de l’union sacrée.
L’option présidentielle, mise en œuvre par le gouvernement, repose évidemment sur l’écoute mutuelle qui elle-même favorise les concessions réciproques acceptées au nom de l’effort partagé. Cette écoute est particulièrement importante à appliquer à l’égard des interlocuteurs sociaux. Car les partenaires de l’Etat tout comme les simples citoyens, s’ils sont de moins en moins enclins à l’acceptation passive des difficultés, restent toujours disposés à demeurer mesurés dans leurs attentes. Pourvu qu’en s’adressant à eux la démonstration soit préférée à l’incantation, et l’explication à l’admonestation.
G. DRABO