Les parties ont trouvé une solution de compromis qui respecte la réglementation et ménage provisoirement les importateurs informels. Le scénario se répète de manière quasi inexorable. Toute tentative de revitalisation de la réglementation et d’application stricte des textes se heurte aussitôt à la résistance du corps social qui doit en subir l’effet. Ce corps se met rapidement en ordre de bataille pour que l’arrangement tacite devienne la règle permanente. Les événements se sont déroulés selon cette logique lorsque les douanes maliennes ont rétabli il y a quelques semaines une procédure des plus normales, mais qui présentait la caractéristique d’avoir été longtemps mise en veilleuse.
Un petit point d’histoire s’impose au préalable. Tout d’abord il faudrait préciser que la décision des gabelous de serrer la vis ne concerne pas tous les importateurs réguliers. Elle frappe plus spécifiquement des commerçants qui font entrer des marchandises non couvertes par une attestation de vérification (AV), procédure dont l’utilité est d’indiquer la nature réelle du produit avant son expédition.
Pour encadrer ce secteur d’importation dit informel, l’administration des douanes avait édicté depuis 1993 des mesures règlementaires qui engageaient les structures de dédouanement à mettre systématiquement en œuvre la pénalité pour défaut du respect du Programme de vérification des importateurs (PVI) sur toutes les marchandises conteneurisées importées sans attestation de vérification. La pénalité applicable en pareil cas relève des dispositions contentieuses prévues dans les articles 352 alinéa 2b, 361 alinéa 6 et 345 du Code des douanes. Elle consiste à faire payer ce que l’on appelle une amende transactionnelle dont le montant égale au moins à 30% des droits dus.
Dans un contexte faste, c’est-à-dire à une période où les douanes remplissaient sans trop de difficultés, voire dépassaient les quotas qui leur étaient attribués, une certaine tolérance prévalait qui bénéficiait aux importateurs informels. Aujourd’hui, la conjoncture est différente. La situation économique difficile du pays interpelle aussi bien les douanes que les impôts. Au titre de l’exercice budgétaire 2014, il a été assigné à la direction générale des Douanes des objectifs initiaux de recouvrement de 375 milliards de Fcfa, montant qui a été révisé à 385 milliards de Fcfa dans la Loi rectificative des finances présentée lundi dernier à l’Assemblée nationale. A mi-parcours, les résultats obtenus sont en deçà des projections. En effet, à la date du 31 juillet, sur une prévision de 219,6 milliards de Fcfa, il a été réalisé 198,6 milliards de Fcfa, soit un gap de 21 milliards.
PRIS DE COURT. La direction générale des Douanes a donc pris des mesures strictes. « Les services ont été désormais invités à appliquer scrupuleusement les mesures correctives indispensables, notamment en matière de prise en charge des marchandises, de scanning et d’évacuation. Il a été demandé en particulier une application rigoureuse du Programme de vérification des importations, application qui doit se traduire par la mise en œuvre des dispositions contentieuses y afférentes le cas échéant », révèle le sous-directeur des recettes douanières, Nouhoum Sadia Camara.
En clair, cela signifie que la pénalité transactionnelle sera appliquée sans faiblesse pour toutes les marchandises conteneurisées importées sans attestation de vérification. Nouhoum Sadia Camara tiendra toutefois à souligner que le premier souci de l’administration des douanes est d’atteindre les objectifs de recettes tout entretenant de bons rapports avec ses principaux partenaires (importateurs, commerçants, transitaires), qu’elle s’efforce d’accompagner de son mieux en leur facilitant notamment les opérations douanières.
Mais au niveau des commerçants frappé par la revitalisation de la réglementation de la douane, l’on déplore surtout le manque de communication des services de douanes avant l’application de la mesure. Beaucoup de commerçants disent avoir été pris de court, d’autres ont estimé la pénalité de 30 % extrêmement sévère au vu la situation économique difficile du pays qui impacte les activités économiques. C’est pourquoi les importateurs informels avaient choisi d’aller au bras de fer en bloquant leurs marchandises.
L’analyse du président du Collège transitoire de la Chambre de commerce et d’Industrie du Mali, Mamadou Tiéni Konaté est sans équivoque. « La tolérance de la douane a eu force de loi », indique cet opérateur économique très averti. « La réglementation à l’origine de la polémique date de 1993, mais elle n’a jamais été mise en œuvre de façon constante. La douane parvenait à atteindre ses objectifs de recettes des années antérieures sans contraintes majeures. Cette année, comme nous le savons tous, le pays vit une situation économique particulière au niveau des finances publiques. Du fait de la diminution du financement extérieur liée à la suspension temporaire des décaissements par certains partenaires, il y a une forte sollicitation des services de l’assiette et du recouvrement ».
Mamadou Tiéni Konaté, qui ne met guère en cause l’opportunité de la mesure, indiquera que les commerçants concernés ont surtout décrié l’absence de communication. Il a insisté néanmoins sur la qualité du dialogue qui s’est instauré ensuite pour mettre fin à la mésentente. « Après les discussions avec le département de l’Economie, la Douane et le Groupement des commerçants avec à sa tête Soya Golfa, nous avons convenu de certaines mesures. Ainsi, les marchandises importées couvertes par les attestation de vérification ne sont pas concernées par la mesure et les procédures de dédouanement les concernant restent donc inchangées.
LES AMATEURS DE « COUPS ». Cependant, les marchandises importées sans la couverture de l’AV vérification seront soumises à une amende équivalente à 10% des droits et taxes exigibles, et non 30 % comme fixé par la règlementation douanière. La douane fait donc une concession en acceptant cette minoration. Il convient de préciser que cette mesure s’appliquera jusqu’à l’arrêt des écritures comptables de ce mois d’août », a explicité le patron de la CCIM qui précisera que la Chambre de commerce se fera le devoir d’engager une campagne de communication à l’intention des commerçants concernés par la mesure dont l’application effective débutera le mois prochain.
A la lumière des explications données, et ainsi que nous le précisions, la mesure revitalisée gêne surtout une catégorie particulière d’importateurs dit informels. Parlant de ces derniers, on a souvent l’image du commerçant franchissant la frontière dans les minibus et profitant des foires hebdomadaires inter frontalières pour faire passer des marchandises.
En fait, il s’agit des commerçants – souvent des détaillants – qui se regroupent pour importer des marchandises non couvertes d’attestation de vérification. Ces acteurs s’abstiennent souvent de même émettre une intention d’importation. La pratique est extrêmement profitable. Car ceux qui s’y adonnaient se soustrayaient volontairement des obligations qu’ils auraient du respecter s’ils avaient emprunté le circuit normal d’importation. La pratique était si bien établie qu’elle a été récupérée par des importateurs réguliers n’hésitaient pas à profiter de ce circuit très souple pour faire certaines opérations. Les commerçants du circuit informel importent surtout du matériel électroménager, des équipements, des carrelages, des tissus, les marchandises de luxe, des cosmétiques et autres produits destinés à une clientèle féminine.
Un exemple frappant des avantages que fournit le circuit « sans A.V. » est donné par le cas du bazin. En effet, ce tissu – dont le mètre revient à 5000 et 6000 Fcfa aux consommateurs maliens selon les qualités – est rarement déclaré au cordon douanier comme un textile de luxe. Au dédouanement, il est présenté sous la dénomination « tissu divers » qui est moins lourdement taxée. Cette sous-taxation bénéficie malheureusement à d’autres produits.
Elle a aussi comme effet pervers de favoriser l’émergence d’une catégorie d’importateurs qui misent avant tout sur des relations personnelles et font des « coups » en négociant des niveaux de taxation très faibles, voire quasi nuls. C’est dire donc dire l’importance que revêt une revitalisation effective et sans équivoque des règlementations douanières. Le challenge est vital dans la conjoncture présente. Mais il gardera toute son importance quand viendront des temps économiquement meilleurs.
D. DJIRÉ