Quel commentaire faites-vous de cette première année ?
À la suite de l’ambassadrice étasunienne au Mali, de la nébuleuse communauté internationale, le Président Hollande avait déclaré, en son temps, qu’il serait «intraitable» quant aux dates du déroulement des élections présidentielle et législatives. Par delà d’inévitables dysfonctionnements, des menaces djihadistes et celles de certains rebelles touaregs du MNLA, elles se sont tenues en temps imposé, et ont été reconnues par les scrutateurs internationaux. C’est dans ce contexte inédit que le peuple malien, gonflé d’espoir, porté et rassuré par de potentielles perspectives de restauration de la souveraineté et de l’autorité de l’État dans son intégrité territoriale, a élu, triomphalement, le candidat Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK) à la noble fonction de président de la République du Mali : 77,80% des voix. Quasiment un plébiscite ! Les qualités humaines et l’homme politique ont fédéré, ont rassemblé le peuple malien autour de sa personne. Puis, au fil du temps, au vu et à l’entendu de «citoyens ordinaires», pointilleux, ou non, du devenir de leur pays, l’immense espoir suscité par cette élection, s’est amenuisé au point où, quelquefois, il a pris la tournure d’une amertume non feinte et a «provoqué» le sentiment d’avoir été floué, d’avoir été dessaisi de son vote utilisé à d’autres fins que les leurs. C’est ainsi que l’utilisation personnalisée d’importantes finances publiques ont conduit le FMI à accuser le gouvernement de «malversations», la Banque mondiale, l’Union européenne et plusieurs partenaires bilatéraux, ont suspendu leur versement de l’aide budgétaire dans l’attente d’un audit de contrats d’achat du second avion présidentiel et de marchés élevés de gré à gré. De douteuses relations personnelles dévoilées par un quotidien français, la versatile légèreté de l’application des Accords préliminaires de cessez-le-feu signés à Ouagadougou, le 18 juin 2013, entre le représentant de l’État et les groupes armés, ont conforté désillusions et, quelquefois, induit un sentiment d’humiliation. La transparence a manqué. L’image du pays est ternie. Le président est affaibli. Le peuple se sent dupé. Pourtant la désillusion n’a pas entraîné un désespoir ou un repli sur un «soi-même nombrilisé». Il suffit à cet égard de lire rapidement ou avec attention, les débats, voire les confrontations, toujours courtois, vifs, animés, tolérants, sérieux, convaincus, dénonciateurs, souvent très critiques mais emplis de sincérité, sur le forum «malilink», pour constater et écrire que rien n’est perdu. Mais la classe, les élites politiques, les intellectuels savent-ils les lire et surtout s’en imprégner ? Le «petit peuple» y a-t-il accès ? Sinon comment envisager les retombées concrètes de ces réflexions, analyses et point de vue tonifiants, innovants ? Ils et elles sont porteurs de prise de conscience ou, pour le moins, de réflexions «objectivantes». Alors se pose la question suivante : malilink ne serait-il qu’une soupape d’expressions libres visant à émanciper l’écrit de son carcan formaté, incluant les critiques virulentes formulées à l’encontre de personnalités politiques de très haut niveau, ou, alors, en même temps, un «réseau social» qui déboucherait sur des actions concrètes au gré de chacune et chacun selon ses sensibilités ?
Qu’est-ce qui n’a pas marché ?
En politique intérieure et par delà la mise en place de commissions ad hoc visant à créer les conditions du dialogue entre les groupes armés touaregs et arabes dans une conception globale de réconciliation et de retour à la paix, cette politique intérieure s’est davantage inscrite dans la continuité que dans des processus de mutations, voire de ruptures souhaitées et exprimées lors des élections. On aurait pu s’attendre «sans avoir fait un rêve», ni supputé un «oui, nous pouvons», mais les pieds sur terre et la tête bien campée sur les épaules, qu’une stratégie globale allait s’enraciner en nommant, par exemple un «Monsieur anti corruption », dévoué aux seuls intérêts nationaux. Ce «Monsieur» aurait pu enclencher des processus sociaux, politiques, économiques et même culturels, susceptibles d’articuler une adéquation entre les intérêts du peuple à ceux de l’État, et donc, de créer une dynamique populaire soucieuse de reconstruire une République malmenée, voire oubliée, porteuse d’un nouvel état d’esprit et vigilante quant à la consolidation de la nation en voie «d’ethnicisassions» dans le septentrion. Le peuple y aurait adhéré, sans aucun doute. On aurait pu s’attendre, autre exemple, dans le cadre d’une stratégie globale lors de la prise du pouvoir, et à propos des situations politico-militaires du septentrion, à la mise en place d’une «cellule de crise» restreinte, autour du président, composée de compétences nationales : elles existent ! Cette cellule, investie de forces de propositions conceptuelles ET concrètes, aurait permis au président de s’en réclamer, de fixer les grandes, et «petites» lignes, d’une orientation nécessaire aux prises de décisions. Ainsi, une telle cellule aurait été un «carrefour» de réflexions et de propositions qui aurait combiné, structurellement, politiques intérieure et extérieure, spécifiques au septentrion détruit par les groupes armés narco-djihadistes et par ceux, rebelles d’infimes minorités touarègues et arabes qui se livrent aussi à des activités criminelles. Une telle cellule aurait-elle évité les interventions militaires françaises et africaines ? Certes pas ! Mais, elle aurait permis, accompagnée d’une conférence régionale (et pourquoi pas d’un référendum…), associant toutes les forces vives de la nation en péril, de créer de nouveaux rapports de forces politiques dans les négociations qu’elles soient nationales, ou avec l’imprécise et douteuse communauté internationale, ou celles avec les pays médiateurs. Les enjeux sur le nord du Mali sont de taille, énormes ! Énormes car elles incorporent des dimensions nationales (retour à l’intégrité territoriale et à la souveraineté nationale), régionales dans le jeu des compétitions de leadership entre l’Algérie, le Maroc et le Burkina Faso, chacun cherchant à affirmer ses propres intérêts sur le Mali devenu un pays géostratégique, source d’enjeux multiples, et, évidemment, internationaux. Ce dernier aspect renvoie aux compétitions exercées par les multinationales avides d’exploitations actuelles et prochaines, en relations avec les politiques développées par les États occidentaux.
Que faut-il faire pour que le Mali avance ?
Les points de vue précédents ne véhiculent aucun fatalisme, bien au contraire ! Alors «Que faire ?» Un révolutionnaire russe avait, en son temps, au début du XXè siècle, déjà posé la question, et avait trouvé des réponses, alors que le Mali n’existait pas, tout du moins pas encore… Faudrait-il s’en inspirer ? Certes pas, ce n’est pas (encore ?….) à l’ordre du jour, sauf à dériver dans de faciles logorrhées politico-idéologiques, coupées des réalités profondes bien concrètes, et dans des modèles qui ont fait leur temps. Alors, que faudrait-il faire ? Quelle question !… Plein de choses… L’urgence consisterait à renouer avec le peuple quelles qu’en soient ses formes : sociétés civiles, associations, partis politiques, fonctionnement démocratique de l’Assemblée nationale incarnant la démocratie élective. Il ne saurait y avoir un État fort, un président fort, sans institutions fortes. Celles-ci renvoient nécessairement à la démocratie qui demeure un enjeu politique de taille. L’Assemblée nationale en est, à cet égard, un des lieux de son expression ce qui renvoie aux rôles que l’opposition (sous quelles formes ? Coalition de partis ?) est susceptible d’assurer dans ses capacités à élaborer un programme politique autre que celui, très vague, qui caractérise le moment des campagnes électorales. L’opposition (qui reste à se définir) a-t-elle la volonté de proposer une plate-forme politique susceptible de ré-enclencher des dynamiques démocratiques extraites des seules déclarations d’intention et de critiques, souvent pertinentes, mais trop souvent non assorties de propositions concrètes y compris dans le domaine économique. Quid du chômage ? Quid de la relance des secteurs publics clef de voûte d’une économie nationale dégagée des emprises néfastes des multinationales, et de la réactivation du secteur privé ? Enfin, puisqu’à Alger se négocient, pour l’heure, des Accords, il importe que, selon la formule consacrée, «la paix n’a pas de prix». Ce ne peut être ni au profit de l’impunité, ni au détriment de l’autonomie réelle de la justice qui se doit d’appliquer les sanctions à celles et à ceux qui ont commis des exactions criminelles d’où qu’elles viennent, ni au profit d’une armée nationale à la dorure républicaine déclinante qui intégrerait dans ses rangs une dimension ethnique génératrice de clivages et d’animosité, dont les erreurs du passé ont fait la preuve de leur inefficacité : on dit que l’histoire ne se répète pas ! … À voir ! Si oui, il en serait fini d’une armée nationale et républicaine qui, de facto, légitimerait la durabilité annoncée des forces militaires françaises (l’opération Barkhane) dans l’ensemble de l’espace saharo-sahélien.
À quand des discussions transparentes franco-maliennes sur l’Accord de défense ?
Il existe de par le monde, de solides amitiés solidaires qui, la main tendue, œuvrent avec le peuple malien et ses diasporas pour une démocratie progressiste rénovée, efficace, équitable et juste, qui contrecarre les forces et menées les plus conservatrices et obscurantistes. «Snober» ces amitiés solidaires, les négliger, les écarter ou les ignorer serait non seulement méprisant mais dangereux. Elles sont constitutives du refus des dominations occidentales, des forces «nationales-conservatrices», et autres, à caractère non laïc… À quand le retour à l’indépendance du Mali dans le contexte de la puissante déferlante mondialisation capitaliste ? À tout à l’heure ? … Aux «calendes sahariennes? ….». C’est à nous, faiseurs de temps, d’en décider.
Propos recueillis par Françoise WASSERVOGEL