À l’occasion de son voyage d’affaire à Maurice, l’ancien Premier ministre de la transition, Cheick Modibo Diarra, s’est confié à nos confrères LeMauricien.com. « J’ai été éjecté au bout de neuf mois quand les militaires ont voulu que je leur donne de l’argent des fonds publics et que j’ai refusé… », a-t-il expliquée dans cette interview que nous vous proposons en intégralité.
Le Mauricien : Pensez-vous que les leaders africains n’ont pas le courage de prendre les bonnes décisions ?
CMD : Je reviens à la différence entre un politique et un homme d’État. Un homme d’État réfléchit sur le long terme, pas seulement pour gagner la prochaine échéance électorale. Il réfléchit à l’avenir de son pays, pas au sien.
Et puis, en 2006, alors que vous êtes en train de travailler sur la problématique de la gestion de l’eau dans votre village, Bill Gates vient vous voir et vous propose de représenter Microsoft au Mali puis sur l’ensemble du continent africain. Vous passez cinq ans à ce poste qui vous fait voyager sur le continent. Et puis, en 2011, vous vous lancez dans la politique active au Mali.
Pour faire ce que les politiciens étaient incapables de faire, selon vous ?
C’est à cause du combat contre la corruption que j’ai décidé de faire de la politique. Quelles que soient les bonnes idées et la volonté politique que l’on peut avoir, la corruption est une gangrène qui bouffe tout.
LM : C’est une gangrène africaine ou un produit importé ?
CMD : C’est un mal qui vient de partout ! Quand on détourne deux milliards d’un budget d’un trillion de dollars, cela ne se sent pas. Mais quand on détourne 200 millions d’un budget de trois milliards, ce sont des hôpitaux qui n’ont plus de médicaments, ce sont des écoles que l’on ne construit pas et cela a une incidence beaucoup plus grande en Afrique qu’ailleurs. Je ne peux pas faire grand-chose pour l’ensemble de l’Afrique, mais en tant que Malien je peux me présenter aux élections et essayer de tout changer. Je l’ai fait en 2011 pour me préparer pour les élections de 2012. J’ai créé un parti politique en janvier et j’ai commencé ma campagne. Au mois de mars, il y a eu un coup d’État militaire, les militaires sont venus me voir pour me proposer le poste de Premier ministre, et j’ai accepté à trois conditions : pas d’interférence de l’armée, pas de pression pour les nominations et pas de demande d’argent des fonds publics. Ces conditions ont été acceptées et j’ai formé un gouvernement de transition composé uniquement de technocrates.
LM : Pourquoi seulement des technocrates, ils sont meilleurs que les politiques pour gérer un pays ?
CMD : Pas forcément. C’était un gouvernement de transition. Je ne pouvais pas faire appel aux politiques, c’est pourquoi j’ai pris des technocrates, des gens compétents de partout et on a travaillé alors que les pays européens et les USA avaient suspendu leur aide au Mali à cause du coup d’État. J’ai été le Premier ministre de transition d’un pays complètement sous embargo international. Mais pendant neuf mois nous avons fait fonctionner le pays comme il le fallait en préparant les élections.
LM : Cette transition n’a duré que neuf mois…
CMD : J’ai été éjecté au bout de neuf mois quand les militaires ont voulu que je leur donne de l’argent des fonds publics et que j’ai refusé. Les militaires m’ont kidnappé, m’ont emprisonné et m’ont forcé à démissionner du poste de Premier ministre pour me remplacer par des politiciens plus… souples. J’ai démissionné puis je me suis présenté comme candidat à l’élection présidentielle, mais je n’ai pas été élu.
LM : Et pourtant vous aviez bien dirigé le pays pendant la transition…
CMD : Oui mais chez nous en Afrique, dans les pays où les gens ne mangent pas à leur faim, pour gagner une élection il faut donner de l’argent. Je n’en avais pas pour cet usage et les gens me disaient on t’aime bien, tu as bien travaillé mais tu ne nous donnes rien, alors que ton adversaire nous donne ce qu’il faut.
Vous avez été blessé de ne pas être élu ?
Pas du tout. On n’est jamais content de ne pas être reconnu, mais je savais que je n’avais pas les moyens financiers et la logistique qui va avec. J’ai été septième sur la liste, ce qui a surpris, d’autant que c’était la première fois que je me présentais. Je me demande si on ne s’est pas organisés pour que je sorte septième pour me décourager et me pousser à retourner aux États-Unis.
LM : Avez-vous abandonné la politique après cette défaite ?
CMD : Pas du tout ! Je suis toujours au Mali où je fais des choses pour mon pays, pour le tirer des griffes des prédateurs. Je suis retourné sur ma ferme où je gère l’eau, j’importe des semences différences, j’améliore le cheptel et je partage mes connaissances, comme je l’ai toujours fait. Au niveau politique, mon parti est toujours actif et nous allons nous présenter aux prochaines élections municipales en 2015. Le problème de l’Afrique réside dans le fait que le taux d’éducation est très bas. Au Mali il y a près de 70% de gens qui sont illettrés, qui ne font même pas la différence entre les programmes des partis politiques. Ils votent ce qu’on leur dit de voter sans réaliser qu’ils peuvent tout changer en faisant le bon choix.
Ousmane Daou avec LeMauricien.Com