Le gouvernement malien a libéré 201 prisonniers des groupes armés qui ont sévi et continuent de sévir au Nord du Mali. Parmi ces prisonniers figurent des terroristes qui ont été impliqués dans la commission de crimes imprescriptibles et pour lesquels ils étaient poursuivis par les organisations de défense de droits de l’homme. Le dernier fait ou la goutte qui a fait déborder le vase a été la libération de Ag Alfousseyni dit Houka Houka, ancien juge islamiste de Tombouctou arrêté en janvier 2014 et libéré le 15 août dernier. Furieuses, 37 organisations et associations de défense des droits de l’homme ont battu le pavé ce jeudi matin à travers une marche géante qui a commencé à la Bourse du travail pour s’achever devant le ministère de la Justice où les manifestants ont remis une motion au patron des lieux, Mohamed Ali Bathily.
Ces organisations et associations de défense des droits de l’hommes étaient déjà montées au créneau le jeudi 28 août 2014 au siège de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) pour dénoncer à travers une conférence de presse les agissements de l’exécutif malien dans le domaine judiciaire et solliciter du coup l’intervention de la Cour pénale internationale afin d’éviter le pire qui est la libération de tous les grands criminels que notre pays a connus pendant la crise notamment la bande des putschistes du 22 mars 2012.
La marche qui a été décidée ce jour-là a finalement eu lieu le jeudi 11 septembre 2014. Elle a commencé à la Bourse du travail aux environs de 9 heures pour se terminer chez le ministre de la Justice vers 11 heures. Intitulée « paix et justice », la marche était dirigée par des têtes de proue en matière de défense de droits de l’homme au Mali comme Me Kadidia Sangaré Coulibaly, présidente de la CNDH ; Saloum Traoré, président du Réseau des défenseurs des droits de l’homme au Mali ; Me Moctar Mariko, président de l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH) ; Bitou Founè de Wildaf-Mali etc.
Les manifestants ont tout au long de leur trajet, exprimé leur mécontentement par rapport à la libération des prisonniers du Nord parmi lesquels figurent des terroristes qui ont été impliqués dans l’accomplissement de crimes imprescriptibles et pour lesquels ils étaient poursuivis par les organisations de défense de droits de l’homme.
La dernière libération qui a fait sortir ces organisations de leur silence et considérée comme celle de trop, a été de Ag Alfousseyni dit Houka Houka, ancien juge islamiste de Tombouctou arrêté en janvier 2014 et libéré le 15 août dernier alors qu’il était inculpé pour son rôle présumé dans la commission de violations graves de droits de l’homme à travers des sentences extrajudiciaires (l’amputation, l’exécution sommaire, des arrestations arbitraires, des mauvais traitements…).
L’AMDH et la FIDH s’étaient constituées parties civiles le 20 juin 2014 au côté des victimes de ce dernier.
Ces mêmes organisations se sont plaintes de la libération de Yoro Ould Daha, ancien membre influent de la police islamiste du Mujao à Gao pendant l’occupation et membre d’une aile du MAA.
Dans la motion qu’elles ont remise au ministre de la Justice, Mohamed Ali Bathily, les 37 organisations de défense de droits de l’homme signataires expriment leurs préoccupations par rapport à la libération en cascade des personnes ayant commis des crimes abominables et qui sont sous le coup de poursuites judiciaires comme ceux cités plus haut. Une atteinte grave aux droits des victimes. Elles regrettent l’incursion de l’exécutif dans le champ judiciaire parce que comme l’a dit l’autre, lorsque la politique rentre par la porte, la justice sort par la fenêtre. Elles se disent préoccupées par d’éventuelles libérations pouvant s’étendre à la bande de Amadou Haya Sanogo, le tristement célèbre putschiste malien de 2012.
En réponse, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice Mohamed Ali Bathily a rassuré les manifestants de la préoccupation du gouvernement à faire en sorte que le Mali soit un Etat de droits et que force reste à la loi.
« Je voudrais sincèrement vous remercier pour votre mobilisation et la motivation qu’elle a suscitée. Je connais la plupart de certains de vos responsables, qui me connaissent aussi et qui savent que je suis toujours sur le front avec ceux qui se battent dans ce pays, cela n’a pas commencé aujourd’hui, pour instaurer un Etat de droit viable au Mali. Et donc, ce que vous dites : stop à l’impunité, moi aussi je le dis, vous m’avez entendu le dire. Quand vous me dites justice pour les victimes, je n’arrête pas de le dire et de me battre parfois difficilement pour obtenir cela. Quand vous me dites d’arrêter les coupables, je dis oui, il faut les arrêter. Les Accords de Ouaga dans leur application nous commandent de ne même pas faire cadeaux aux auteurs de crime les plus graves. Nous le savons. Vous dites Etat de droit, mais cela suppose qu’il faut imaginer la corrélation entre l’Etat et le droit. Le droit est plus facile d’accès, parfois l’Etat pose trop de problèmes et de difficultés. L’Etat du Mali, je le dis et je le répète, a été sauvé par sa superficie, il faut que nous nous rendons compte. Par sa superficie. Dans des pays plus petits que le Mali, de moins de 200 km2 parfois, les coupe-coupes, les machettes, les haches ont suffi pour détruire l’Etat. Là, on ne parle même plus d’Etat, mais de reconstitution de l’Etat. Ces pays-là vous les connaissez, je n’aimerais pas les nommer. Le Mali a reçu sur son territoire les armes les plus sophistiquées, menées par des rébellions formées à l’internationale terroriste, sur toutes les armes possibles, et qui ont attaqué ce pays. Et vous avez vu que sur 3/4 de notre territoire, ils avaient pu nous faire douter de notre existence. Le quart qui reste a été sauvé par la superficie parce que nous n’avons pas entendu les armes tonner là où elles ont tonné. Nous sommes en train de négocier quoi ? Ce n’est pas la faiblesse de la volonté de dire le droit. Mais nous sommes en train de négocier le retour de la force de l’Etat, de renégocier la reconstitution et la refondation de l’Etat. Vous dites Etat de droit, cela suppose que l’Etat existe et nous nous battons pour cette existence de l’Etat aussi. Il ne faut pas oublier cette étape. Parfois cette étape a des exigences qui ne sont pas compatibles avec les délais et les exigences judiciaires proprement dites. On en a conscience, parce qu’on est responsable. Vous nous avez mis là pour gérer les choses, nous les gérons avec la conscience de tous les risques et tous les faiblesses. Et que nul n’ignore que l’Etat du Mali cherche à reconstituer sa force, mais qu’il avait été atteint par une faiblesse jamais égalée. Pour la reconstituer, si nous devrons faire quelques sacrifices au nom des principes que nous avons, nous allons faire ces sacrifices et faire en sorte que demain les principes puissent s’appliquer. Vous parlez de quoi ? J’ai personnellement participé en tant que fonctionnaire international, ceux qui me connaissent le savent, aux négociations sur les règlements de procédures et d’administration de la Cour pénale internationale à New York pendant 6 mois. Et j’ai participé pendant un mois à la conférence de Rome pour la création de la Cour pénale internationale. Cela veut dire que je suis convaincu par ce que vous dites et le Mali a confié à la Cour pénale internationale, par un protocole signé, la poursuite de tous les crimes qui se sont commis sur notre territoire pendant l’époque que nous évoquons. La Cour pénale est plus outillée que le Mali, a plus de moyens que le Mali et vous savez qu’encore la Cour pénale n’a même pas désigné une seule personne pour dire qu’elle est coupable.
Mais le cas de Houka Houka comme vous le dites, il a été arrêté le 17 janvier, il n’était pas dans les mains du gouvernement du Mali, il était dans d’autres mains du mois de janvier au mois d’août. Parce que Houka Houka s’il a fait ce qu’il a fait, il sait aussi des choses sur les crimes du Nord. Et on avait aussi voulu le manipuler pour qu’il aille du côté du MNLA. Nous ne le cachons pas ; ceux qui l’avaient détenu, c’est ce qu’ils avaient fait. Ils ne nous l’ont remis qu’en août. Il y avait un tribunal à Gao, il y a des juges là-bas. Il n’a pas été présenté là-bas. Pourquoi ? Pourquoi pas à Tombouctou ? On est venu s’en débarrasser ici à Bamako en nous disant il faut l’enfermer tout de suite, c’est un criminel. Mais nous nous savons pourquoi on nous l’a amené en ce temps là parce qu’on allait en Alger et il ne fallait pas qu’il parle avant qu’on aille en Algérie. Nous avons dit : les intérêts du Mali passent avant vos calculs messieurs. J’expliquerai plus en détails aux chefs de vos organisations qui ont fait ça, je leur remettrai tous les éléments en main. Mais lorsqu’on nous l’a amené ici, vous savez que je l’ai appris pour la première fois quand certains amis au nom desquels il avait été arrêté, bousculés par le fait qu’on l’a libéré, ont couru pour nous dire, monsieur le ministre il faut que vous nous sauvez, il faut que, il faut que…. J’ai dit non, vous l’avez gardé pendant tout ce temps, vous n’avez pas demandé mon avis. Et maintenant qu’on va à Alger, vous voulez vraiment donner le change en disant oui on l’a mis en sécurité. Non, c’est lui qui vous met en insécurité par rapport aux négociations à Alger. Il est en train de nous dire des choses que nous nous sommes intéressés à savoir. L’Etat, c’est aussi cela. Parfois sauver son intérêt, sauver le pays. L’Etat de droit, les crimes de génocide, je vous dis, sont imprescriptibles. Pour toute la vie, si notre génération n’arrive pas à poursuivre quelqu’un, votre génération sera là demain pour les poursuivre pour tous les crimes qu’ils ont faits. Est-ce que vous désespérez que l’avenir vous appartient ? Si l’avenir est à vous, les crimes sont imprescriptibles. Vous, si nous nous échouons, vous allez les juger. Ce fit là l’histoire des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre, des crimes de génocide. Je parle devant des avocats, ils le savent. Donc, nous ne disons pas qu’il y a l’impunité, nous différons la punition dans l’intérêt de l’Etat. On ne dit pas impunité au Mali. Nous nous battons dans les mêmes rangs que vous, mais nous sommes en face de certaines responsabilités que vous vous ne gérez pas, que nous nous devrons gérer. Et devant ces responsabilités, nous sommes enclin à prendre des décisions et parfois c’est des décisions qui peuvent être amères pour nous, mais nous savons que nous croyons en ce pays, nous croyons en ces fils et que demain, ce que nous ne parviendrons pas à faire aujourd’hui, d’autres prendront le relai et le feront parce que c’est ce qui est normal, parce que c’est ce qui doit se faire, parce que c’est ce qui est l’Etat de droit. On continue à juger des gens qui ont commis des crimes de guerre en 1945. On n’a pas exigé qu’ils soient jugés tout de suite, on a attendu le temps qu’il faut, mais on a fini par les juger. Le Mali n’échappera pas à cette règle. Ce qui s’est passé au Nord du Mali est trop profond pour qu’on dise qu’on va tout finir tout de suite. Donc je dis que votre combat est le nôtre, nous sommes avec vous, le peuple malien a besoin dans cette frange saine sauvée du terrorisme, de se mobiliser face à Alger, de se mobiliser pour que nous soyons forts comme avant, comme nous le souhaitons, comme il se doit. Donc j’ai reçu votre motion, croyez moi bien ça me touche profondément, croyez moi bien je la traiterai, croyez moi bien je resterai en contact avec vos responsables, et vous savez que cette lutte contre l’impunité, ce n’est pas seulement que sur le problème du Nord. Le problème de la justice, c’est un tout et nous sommes en train d’aborder le tout avec courage et détermination. Parfois, je me sens seul. Une fois déjà, ils ont voulu manifester pour nous soutenir, ils en ont été empêchés. Lorsqu’il s’agit de nous soutenir, on les empêche. Quelque part je crois qu’il y a une manipulation. Mais lorsqu’il s’agit de vous dire de venir presque nous dire des choses que d’autres veulent manipuler, utiliser autrement, on peut vous mobiliser. Mais vos organisations sont très responsables, je les connais et je sais que vous partagez leurs responsabilités, nous finirons par nous entendre. Je vous remercie ».
Yattara Ibrahim