Si vous êtes visiteur à Bamako il y a deux spectacles qui vous frappent: la nuée de mobylettes Jakarta sur les routes et la flopée de mendiants. Je m’intéresse ici aux mendiants et à la mendicité qui, à mon avis est une vilaine cicatrice sur la face de notre société, et pire, une plaie dans notre âme en tant que société humaine.
On nous raconte que dans l’empire peul du Macina, les familles envoyaient leurs enfants- les garçons- étudier à Hamdallaye, la capitale aujourd’hui disparue sauf quelques ruines visibles sur la route nationale qui mène à Mopti. Les jeunes garçons venaient apprendre le Coran, la Sunna et bien d’autres et comme les Maîtres coraniques ne pouvaient les nourrir tous, ils allaient de porte en porte pendant les moments de repas demander à manger. Ils ne cherchaient pas à emmagasiner ; ils mangeaient ce qu’on leur offrait et une fois rassasiés, ils retournaient à l’école coranique. Il s’agissait là d’une pratique de survie alimentaire mais aussi soutenue par un geste de solidarité collective qui encourageait davantage de familles à envoyer leurs enfants à Hamdallaye. Ma connaissance de l’histoire est très limitée mais je pense qu’à cette période les Maîtres coraniques n’utilisaient pas les élèves pour amasser de la richesse. Le Maître coranique faisait œuvre utile, au nom d’Allah.
Aujourd’hui, il y a encore des familles rurales qui envoient leurs enfants « étudier » chez des Maîtres de tout acabit. Ce sont les enfants qui travaillent à la survie du Maître. Ils mendient et apportent argent et nourriture pour cet adulte malin qui prend tout son temps pour leur enseigner la plus courte des sourates du coran puisque les enfants lui sont utiles ; les enfants assurent sa survie et celle de sa famille. Chaque fois que je voyage sur les routes du Mali, je rencontre des petits groupes de mendiants/élèves coranique. Je m’arrête souvent pour leur poser des questions et satisfaire ma curiosité. Et à chaque fois, la réponse est la même : le Maître est parti en voiture, il a demandé qu’on le rejoigne dans telle ou telle ville ; ou bien il nous a demandé de le devancer. Il nous rejoindra. Evidemment, aucun Maître ne se tape les 230 Kms qui séparent Ségou de Bamako à pied. Aucun Maître ne se tape à pied la distance qui sépare Mopti de Douentza. Et Justement à Douentza, j’ai une fois rencontré un petit garçon originaire de Bougouni ou tout au moins du Cercle. Il ne savait plus où ses parents résidaient. Il se rappelle simplement venir de Bougouni. Il allait, pieds-nus, sa besace suspendue aux épaules et ne manquant jamais de chanter à voix émouvante aux voyageurs qui passent par là.
J’ai l’impression que personne ne s’offusque de ce phénomène grandissant de mendicité à travers nos villes, sur les routes. De plus en plus de personnes âgées mendient, souvent ils souffrent de handicaps physiques, souvent ils se portent aussi bien qu’un joueur de la Ligue Orange. Des jumeaux sont utilisés pour mendier ; des aveugles engagent des enfants qu’ils payent par jour pour les conduire à différents lieux de la ville pour mendier ; des mendiants Maliens se trouvent un peu partout à Dakar, autrement dit il y a des « mendiants expatriés ». On les reconnait facilement par leur faux accent Ouolof. Pourquoi en-est-il ainsi ? Pourquoi les maliens, d’habitude si charitables, ne peuvent pas prendre soin de leurs enfants, leurs malades et leurs jumeaux mais les laissent dans la rue pour mendier ? L’Islam ne nous enseigne-t-il pas de prendre soin de nos enfants, malades et personnes âgées ? Je ne suis pas historien ; je ne suis pas sociologue, j’ai juste quelques opinions.
Je pense que bien que les Maliens soient des êtres charitables, notre charité n’est pas organisée ; elle est simplement un gaspillage ; une ostentation à des égards. La preuve est qu’à l’exception de ceux travaillant dans les mosquées sunnites et Dawa, nos imams et muezzins sont pour la plupart, les plus misérables du quartier. Ils vivent d’aumônes et de sacrifices. Et pourtant, nous avons tous besoin d’eux : pour un baptême, un mariage, un décès, une médiation. Pour une société à 90% musulmane, ceci est bien évidemment une honte. Aucun pasteur ou prêtre ne vit de pitance. J’envie aux Chrétiens leur sens de l’organisation et je plains mes coreligionnaires de leur absence de perspective à part l’imposition de la Charia.
La pratique des sacrifices conseillés et même exigés par les marabouts, charlatans et géomanciens entretient aussi la mendicité, mieux elle fait de la mendicité, un acte socialement utile. Tel est conseillé de donner l’aumône à un aveugle, un lépreux, des jumeaux, un vieux monsieur, des enfants etc. Ces aumônes et sacrifices sont le passage obligé à la satisfaction de nos besoins, à la réalisation de nos rêves, à l’obtention d’un emploi, à la marche de notre commerce…et même à notre entrée au paradis. Sans les mendiants, nous serons tous perdus ; aucun rêve ne sera réalisé ; aucun commerce ne fleurirait ; aucun élève ne réussirait à son examen ; personne n’irait au paradis. Ils sont si utiles ces mendiants, ces éclopés, ces faux et vrais jumeaux, ces faux et vrais malades. Ils sont plus utiles que moi-même qui écris ce papier puisque je ne peux attirer les faveurs du ciel sur qui que ce soit, encore moins garantir l’accès au paradis.
La solidarité humaine est la meilleure des choses dans une société. Il y a de la solidarité même chez les animaux. C’est en étant solidaires que les lionnes arrivent facilement à abattre une proie pour nourrir la meute. La Solidarité a cependant besoin de se manifester autrement que par le geste dédaigneux de la remise des 50F à une aveugle posté au feu tricolore ou la distribution de dattes et morceaux de pain à des enfants aux coins de rue. J’ai eu la chance de travailler pour une grande organisation britannique qui collecte beaucoup de fonds auprès du public Britannique lorsqu’il y a des désastres en Afrique et ailleurs comme la sècheresse, les inondations, la famine, la guerre etc. Les Anglais, pour ne donner que cet exemple, donnent par solidarité pour secourir des peuples dont ils ignorent souvent même la localisation géographique sur la planète, mais ils donnent avec la confiance que leur geste peut sauver des vies ailleurs. Ils donnent parce qu’ils comprennent que d’autres ont besoin de ce petit geste. Les églises sont de moins en moins fréquentées en Angleterre beaucoup de Britanniques se définissent comme agnostiques mais ils croient en la force de la solidarité humaine, à la charité organisée. Ils ne donnent pas une fortune mais lorsque 1 million d’Anglais donnent chacun l’équivalent de 2500F CFA, cela fait une fortune et l’organisation récipiendaire achète nourritures, tentes et sanitaires pour les victimes de calamités ou de guerres. Il arrive qu’un citoyen britannique assez riche donne d’un seul geste l’équivalent de 5 ou 10 millions de francs CFA. Je n’ai jamais vu un riche Malien donner autant pour sauver des vies ou pour une cause sociale mais j’en connais qui ont offert des voitures neuves et des villas aux griots et griottes. J’en connais qui ont construit des mosquées qui deviennent ensuite le lieu de prédilection des mendiants comme pour compléter le tableau du voyage vers le paradis. Je ne connais pas de Maliens riches qui aient construit une école ou une maternité, mais j’en connais qui ont offert des villas aux marabouts et aux griots.
J’ai aimé la solidarité qui s’est manifesté à l’endroit des régions du Nord à la suite de l’invasion barbare du MNLA et de Djihadistes. Les gestes observés çà et là doivent être salués, mais en tant que Nation, nous sommes interpellés. Même si nous voulons, nous ne pouvons pas tous les jours donner pour les régions du Nord, il va falloir penser à un système plus durable. Ceci est une autre échelle mais pour le moment, ils sont nombreux nos enfants qui errent les rues. Ils sont nombreux nos malades qui dorment dans les rues. Ils sont nombreux nos personnes âgées qui dorment au carrefour du Grand hôtel de Bamako, aux alentours de la place Al Qods et de l’IOTA ; ils sont nombreux les enfants qui grandissent dans la rue sans la perspective d’un avenir autre que la criminalité. Les mendiants de Bamako, Ségou, Kayes, de toutes les villes nous interpellent. Une société qui ne peut prendre soin de ses enfants et de ses malades est une société qui n’a pas sa place dans le concert des Nations civilisées, encore moins parmi les peuples de croyants.
Balazanba
12/09/12