Mécontents du dénouement de plusieurs de plusieurs affaires judiciaires, des manifestants ont attaqué le palais de justice avec dans leur ligne de mire, le juge. Le ministre Bathily est allé calmer la situation.
Nos compatriotes ont soif de justice et le font savoir à chaque occasion. Et pour se faire entendre, ils peuvent choisir la manière forte. C’est ce qui est arrivé mardi à Fana, localité située à 120 km de Bamako sur la route menant à Ségou, où une partie de la population s’est révoltée contre le juge de paix à compétence étendue de la localité, en la personne de Noumou Moussa Samaké. Les révoltés, constitués pour la plupart de jeunes et d’adolescents, se sont réunis très tôt le matin pour une marche de protestation contre le juge en question.
Mais très vite, la marche dérapa. La tension monta d’un cran et l’atmosphère devint complètement invivable dans la ville. Les manifestants décidèrent de marcher sur le tribunal. Heureusement, les autorités locales avaient pris les devants en déployant sur place un important dispositif de sécurité (gardes et gendarmes). Mais apparemment aveuglés par la colère, les marcheurs s’attaquèrent à ce dispositif avec des jets de pierres. Les forces de sécurité répliquèrent avec des gaz lacrymogènes et parvinrent finalement à rétablir l’ordre.
C’est dans cette atmosphère délétère que le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Mohammed Ali Bathily, accompagné d’une forte délégation, débarqua sur place en milieu d’après-midi.
« Nous sommes désolés de débarquer chez vous dans de telles circonstances mais il fallait le faire compte tenu de l’urgence de la situation », lancera le ministre à destination du juge de paix sorti de son bureau pour l’accueillir. Auparavant, la délégation avait pu se faire une idée de la violence des affrontements en marchant sur le tapis formé par les cailloux lancés par les manifestants contre le palais de justice. Si l’on en croit les différents témoignages recueillis sur places, les manifestants étaient décidés à lyncher le juge Noumou Moussa Samaké.
Heureusement, ce dernier et l’ensemble des travailleurs de l’administration judiciaire, avaient eu le temps de se barricader dans leurs bureaux sous la protection des forces de sécurité.
VOLS SPECTACULAIRES DE BETAIL. Qu’est-ce qui a donc pu cristalliser autant de rancoeurs contre le jeune magistrat ? Un des nos confrères d’une radio de proximité de la place, Modibo Makono Coulibaly dit « Samaniana Bassy », a entrepris de nous briefer sur certains faits. Selon lui, il y a un peu plus d’un an, des propriétaires de bétail de Fana et environnants avaient assisté impuissants aux vols spectaculaires de plusieurs dizaines de têtes de leur cheptel. Leurs soupçons se portèrent sur un certain Mahamane Cissé dit « Diop ». Ce jeune homme d’une quarantaine d’années serait connu comme un voleur aguerri dans toute la contrée. Les gendarmes auraient plusieurs fois mis aux arrêts le présumé voleur. Mais invariablement, le jeune retrouve la liberté. « On dit à chaque fois que l’ordre de le libérer est venu d’en haut, précise notre interlocuteur. Les victimes ne comprennent pas ces libérations. Les gens en avaient assez de voir le jeune homme se pavaner en ville après chaque interpellation par les gendarmes ». Pour les éleveurs victimes des vols, il n’y a aucun doute : c’est le juge qui ordonne, à chaque fois, la relaxe de « leur » voleur. Il est donc, sont-ils persuadés, de connivence avec lui.
D’autres affaires sont évoquées pour expliquer la colère d’une partie de la population de Fana contre le juge. Comme ce viol collectif d’une fillette de 14 ans du nom de Assa T. dont les auteurs auraient été libérés contre paiement d’une caution. Nous n’avons pu vérifier la véracité de ces faits mais le sujet revient dans toutes les conversations.
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase bien plein des contentieux, est un acte attribué encore une fois au fameux Mahamane Cissé et à des complices. La veille de la fête de Tabaski, ils auraient abattus des bœufs dans les environs immédiats de la ville de Fana avant de disparaître. C’est après leur disparition que des propriétaires d’animaux ont réalisé qu’il manquait plusieurs têtes dans leurs troupeaux. Des témoins leur auraient assuré avoir vu dans les buissons, des restes d’animaux qui venaient fraîchement d’être abattus (peaux, cornes, boyaux, etc.).
Après cette découverte, les soupçons se sont à nouveau portés sur Mahamane Cissé « Diop ». Le jeune homme aurait été recherché, capturé par des jeunes de la ville pour ensuite être remis à la gendarmerie. Mais le présumé voleur retrouvera rapidement la liberté. Aux yeux des éleveurs, c’en était trop. Le juge Noumou Moussa Samaké s’est retrouvé dans leur collimateur, comme étant le seul responsable de l’impunité persistante de « leur » voleur.
Informé de l’atmosphère délétère qui régnait à Fana depuis quelques mois, le ministre Bathily avait programmé une visite dans la localité. Mais les choses se sont précipitées avec la manifestation de mardi passé. Sa venue a été très bien accueillie par la population de Fana. Le ministre de la Justice et des Droits de l’homme a eu des échanges fructueux avec les autorités locales en présence d’une foule immense.
DANS QUINZE JOURS. « Nous sommes décidés à faire avancer les choses dans le bon sens. Mais cela ne pourra se faire que si tout le monde s’y met », a dit le ministre avant d’avertir que « nul n’est et ne saurait être au dessus de la loi ». Sur le champ, il a instruit au procureur de Koulikoro, dont relève Fana, de « prendre les dispositions » qui s’imposent en pareille circonstance pour tirer cette affaire au clair. Et cela dans les quinze jours à venir. « Nous ne sommes pas venus pour dire que telle personne à tort ou telle autre a raison. Mais nous sommes venus pour que la justice soit et que le droit soit dit de façon juste et équitable », a-t-il déclaré avant de préciser qu’il n’avait pas affaire au juge de Fana, sous les applaudissement nourris d’une foule visiblement satisfaite.
Avant de prendre congé, le Garde des sceaux a appelé les uns et les autres au respect des autorités qui sont les garants de loi. C’est encore sous les applaudissements et les cris de joie de la foule que le ministre et sa délégation se sont retirés de la salle d’audience du tribunal où la rencontre s’est tenue.
Tout semble donc être rentré dans l’ordre. Du moins pour le moment, car de nombreux intervenants ont demandé, lors de la rencontre, rien de moins que le départ du juge Noumou Moussa Samaké.
Envoyé spécial
Mh.TRAORE