Amkoullel, rappeur malien, lance un SOS pour son pays dans un single sorti en ligne. La chanson, payante, peut être téléchargée sur Internet. Les profits iront à la Croix Rouge malienne pour venir en aide aux civils en situation de grave crise humanitaire et soumis à des violences dans le nord du pays. Un des couplets dit: «Etranger kidnappé / non non plus jamais ça / démocratie en papier / fonds publics détournés / le moins riche condamné / religion manipulée…» Plus jamais ça, c’est aussi le nom d’un collectif dont Amkoullel est membre, et qui a été fondé au lendemain du putsch du 22 mars par des jeunes actifs et non politisés de Bamako. Pour le rappeur, il n’est pas question d’imputer tous les torts au seul Amadou Toumani Touré (ATT), le président au pouvoir ces dix dernières années, renversé le 22 mars. Un ancien militaire auquel beaucoup reprochent son laxisme, mais aussi de n’avoir pas vu venir la crise dans laquelle le Mali a plongé.
Slate Afrique: Votre chanson SOS adresse beaucoup de reproches à ATT. Est-il seul en cause?
Amkoullel: Non, ATT n’est pas seul visé. Nous sommes tous responsables pour avoir accepté cet État de mensonge et de corruption. En fait, tout le monde s’attend à une crise depuis un an, et la menace pesait de plus en plus fort les six derniers mois, avant le putsch. Et en février et mars, encore plus. Beaucoup de facteurs ont concouru au fait qu’un homme comme Amadou Sanogo ait vu l’opportunité à prendre. Les militaires l’ont saisie dans l’improvisation, mais ils ont matérialisé ce qui était dans l’air. En réalité, n’importe qui aurait pu faire ce putsch…
Slate Afrique: Aviez-vous vu venir la crise?
A: Des gens me disent que le Mali ne mérite pas ça. Mais quand on court vers le mur tête baissée, il ne faut pas s’étonner qu’on se l’éclate! Au Mali, il existe une corruption qui se fait sans aucune gêne. Beaucoup sont devenus voleurs, arnaqueurs, au vu et au su de tout le monde. Quand les gens volent, les autres disent qu’ils ont réussi dans la vie. Personne n’est plus choqué, tout le monde fonctionne comme ça. Quand tu veux travailler honnêtement, tu crèves la dale. Le Mali était une référence au niveau de la démocratie, mais en réalité, plus personne n’a l’amour du pays… Les gens se taisent sur les pots-de-vin, chacun vole, grignote ce qu’il peut. Que les gars soient des opportunistes, soit. Mais à un moment, il faut arrêter, sous peine de scier la branche sur laquelle on est assis… Le sentiment patriotique, le fait de placer l’intérêt du pays d’abord, ça n’existe pas. Nous en payons les conséquences.
Slate Afrique: Le régime ATT porte donc une lourde responsabilité…
A: Le coup d’État résulte d’un mal beaucoup plus profond. Mettre un sparadrap sur une jambe de bois, ça ne sert à rien du tout! A un moment, il faut arrêter d’être des hypocrites, des voleurs et des menteurs. Nous sommes en train d’oublier qui nous sommes, en tant que Maliens. Il faut qu’on se regarde en face et qu’on arrête de dire que tel président a détruit le Mali. Ce sont les Maliens qui ont détruit le Mali. Qui manifeste contre les trompeurs, les voleurs qui nous achètent? Ils nous donnent de l’argent pour des T-tshirts, des babioles, des pacotilles. Qu’on assume nos responsabilités!
Slate Afrique: Que penser des derniers évènements à Bamako, avec les heurts entre l’ancienne garde présidentielle d’ATT et les éléments de la junte?
A: L’attention des médias est trop focalisée sur les guerres du pouvoir en cours, les réactions de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), sur tous les hommes politiques qui cherchent des fauteuils. La priorité, ce sont les gens qui souffrent au nord du Mali. Mais on s’en fiche royalement! Même si l’Azawad ne va pas durer, après cette crise, il y aura deux Mali. Ceux du Nord vont s’estimer abandonnés. C’est le drame que nous risquons aujourd’hui. Les opportunistes qui vont et qui viennent, on s’en fout!
Slate Afrique: Vous appartenez au collectif « Plus jamais ça », qui a organisé le 25 avril une chaîne humaine pour la paix à Bamako. S’inspire-t-il du mouvement Y’en a marre du Sénégal?
A: Non, il existe un mouvement de rappeurs au Mali plus proche de Y’en a marre: Les sauveurs de la République. Les deux collectifs travaillent ensemble. A long terme, Plus jamais ça veut faire office de sentinelle, dans des secteurs et à une échelle différents. Le collectif veut par exemple donner des formations pour permettre aux citoyens de mieux maîtriser la Constitution, organiser des débats sur la démocratie, le respect de la loi, les abus de pouvoir.