« Les islamistes nous ont convoqués, dimanche, à 17 heures, au canal de Kadhafi », témoigne un notable de Tombouctou joint lundi 17 septembre au téléphone par La Croix. « Je les ai vus arriver avec un jeune homme accusé d’avoir volé du riz à un parent d’un policier islamique. Ils l’ont attaché à une chaise et lui ont coupé la main avec un couteau. Le jeune homme s’est mis à hurler. Les islamistes criaient “Allah Akbar” (Dieu est grand). Nous étions estomaqués, abasourdis par cette exécution. Nous sommes tous rentrés chez nous, effarés et choqués. Depuis la chute de la ville, le 1er avril, c’est la première fois qu’à Tombouctou, les islamistes ont amputé un homme au nom de l’islam. »
« C’est le règne de l’arbitraire depuis la chute de la ville », ajoute un professeur, « les nouveaux maîtres de la ville ont toute autorité : nous n’avons aucun recours. Ils appliquent une justice religieuse stricte qui repose sur une lecture du Coran qui ne souffre aucune discussion. Nous avons peur de dire ce que nous pensons, d’être accusés à tout moment de vivre dans l’impureté, le crime. Ceux qui dominent la ville, les Touaregs islamistes d’Ansar Dine, appliquent une justice ethnique : ils favorisent les leurs et desservent les autres », affirme-t-il.
LA PLUPART DES HABITANTS SOUHAITERAIENT PARTIR
Les crimes contre l’islam, tout au moins ceux considérés comme tels, sont punis sur la place Sonkaré de Tombouctou. « Les “criminels” y sont “chicotés”, fouettés en public avec un fouet pour chameau. Les peines sont codifiées : 15 coups de fouet pour ceux qui ont été vus en train de fumer ou discutant avec des femmes ; 100 coups pour avoir bu de l’alcool. Je ne compte plus le nombre de personnes que j’ai vues être chicotées sur cette place. »
Selon lui, la population s’est résignée à vivre sous l’ordre des islamistes d’Ansar Dine : « On voit surtout des jeunes garçons, de 13-14 ans, armés de kalachnikov, qui patrouillent dans les rues, arrêtent les “criminels”. On baisse les yeux lorsqu’ils passent. C’est oppressant et violent. »
La plupart des habitants souhaiteraient partir de la ville mais ne le font pas, faute de moyens. « Il faut avoir un point de chute. Ce qui n’est pas évident. Depuis quelque temps, on assiste au retour de déplacés qui nous disent ne plus avoir les moyens de vivre à Bamako. Cela ne nous encourage pas à partir. »
À Gao, ville dominée par le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) depuis le 27 juin – date à laquelle il a chassé les indépendantistes du MNLA –, la population vit aussi dans la peur et la soumission. « C’est le plus terrible, pour nous : être privés des libertés fondamentales. Nous sommes contraints de vivre selon les préceptes du Mujao, explique un notable de la ville. On n’écoute plus de musique, on ne s’amuse plus, nos femmes sont enfermées chez nous. La nuit, Gao ressemble à un cimetière. Ici, on ampute les voleurs sur la place de l’Indépendance comme la semaine dernière, où ils ont coupé la main et le pied à un coupeur de route. Une femme qui ne porte pas le voile est condamnée à subir 10 coups de fouet en public, un homme qui boit de l’alcool s’expose à recevoir 40 coups de fouet, et ceux qui ont des relations sexuelles sans être mariés sont punis de 100 coups de fouet. » Le Mujao gagne-t-il des esprits ? « Ceux qui rejoignent leurs rangs le font généralement pour l’argent. Les nouvelles recrues sont privilégiées par le Mujao. On ne les rejoint pas par conviction mais par intérêt. »
POUR LES CHRÉTIENS, « LA VIE SOUS LES ISLAMISTES EST ENCORE PLUS IMPOSSIBLE »
La vie quotidienne de ceux qui ont fui le nord, celle des déplacés, se complique aussi de jour en jour. Ainsi, le pasteur Mohamed Ali de Tombouctou, accueilli avec nombre de ses paroissiens dans un centre protestant en avril à Bamako, vient de trouver un logement pour soulager ceux qui l’ont accueilli. « Je n’ai pas de travail. À Tombouctou, je faisais des photos. À Bamako cela ne marche pas. Je ne peux pas vivre uniquement en comptant sur la solidarité des familles qui elles-mêmes ont du mal à survivre dans la capitale. Je me suis débrouillé pour trouver un logement. Mais je vais devoir bientôt verser un loyer à son propriétaire. Si vous avez une solution, dites-le moi », confie-t-il.
Et si des déplacés finissent par regagner le nord, lui ne peut pas le faire pour des raisons religieuses. « Ceux qui rentrent sont musulmans, moi je suis chrétien : et pour nous, la vie sous les islamistes est encore plus impossible que pour les musulmans normaux », pense-t-il.
Six mois après être arrivé à Bamako de Gao pour fuir les islamistes, Éric vit toujours grâce à la charité d’une famille amie : « Cela ne peut plus durer. Je n’ai pas de travail, pas de revenu. Impossible de retourner à Gao tant que les islamistes y sont. Que faire ? Je suis une charge de plus en plus lourde pour ceux qui m’accueillent. Certains déplacés, faute de mieux, retournent dans le nord. Je le ferai après la libération de toute la région par l’armée. Tant que la reconquête n’aura pas été lancée, je resterai survivre à Bamako », poursuit-il.
Rentrer à Gao parce que les conditions de vie sont difficiles à Bamako, c’est le choix de quelques-uns. « Mais ils reviennent chez nous pour y mourir », estime un notable de Gao, qui considère que ces personnes qui reviennent, à bout de ressources, font un choix désespéré. « Nous pensons tous qu’il vaut mieux mourir sur sa terre qu’en exil », ajoute-t-il.
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Le mausolée d’un saint musulman démoli
Des islamistes ont détruit samedi 15 septembre à coups de pioche le mausolée d’un saint musulman dans le nord du Mali, à 300 kilomètres au nord de Gao. Le mausolée de l’érudit Cheik El Kébir est très important pour les Kountas, la communauté maraboutique des arabes, présente au Mali, en Algérie, en Mauritanie et au Niger. En juillet, les islamistes avaient démoli des mausolées à Tombouctou, affirmant vouloir détruire tous ceux de la région.