Fatouma Harber, dans le monde des blogueurs, vous êtes la Dame de Tombouctou. Après vos études primaires et secondaires au Niger, vous obtenez une maîtrise en psychologie à la FLASH de Bamako. Formée en journalisme et gestion de projets communautaires, vous êtes revenue chez vous pour enseigner à l’Institut de Formation des Maîtres-Hégire (IFM) de la ville aux 333 saints. Sur votre blog, «Nouvelles du Mali», vous faites vivre les traditions et la gastronomie. Vous parlez des femmes et des enfants. Vous suivez les joies et les tristesses de notre monde. Vous ne mâchez pas vos mots quand un film dénature ce qui s’est passé à Tombouctou en 2012. Rien ne vous échappe. Pas étonnant que les blogueurs du Mali vous aient choisie comme secrétaire générale de leur Communauté !
Vous avez quitté Tombouctou pendant l’occupation, qu’est-ce qui vous a poussée à prendre cette décision ?
Fatouma Harber : J’habitais à moins de 50m de la police islamique d’Ansar Dine. Sur les réseaux sociaux, j’expliquais pratiquement tout ce que je voyais. Cela pouvait être dangereux. Mais, si je suis partie, c’est parce que l’IFM a été relocalisé à Bamako. Beaucoup me l’ont reproché, à moi comme aux autres. Mais, j’estimais qu’il fallait continuer à mériter le salaire. Je suis revenue deux fois pendant la crise. Mes racines étaient à Tombouctou. J’avais le sentiment d’avoir abandonné. Je ne me sentais pas bien dans la capitale. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi Bamako s’intéressait plus au pouvoir et à «cette junte» qu’à ce qui se passait au Nord. Je voulais qu’on nous libère, vite. En ville, nous avions des problèmes tout le temps, partout. À la banque, au marché, on nous rappelait notre statut spécial. C’était sur le ton de la plaisanterie, et pourtant, il n’y avait pas matière à plaisanterie. La difficulté rend fort, heureusement. J’ai vécu plus d’une année à Bamako. En 2013, je suis partie vivre à Gao.
Vous venez de rentrer chez vous, et pourtant l’insécurité règne à nouveau. Vous n’avez pas peur ?
Je suis revenue pour les mêmes raisons qui m’avaient fait partir. Les services de l’Etat se redéployent au nord. L’IFM-Hégire aurait dû rouvrir l’année scolaire passée, mais son administration, essentiellement composée de personnes venant du sud, a prétexté la relocalisation à Bamako pour refuser de retourner. Nous, les enseignants ressortissants de Tombouctou, n’avions rien à chercher à Bamako. Nous attendions le bon vouloir de cette administration que ne je voudrais pas traiter de sudiste, je n’aime ni ce terme, ni celui de nordiste. L’IFM revenait, je suis revenue. Non, ici, je ne me sens pas du tout en insécurité. Je ne m’y suis jamais sentie en danger, et pourtant, j’ai vécu l’envahissement par les groupes armés. Au début, ces gens n’aimaient pas avoir à faire aux femmes. Ils ne nous regardaient pas. Quand ils ont décidé de pratiquer la charia et de fouetter les contrevenants, il fallait juste être discrète et porter le voile. Moi, je le portais bien avant, alors… C’est à Bamako que je me suis sentie en insécurité, dans le quartier Garantigibougou, quand j’ai appris que des hommes armés avaient tué un homme, car il avait volé un ordinateur et une moto.
Quand on rentre après une longue absence, on observe les gens. Qu’est-ce qui vous a tout de suite frappée ?
Beaucoup sont restés malgré l’occupation. Certains ne quittaient pratiquement pas leur maison. Ils préféraient cela à la vie de réfugié ou de déplacé. Ceux qui n’ont jamais quitté arborent aujourd’hui une certaine quiétude, une insouciance que nous n’avions pas. Ils ont dû faire montre de sagesse et de tellement de patience. Cela les a rendus forts mentalement. La culture de la paix est innée chez le Tombouctien, me semble-t-il.
On parle de mesures de sécurité, de retour de l’Etat. Quand est-il ?
S’il faut avoir des militaires partout pour se sentir en sécurité, je crois que ce n’est pas rassurant. Je vois les casques bleus et les autres militaires faire patrouille. Je ne me sens ni plus ou ni moins en sécurité qu’avant. Cependant, devant les banques et les bâtiments publics, il y a des protections. La peur de l’attentat, certainement. À part ça, rien d’autre. En ville, c’est la même vie qu’avant. Pour ceux qui prennent les routes, c’est différent. Je dis les routes …pardon, les pistes ! Dans cette région, il n’y pas une seule voie qui mérite d’être appelée route. Ceux qui ont besoin de se rendre dans une ville secondaire ou un village sont très souvent dépouillés par des bandits armés. Silence total. Personne n’en parle. Et pourtant, tous ceux qui travaillent sur le terrain depuis l’opération Serval, les ONG et tous les autres organismes le savent parfaitement ! Le retour de l’Etat ? À Tombouctou, je pense que seul l’IFM n’a pas encore repris. Les écoles ont rouvert, même si beaucoup d’enseignants manquent à l’appel.
Les écoles privées aussi réfectionnent. Les banques et les services de l’Etat ont redémarré. J’ai pu vérifier que l’assurance maladie remarche également. Quant à la mairie, je ne sais pas à quoi elle sert ! La ville est dans un état lamentable. Dès ton arrivée, tu constates que les véhicules sont obligés d’emprunter une piste forgée dans le sable, à côté de la route bitumée. Ce goudron, il date de l’indépendance. Il y a tellement de trous, ils sont tellement profonds qu’on ne peut plus les appeler nid-de-poule ! À l’intérieur de la ville, le sable a tout envahi. Le spectacle est désolant.
Sans oublier le passé, parlons d’avenir…
L’avenir … ? Je ne peux m’empêcher d’être pessimiste…Une fois de plus, nous nous dirigeons vers une conclusion politicienne de la crise. Au Nord, ça ne va pas. La population a son mot à dire, et pourtant, elle est mise de côté. Encore une fois. C’est le sentiment que tout le monde partage. Pendant le Forum sur la Paix qui a eu lieu en avril dernier, ici, à Tombouctou, j’ai interrogé des personnes âgées et certains jeunes de la vieille cité. En aparté, ils se sont confiés à moi : «Ils sont venus mentir ici, au lieu de nous écouter, nous qui avons vécu avec ces fous. Ils ont rempli des avions pour venir ici loger à l’hôtel, et ensuite partir parler entre eux, en notre nom». Quant aux négociations d’Alger et aux groupes armés qui y siègent, même sentiment d’être écarté. Ceux qui ont oppressé le septentrion pendant presque une année sont là-bas. Comment peuvent-ils prétendre nous représenter et vouloir notre bien ?
Ces gens, on ne les connaît pas, on ne les a jamais vus. Ils ne peuvent pas négocier l’indépendance, l’autonomie ou toute autre chose en notre nom. Le gouvernement non plus. Il ne nous dit pas ce qu’il négocie ou pas. Il faudrait que la gestion du nord change pour que les problèmes du Mali finissent. Il faudrait que je n’aie plus besoin de faire le voyage jusqu’à Bamako pour passer un contrôle pédagogique, et que je n’aie plus besoin d’attendre 3 ans pour obtenir les résultats, sans jamais en voir l’application ! Il faudrait que l’égalité des chances devienne une réalité. Je suis tombouctienne et je milite pour un seul parti, le Mali.
Françoise WASSERVOGEL