Plus que le coût direct de la lutte contre la maladie, c’est la crainte de la contagion et les réactions qu’elle suscite qui pourraient être dévastatrices.
L’année 2014 aurait dû être celle de la relance de la croissance économique en Afrique de l’ouest. Cette tendance avait été annoncée par les économistes. Ces derniers avaient pris en compte le processus de stabilisation amorcé dans plusieurs pays de la sous-région, pays qui avaient été en proie de graves crises politico-sécuritaires telles que la crise post électorale en Côte d’ivoire, l’occupation terroriste et djihadiste dans les régions du Nord de notre pays ou encore le énième coup de force en Guinée Bissau. Le temps de l’épreuve n’est pas encore totalement passé pour ces Etats, mais les signes de normalisation se dessinent et laissent espérer une prochaine embellie.
Mais on constate aujourd’hui que contrairement à ce qui était projeté, l’économie sous-régionale n’est pas encore sortie de l’orbite de l’incertitude. La stabilisation politico-sécuritaire en cours et les réformes destinées à relancer les activités économiques s’annoncent insuffisantes pour garantir la croissance tant espérée par les populations, le redressement du secteur privé et le retour des investisseurs étrangers. Un facteur inattendu est venu bouleverser toutes les prévisions. C’est l’apparition de la fièvre hémorragique Ebola dont le taux de contamination progresse à un rythme inquiétant. Les décès officiellement enregistrés ont dépassé le cap de 4000 personnes dans les trois pays concernés (Guinée, Sierra Léone et Libéria). Les pays ouest africains épargnés par la contamination vivent, pour leur part, dans la crainte constante de voir les premiers cas se déclarer.
Pour la Banque mondiale, plus que dans le coût direct de l’épidémie d’Ebola (mortalité, morbidité, soins de santé, pertes des jours de travail), le véritable danger réside dans les réactions de panique souvent irraisonnées que suscite la crainte d’une contagion. Selon les experts de l’institution financière internationale, l’impact économique d’Ebola pourrait s’avérer catastrophique dans les trois pays cités plus haut en raison principalement d’un facteur peur qui paralyse presque toutes les activités. « Si le virus continue de se propager dans les trois pays les plus durement affectés, son impact économique pourrait être multiplié par huit, infligeant un choc catastrophique à des États déjà fragiles », a averti le rapport de ces experts.
3000 MILITAIRES DÉPLOYÉS. Selon les estimations de l’institution, le produit intérieur brut (PIB) cumulé du Liberia, de la Guinée et de la Sierra Leone pourrait être amputé de 359 millions de dollars, soit 197,4 milliards Fcfa en 2014 et de 809 millions, soit 444,9 milliards de Fcfa en 2015 si l’épidémie n’est pas contenue. Dans ce dernier scénario, la croissance économique chuterait l’année prochaine de 11,7 points au Libéria et de 8,9 points en Sierra Léone. Ces deux pays pauvres courraient alors le risque de tomber en récession.
Pour conjurer l’aggravation de la tragédie, les bailleurs de fonds ont accéléré depuis quelques semaines leur mobilisation dans la lutte contre l’épidémie, lutte dont les besoins de financement sont estimés par l’ONU à un milliard de dollars. La Banque mondiale a pour l’instant mobilisé 117 millions de dollars (soit 64,3 milliards de Fcfa) sur l’enveloppe de 230 millions (126,5 milliards de Fcfa) prévue pour appuyer les trois pays les plus affectés. De son côté, l’Union européenne à travers le Mécanisme européen de protection civile s’est engagée à hauteur de 150 millions d’euros. Enfin, l’une des premières organisations internationales à s’être impliquées dans ce combat, la Banque africaine de développement, outre un don de 60 millions de dollars à l’Organisation mondiale de la santé (OMS,) va mobiliser 150 millions de dollars (82,5 milliards) en appui budgétaire aux pays affectés par l’épidémie.
Le gouvernement américain a pour sa part annoncé un plan d’aide de 88 millions de dollars (soit 48,4 milliards de Fcfa) ainsi que le déploiement de 3 000 militaires en Afrique de l’ouest dans le cadre de la lutte contre le fléau. Le président américain Barack Obama a d’ailleurs appelé « à agir vite » face à l’épidémie d’Ebola.
A ce stade, les conséquences de l’épidémie de virus Ebola se font sentir aussi chez les opérateurs non africains, mais présents sur la zone. Ces réactions sont diverses chez les voyagistes tandis qu’elles ont entraîné dans cette semaine une chute en Bourse des valeurs aériennes. Les trafics passagers d’Air France se sont effondrés de 16 % en septembre. Mais ce phénomène représente la conséquence directe de la récente grève des pilotes, et non celle du virus Ebola. Pour l’heure, seule une liaison vers Freetown, au Libéria, a été suspendue le 25 août. Et il est trop tôt pour mesurer l’impact sur les destinations concernées au premier chef, à commencer par la Guinée. Mais tout laisse à penser qu’il y en aura un.
Les marchés ne s’y trompent d’ailleurs pas, puisque, sur les quatre premiers jours de la semaine dernière, toutes les valeurs aériennes étaient chahutées. Air France KLM (-14%), bien sûr, qui a publié un avertissement sur résultat lié à la grève, mais aussi Ryanair (-10%), Lufthansa (-10%) et Easy Jet (- 9%). La crainte d’une forte perturbation de l’activité est bien là. Ici, les répercussions sont, à ce stade, diverses. «Nous ne sommes pas dans les zones contaminées et il n’y a aucun impact sur notre activité en Afrique australe», indique-t-on chez TUI France (qui regroupe les voyagistes Nouvelles Frontières, Aventuria, Marmara). Même constat à La Maison de l’Afrique, où se perçoit davantage l’inquiétude liée à la menace djihadistes.
L’EXODE À REBOURS. Le secteur de l’assurance suit évidemment au plus près l’évolution de l’épidémie d’Ebola. Et comme toujours, les compagnies d’assistance spécialistes de la gestion de crise médicale sont en première ligne. «Notre principale mission est d’accompagner nos clients et nos collaborateurs présents dans les pays touchés par le virus et dans la sous-région Afrique de l’ouest pour qu’ils puissent prendre toutes les mesures de précaution préventives pour leurs salariés», explique Julia d’Astorg, responsable du réseau médical international à la compagnie d’assurances Axa Assistance. «Nous sommes confrontés à un début de peur généralisée chez les expatriés dans les pays contaminés, mais surtout dans les pays limitrophes, comme la Côte d’Ivoire», indique de son côté Laurent Cochet, directeur général de MSH International, un courtier spécialisé dans l’assurance santé pour les salariés en mobilité, qui vient d’ouvrir une ligne téléphonique de soutien psychologique.
Autre domaine africain majeur qui ne peut ignorer l’effet Ebola, le football. La Coupe d’Afrique des nations, un grand rendez-vous sportif à forte retombée économique et qui est programmé pour janvier prochain, pourrait ainsi être reporté. Le Maroc, pays hôte de la compétition, en a fait la demande vendredi dernier invoquant des raisons de précautions sanitaires. Bref, si la situation ne s’améliore pas, aucun secteur économique dans la sous-région ne sera épargné. Commerces, mines et frontières fermés, psychose dans les villes les plus touchées, annulations d’activités culturelles, report d’élections, chute des recettes fiscales d’Etats déjà très endettés, l’impact économique et social d’Ebola est, d’ores et déjà, dramatique.
Dans notre pays, la psychose est perceptible surtout dans les zones frontalières. Les sites d’orpaillages répartis entre le Mali et la Guinée sont fortement affectés par la situation. On assiste ainsi à un retour massif des orpailleurs à Bamako avec l’impact économique qu’amène cet exode à rebours. Par ailleurs, le jadis florissant commerce inter-frontalier guinéo-malien basé sur les échanges de produits agricoles ainsi que de produits de cueillette, est désormais frappé de plein fouet par la crise. D’autre part, les centaines de Maliennes qui affluaient quotidiennement vers la capitale guinéenne pour s’approvisionner en produits féminins (pagnes, sacs à main, chaussures et parures diverses), ont préféré suspendre ce commerce pourtant lucratif par crainte d’attraper la maladie. Cette prudence forcée n’est qu’un des effets invisibles d’Ebola. Effets dont le caractère pernicieux s’accentue chaque jour davantage.
Synthèse
D. DJIRÉ