Malgré la confirmation d’un cas d’Ebola dans notre pays, dans cette « enclave de la Guinée à Bamako », on est loin de la psychose
Lundi matin. La gare routière de Djicoroni-Para fait le plein de vendeuses ambulantes d’articles divers, de négociants, de voyageurs, de badauds, etc. Motocyclistes et piétons se disputent le moindre espace pour se frayer un chemin entre les voitures et autres autobus. Dans ce dédale pourtant indescriptible, impossible de rater les apprentis-chauffeurs et les rabatteurs à la recherche de candidats au voyage en Guinée. De temps en temps, des insultes fusent, des rixes éclatent. Les uns accusant les autres de marcher sur leurs plates-bandes.
Un jeune homme à l’allure patibulaire se plait visiblement dans ce monde où la raison du plus fort semble être la meilleure. Moussa Camara, c’est son nom, est une vraie armoire à glace. Ses occupations à la gare ? « Je fais ce qu’on me demande de faire comme service », lance placidement la montagne de muscles. En effet, son physique lui permet de bien faire son travail de porteur de bagages. Il aide les voyageurs à charger ou décharger leurs bagages. Occasionnellement, Moussa joue les rabatteurs et conduit des candidats au voyage aux guichets des compagnies de transport. Bien sûr, tous ces services sont rémunérés.
Mais cet habitué de la gare routière Djicoroni-Para a-t-il entendu parler de la fièvre hémorragique à virus Ebola ? Sa réponse fait tomber à la renverse. « Oui j’en ai attendu parler. Mais rassurez-vous, Ebola n’est pas fou pour s’intéresser à moi. La maladie ne vise que des personnes faibles. Croyez-vous que j’en suis ? », lâche-t-il en exhibant fièrement ses impressionnants biceps.
PAS DE PSYCHOSE. L’attitude désinvolte de Moussa sur l’épidémie d’Ebola est largement partagée ici. Un climat d’indifférence face à la malade règne ainsi à la gare routière de Djicoroni-Para. Ici, la psychose n’a pas encore gagné les esprits. Un paradoxe. Car l’endroit est supposé le plus exposé de la capitale à une éventuelle propagation du virus Ebola dans notre pays. C’est, en effet, là que débarquent la plupart des voyageurs en provenance de Guinée. C’est ici aussi que l’on rencontre un grand nombre de ressortissants guinéens, fraîchement arrivés ou vivant à Bamako de longue date.
Cette gare routière figure comme « une enclave de la Guinée » dans la capitale. En débarquant ici, on est vite plongé dans une ambiance qui ne diffère en rien des rues de Conakry. On s’interpelle en Malinké, en Bambara ou même en Pulaar. Même l’ambiance sonore est marquée par la musique guinéenne.
Certains habitués de cette gare sont persuadés que le danger de la fièvre Ebola est encore loin. C’est le cas du chauffeur Sékouba Traoré, un habitué de l’axe Bamako-Conakry. « Nous entendons parler de ça. Mais je crois qu’il n’y pas encore le feu en la demeure. Certes, nous avons appris qu’il y a eu un cas à Kayes. La personne serait même décédée de la maladie. C’est regrettable, mais j’avoue qu’ici, l’on est encore loin de la psychose qui devait suivre en de pareilles circonstances », explique notre interlocuteur, reconnaissant tout de même une certaine prudence des voyageurs en partance pour la Guinée. Ce qui diminue le trafic et grève naturellement les revenus des transporteurs, se plaint-il.
Demba Kassé, responsable du syndicat des chauffeurs à la gare routière, ne semble nullement inquiet. Il fonde ses espoirs sur les mesures prises par les autorités sur l’axe routier pour éviter que l’épidémie ne déborde vers notre pays. « Je crois que ce qui s’est passé avec la fillette n’est qu’un cas isolé. Personnellement, je n’avais pas cru à cela, tant les contrôles sont stricts. De Kourémalé (ndlr frontière avec la Guinée) à Bamako, l’on se soumet à plusieurs barrières de contrôle. Tous les passagers y passent sans exception. Je crois qu’avec tout cet arsenal, l’on peut s’estimer heureux dans notre pays », souligne-t-il.
Ses propos sont appuyés par Moussa Kamaté, un autre chauffeur, qui explique que les passagers suspects sont obligés de se faire diagnostiquer par les services sanitaires pour pourvoir poursuivre le voyage.
Les contrôles ne se limitent pas à la frontière. Même à la gare routière de Djicoroni-Para, il existe une équipe de contrôle installée sous une tente. Armées de leurs appareils pour mesurer la température des voyageurs, Fatou Keita et Mme Traoré Lala Hamassiré, deux infirmières d’Etat, veillent au grain. Elles patrouillent dans la gare à la recherche des « arrivants ». Nos deux braves dames reconnaissent les dangers de leur métier et assurent accomplir leur tâche la peur au ventre, malgré la disponibilité des équipements nécessaires (combinaisons, gants, bottes, lunettes). Elles recommandent un renforcement des mesures de contrôles par l’augmentation du personnel d’appui, mais aussi et surtout une campagne de sensibilisation pour amener les populations à se protéger de la contamination.
LE « SALUT EBOLA ». Tout naturellement, le quartier populaire de Djicoroni-Para est un bastion des ressortissants guinéens à Bamako. C’est le point de chute de la plupart de nos voisins du sud-ouest qui, pour la première fois, posent leurs valises dans notre capitale. Cette présence massive des Guinéens dans notre pays n’a rien d’anormal quand on connaît les liens de l’histoire, de la géographie, de la culture, qui nous unissent. Ce n’est pas pour rien que le président de la République Ibrahim Boubacar Keita a assuré que le Mali ne fermera jamais sa frontière avec ce pays voisin, même après la confirmation du premier cas d’Ebola dans notre pays, une fillette venue de Guinée et décédée samedi dernier à Kayes.
Après ce premier cas, les autorités ont mis en branle une campagne de sensibilisation sur les précautions à prendre. C’est ainsi qu’il est conseillé de se laver régulièrement les mains au savon et d’éviter, autant que faire ce peut, les poignées de mains et les accolades. Ce message semble bien assimilé du côté de Djicoroni-Para où on a déjà adopté le « salut Ebola » qui consiste à faire un simple geste de la tête pour éviter de se serrer la main. On n’est jamais trop prudent.
L. DIARRA