Un an après le meurtre de deux journalistes de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, dans le nord du Mali, l'enquête ouverte en France piétine, compliquée par la situation sur le terrain à Kidal, qui échappe au contrôle du pouvoir central.
Les deux envoyés spéciaux de Radio France Internationale pour une émission spéciale sur "la crise dans le nord du Mali et la réconciliation" ont été tués le 2 novembre 2013 à Kidal (nord-est), peu après leur enlèvement. Ghislaine Dupont, 57 ans, et Claude Verlon, 55 ans, ont été capturés en sortant du domicile d'un responsable du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA, rébellion touareg) qu'ils étaient venus interviewer, par des hommes armés parlant tamashek, la langue des Touareg.
Leurs cadavres criblés de balles ont été retrouvés moins de deux heures plus tard par une patrouille française partie à leur recherche, à 12 km de Kidal, à proximité d'une voiture abandonnée. Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) avait revendiqué le double meurtre, le justifiant par la "nouvelle croisade" de la France au Mali.
A l'époque, le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, qui avait versé des larmes devant les corps des deux journalistes, s'était engagé à tout faire pour retrouver leurs assassins. Mais depuis, la piste semble se perdre dans les sables du nord du Mali. "Ne pas résoudre ces crimes, c'est les assassiner une deuxième fois", a commenté jeudi Marie-Christine Saragosse, présidente du groupe France Médias Monde (RFI, France 24, MCD).
A Kidal "aujourd'hui, toute enquête est impossible", a souligné l'avocat de la mère de Ghislaine Dupont, Christophe Deltombe, précisant que le seul suspect identifié était "dans la nature". Kidal, bastion traditionnel touareg, est sous le contrôle de groupes armés touareg et arabe, dont le MNLA. En mai, l'armée malienne avait subi de lourdes pertes - au moins 50 soldats - en tentant de reprendre en main la ville.
Le MNLA, associé aux groupes jihadistes, s'était emparé du nord du Mali en 2012 avant d'en être évincé par ses anciens alliés. Il était revenu à Kidal à la faveur de l'intervention militaire française début 2013. Me Deltombe a pourtant décelé une lueur d'espoir dans les déclarations optimistes du ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius, estimant qu'elles apportaient "au juge d'instruction le soutien politique absolument indispensable pour que cette enquête ne soit pas oubliée, ne s'enterre pas".
- Véhicule au coeur de l'enquête -
M. Fabius a affirmé mercredi devant l'Assemblée nationale française que l'enquête était "entrée dans une phase tout à fait décisive", assurant que "les juges devraient pouvoir obtenir rapidement tous les éléments susceptibles d'arrêter les coupables".
Selon lui, "les accords d'Alger qui sont en train d'être discutés entre Bamako et les groupes (armés) du Nord devraient en outre faciliter l'avancée de l'enquête". Si les sources judiciaires maliennes reconnaissent l'importance de la situation sur le terrain pour le succès de l'enquête, aucune n'en retire l'optimisme affiché par le chef de la diplomatie française.
"La principale difficulté dans le dossier est l'impossibilité pour les enquêteurs de se rendre pour le moment dans la région de Kidal pour mener des investigations de terrain", a indiqué jeudi à l'AFP une source judiciaire malienne. De fait, l'enquête française ouverte en avril semble avoir très peu progressé, que ce soit sur les raisons ou les auteurs du meurtre, a-t-on appris de source proche du dossier.
Il n'est toujours pas établi si, après la panne de leur véhicule, les ravisseurs ont tué les journalistes parce qu'ils tentaient de s'échapper ou pour se débarrasser d'eux afin de ne pas être ralentis dans leur fuite. S'agissant du principal suspect, un dénommé Bayes Ag Bakabo, Touareg lié à Aqmi, par ailleurs trafiquant présumé de stupéfiants, identifié dès novembre 2013, qui a été vu au volant du pick-up ayant servi à l'enlèvement, rien ne permet d'affirmer qu'il était le commanditaire, selon la même source.
Une commission rogatoire internationale a été adressée au Mali pour demander l'exploitation des factures téléphoniques (fadettes) des journalistes, afin de tenter d'identifier les contacts qu'ils ont eus juste avant l'enlèvement. Les enquêteurs ont fait une découverte potentiellement intéressante dans les photos prises par Claude Verlon, selon la source proche du dossier. Sur l'une d'elles, datant de quelques jours auparavant, apparaît le pick-up utilisé, avec des personnes autour que les enquêteurs doivent encore identifier.
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