Depuis des mois, les salariés de ce secteur assistent impuissants à la fermeture des usines, aux mises en chômage technique ou aux licenciements massifs pour motifs économiques
Les petites et moyennes entreprises et les petites et moyennes industries ont été les premières victimes de la crise économique découlant de la crise sécuritaire et politico-institutionnelle que vit notre pays depuis le coup d’Etat du 22 mars. A présent, c’est toute notre industrie qui est frappée de plein fouet par la récession.
La production industrielle nationale est basée sur la transformation des production agricoles : biscuiteries, pâtes alimentaires, confiseries, conserveries, brasseries, boulangeries, huileries, sucreries, laiteries. Mais elle comprend aussi l’industrie textile, de tabac, l’industrie chimique et pharmaceutique et l’industrie du bâtiments et des travaux publics. Dans le domaine des mines, on retient une floraison d’industries extractives de grande taille pour l’exploitation du fer, de la bauxite, du cuivre, du manganèse et, bien entendu, de l’or.
Les plus fortes concentrations d’entreprises industrielles se trouvent dans les activités de fabrication (95%), notamment la fabrication des produits alimentaires (62%). L’édition, l’imprimerie et la reproduction représentent 13%. La contribution dans la richesse nationale oscille entre 3,5% et 4% pour le secteur manufacturier. Celle plus globale du secteur industriel oscille entre 10% et 11%. La valeur ajoutée du secteur industriel est passée de 283,4 milliards Fcfa en 2004 à 456,6 milliards en 2007, soit une variation annuelle de 20,38 %. Quant aux emplois permanents industriels, ils sont estimés à plus de 60.000.
Malgré les efforts continus d’amélioration du cadre des affaires, le secteur industriel restait confronté à des contraintes liées, entre autres, à la qualité des facteurs de production, à l’état des infrastructures, au coût élevé de l’énergie, au manque de qualification des ressources humaines, à une fiscalité élevée et à l’équité discutable. Diverses contraintes pèsent sur l’industrialisation : la fraude intellectuelle et la concurrence déloyale, la contrebande et la contrefaçon, l’insécurité des entreprises industrielles et la lourdeur administrative à mettre en œuvre les avantages du Code des investissements et du marché.
UN TISSU PEU DIVERSIFIE. Un examen du secteur fait apparaitre un tissu industriel peu densifié, très peu diversifié et marqué par des faiblesses structurelles et conjoncturelles qui se reflètent dans le nombre des emplois permanents, le chiffre d’affaires et surtout la contribution à la formation du PIB. Pour changer qualitativement cette situation et inverser la structure de notre économie au profit d’un secteur industriel fort, les pouvoirs publics s’étaient engagées, il y a 5 ans, dans un vaste chantier de reforme économique visant à favoriser un développement industriel ordonné, rapide et durable permettant la création de beaucoup d’emplois.
L’effondrement de l’économie suite aux multiples crises que vit notre pays, a profondément affecté le tissu industriel. Le secteur étant l’un des maillons essentiel de la chaine économique d’un pays, la moindre baisse des ventes des productions industrielles devient très onéreuse pour les usines et conduit à une baisse des cadences, voire à un arrêt du travail.
Ousmane Diallo, un jeune industriel qui excellait dans la transformation des produits agricoles avant la crise, se retrouve aujourd’hui au chômage. Il décrit une situation catastrophique. « Je me suis lancé dans cette entreprise en 2008 dans un environnement socio-politique apaisé. Pour mes bailleurs de fonds qui sont des Européens, notre pays était une destination privilégiée pour les investissements industriels, capable d’assurer sa transition d’une économie de subsistance vers une économie industrielle dynamique bien intégrée. Cependant, depuis les évènements du 22 mars, mes partenaires m’ont signifié, qu’ils ne sont pas prêts à prendre le risque d’investir leur argent dans un pays qui vit dans l’incertitude totale. J’ai essayé d’avoir des fonds au niveau des banques, sans succès. J’ai donc été obligé de licencier mes 30 agents avant de fermer mon entreprise », témoigne ce jeune entrepreneur.
Depuis deux mois, les salariés des industries assistent impuissants au ralentissement gé de leurs usines, à la mise en chômage technique ou aux licenciements massifs du personnel pour motifs économique, voire à la fermeture pure et simple d’unités. Des grandes usines et entreprises affichent des signes d’asphyxie parfois très avancée. Au nombre de celles-ci : les Grands moulins du Sahel du Mali (GMM), Batex, l’Agence d’exécution des infrastructures rurales (Agetier), Sogea-Satom et Graphique industrie S.A., Syatels.
Les statistiques de l’inspection du travail en disent long sur la situation. De juillet à août, plus de 41 entreprises ont déposé des dossiers de licenciements pour motif économique ou des dossiers de chômage. Dans ces dossiers, on recense ainsi 261 cas de chômage technique et près d’une centaine de licenciés. Ces chiffres officiels reflètent cependant imparfaitement la situation des salariés des entreprises en difficulté. En effet, la plupart des grandes entreprises commerciales et industrielles ont procédé à des licenciements économiques consensuels sans solliciter les services de l’inspection du travail.
DE PLEIN FOUET. Depuis une décennie, l’industrie textile dans notre pays essayait tant bien que mal de redécoller. Il faut dire que cette industrie s’est longtemps caractérisée par des fermetures d’usines, des licenciements et pertes énormes de parts de marché. Cependant, elle essaie de se moderniser pour être plus compétitive, mais le pagne wax Comatex et Batex-ci a encore du mal s’imposer aux importations massives de produits textiles « made in Asia », à l’invasion de la friperie et à la fraude.
Batex-ci a pourtant décidé de ne pas fermer boutique malgré la difficile situation économique. Pour son administrateur général adjoint, Alioune Badara Diawara, l’unité industrielle a été frappée de plein fouet par la crise. L’usine tournait à plein régime quand les événements du 22 mars sont arrivés. « On avait commencé la production des tissus des campagnes électorales pour les candidats et les partis politiques. On y a investi plus de 10 milliards Fcfa de matières premières, afin d’anticiper sur la forte demande des périodes électorales. Regardez ces magasins, ils sont remplis de tissus à l’effigie des candidats », témoigne notre interlocuteur accablé.
Face à ces difficulté, l’usine a décidé de changer son fusil d’épaule. « Nous nous sommes lancés dans la recherche de « marchés catholiques », des hôtels dans la sous-région notamment au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire. Depuis, nous n’imprimons que des tissus des évènements religieux de ces pays. Mais, ce marché est loin de couvrir les coûts de production de l’entreprise qui s’élèvent à près de 10 millions par jour. Au moment où je vous parle, nous ne sommes pas sûrs d’assurer le salaire des travailleurs de l’entreprise », témoigne le patron.
Notre clientèle, rappelle-t-il, était également composée d’hôtels et d’auberges pour les draps et les couverts. Malheureusement ce secteur est également très éprouvé. Nous nous sommes trouvés dans l’obligation de diminuer notre effectif avec la mise en chômage technique de 200 salariés puis de 120 salariés. En temps normal, Batex-ci emploie près 550 employés. En fonction du volume du travail, ce nombre peut atteindre 1050.
Heureusement, les salariés de l’entreprise sont conscients de la situation. Comme ce jeune homme croisé à la porte de l’entreprise. Malgré son licenciement, il se montre fair play. « Ce n’est pas la faute de l’entreprise, c’est la situation du pays qui est à la base de tout cela » dit-il avec philosophie.
Durant cette enquête, une vingtaine d’industries a été contactée. Beaucoup n’ont pas voulu parler de leur situation. Un silence aussi éloquent que bien des commentaires. Aujourd’hui, ce sont les licenciements et les mises au chômage, demain se sera sans doute la fermeture. Le gâchis est énorme avec un savoir-faire développé au cours de décennies qui risque d’être irrémédiablement perdu si une embellie rapide ne survient pas. Aujourd’hui, rien ne l’annonce.
Lire l’article sur le site de L’Essor du mercredi 19 septembre 2012, par Doussou Djiré