En l’absence de décisions rapides, fortes et cohérentes aux niveaux régional (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, Cedeao), continental (Union Africaine, UA) et international (Nations unies) avant la fin de ce mois de septembre, la situation politique, sécuritaire, économique et sociale au Mali se détériorera. Tous les scénarios sont encore ouverts, y compris celui d’un nouveau coup d’Etat militaire et de troubles sociaux dans la capitale, aboutissant à une remise en cause des institutions de transition et à un chaos propice à la propagation de l’extrémisme religieux et de la violence terroriste au Mali et au-delà. Aucun des trois acteurs qui se partagent le pouvoir, le président intérimaire Dioncounda Traoré, le Premier ministre Cheick Modibo Diarra et le chef de l’ex-junte, le capitaine Amadou Sanogo, ne dispose d’une légitimité populaire et d’une compétence suffisantes pour éviter une crise plus aiguë. Le pays a urgemment besoin de la mobilisation des meilleures compétences maliennes au-delà des clivages politiques et non d’une bataille de positionnement à la tête d’un Etat qui risque de s’écrouler.
Près de six mois après le coup d’Etat qui a renversé le président Amadou Toumani Touré (ATT) et l’abandon par l’armée malienne des trois régions administratives du Nord à des groupes armés – les indépendantistes touareg du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et les islamistes d’Ançar Eddine, du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et d’al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) –, aucun pôle de l’Etat malien n’a pu donner une direction claire à la transition politique et formuler une demande précise et cohérente d’assistance à la communauté internationale pour reprendre le contrôle du Nord, qui représente plus de deux-tiers du territoire. Les six prochains mois seront déterminants pour la stabilité du Mali, du Sahel et de toute l’Afrique de l’Ouest, tant les facteurs de risque sont nombreux et les déficits de leadership à tous les niveaux de prise de décision ont jusque-là été patents.
Les messages du rapport de Crisis Group de juillet 2012 sur le Mali sont toujours d’actualité. Il ne s’agit pas de s’opposer au principe d’une action militaire dans le Nord. Le recours à la force sera vraisemblablement nécessaire pour neutraliser les groupes armés à vocation transnationale qui combinent terrorisme, jihadisme et trafics de drogue et d’armes et pour restaurer l’intégrité territoriale de l’Etat malien. Mais l’usage de la force doit être impérativement précédé d’un travail politique et diplomatique visant à isoler les questions qui concernent les antagonismes communautaires entre Maliens, le mode de gouvernance politique et économique du Nord, la gestion de la diversité religieuse, de celles qui relèvent de la sécurité collective de l’espace sahélo-saharien. Ce n’est pas l’armée malienne et les forces de la Cedeao qui pourront s’attaquer aux flux de combattants et d’armes entre la Libye fragmentée et le Nord-Mali à travers le Sud algérien et/ou le Nord du Niger. Le rétablissement d’une sécurité minimale et durable au Nord-Mali ne peut être envisagé, en particulier, sans une implication claire des responsables politiques et militaires algériens.
A l’issue de la réunion consacrée à la sécurité dans le Sahel prévue le 26 septembre, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU à New York, les acteurs maliens, leurs partenaires africains et non africains et les Nations unies doivent préciser les actions qu’ils s’apprêtent à entreprendre et clarifier les objectifs minimaux à atteindre d’ici mars 2013.
Le président et le Premier ministre doivent :
q constituer immédiatement un groupe informel de taille restreint composé de personnalités maliennes, de préférence retirées de la scène politique, disposant d’une compétence spécifique et d’une expérience avérée dans les domaines de la sécurité intérieure, de l’administration du territoire, de l’organisation des élections, de la décentralisation, de la médiation intercommunautaire et des relations internationales, en particulier de la diplomatie de voisinage, afin d’aider le gouvernement à la définition d’une stratégie globale de sortie de crise.
Les dirigeants de la Cedeao doivent :
reconnaitre les limites de l’organisation aussi bien dans le domaine de la médiation que dans celui de la planification d’une mission militaire au Mali et travailler désormais étroitement avec l’Union africaine et surtout les Nations unies qui sont mieux habilitées à répondre aux défis posés par une crise qui menace la paix et la sécurité internationales.
Le Conseil de sécurité des Nations unies et des Etats membres représentés lors de la réunion sur le Sahel doivent accorder leur soutien au secrétaire général afin de :
nommer un envoyé spécial du secrétaire général pour le Sahel et mettre à sa disposition les moyens nécessaires à l’accomplissement de sa mission, qui doit se focaliser sur le rapprochement des positions des pays membres de la Cedeao, des pays du champ (Algérie, Mauritanie, Niger et Mali) et des pays occidentaux ;
renforcer la présence de l’ONU au Mali pour aider le gouvernement de transition à résister à la crise économique et sociale, à affiner une feuille de route crédible visant la restauration de l’intégrité territoriale du pays et l’organisation d’élections transparentes dans les meilleurs délais et à préserver l’Etat de droit en collectant des informations précises sur les violations des droits de l’homme commises au Sud (Bamako et Kati notamment) comme au Nord ;
entreprendre, de concert avec l’UA et la Cedeao, une mission en vue de la réconciliation au sein de l’armée malienne, afin de prévenir un nouveau coup de force aux conséquences imprévisibles.
Les partenaires extérieurs du Mali, en particulier l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis doivent :
soutenir l’effort de reconstitution des forces de défense et de sécurité maliennes, dans le sens d’un renforcement de leur cohésion, de leur discipline et de leur efficacité dans le but d’assurer la sécurité au Sud, de constituer une menace crédible de recours à la force au Nord et d’être capables de participer à des actions ciblées contre les groupes terroristes ;
contribuer à la préservation de l’économie malienne et de l’emploi par une reprise rapide de l’aide extérieure afin de ne pas contribuer à une explosion sociale qui ne pourra qu’aggraver la crise politique et humanitaire ;
répondre favorablement aux demandes d’aide humanitaire d’urgence aux populations civiles durement affectées par la crise au Mali et dans tout le Sahel, formulées depuis plusieurs mois par les Nations unies et qui n’ont jusque-là pas suscité une mobilisation à la hauteur de la gravité de la situation.