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Ebola : Les bonnes affaires du grand malheur
Publié le lundi 24 novembre 2014  |  L’Essor




Le virus menace beaucoup de choses mais dope le business des produits d’hygiène et provoque une ruée sur ce créneau.

« Paac pac pac… », émettent les sandales en frappant les talons. C’est la course au client. Les marchands ambulants, flacons de gel anti bactérien en mains, se bousculent pour décrocher leur énième client (dixième pour certains, quinzième pour d’autres). Il n’est que 10h du matin sur la place de l’Indépendance de Bamako. Un site où les vendeurs de matériel anti Ebola ont élu domicile pour y engager un racolage de chaland à grande échelle.

La bonne humeur se lit sur tous les visages tant le marché est juteux et rassurant. Avec ce nouveau commerce de produits « anti Ebola », ils sont nombreux à se frotter les mains. Le business attire de plus en plus de jeunes. Loin du sourire contraint auquel les automobilistes sont habitués, ces vendeurs adressent un sourire empreint d’allégresse à leur interlocuteur et client potentiel : ils ne lui vendent pas un produit : ils lui offrent l’occasion de sauver sa vie.

Natif de Daoudabougou, Mahamadou Konaré, 24 ans, a investi la place de l’Indépendance depuis que la maladie à virus Ebola a fait sa première victime. « J’ai abandonné l’école après trois échecs au baccalauréat. Je vendais des tapis et plein d’autres choses. De passage, j’ai vu des camarades sur plusieurs artères qui m’ont encouragé à commencer à vendre des flacons de gel anti bactérien et bouilloires parce que c’est très juteux », explique Mahamadou.

Ses yeux brillent lorsqu’il évoque la révélation du premier cas d’Ebola au Mali : « Je ne peux même pas compter le nombre de clients que j’ai dans la journée. C’est beaucoup. Je vends les petits flacons de 50 ml de gel à 500 F et celui de 100 ml à 1000 F. Nous les achetons en gros à Dibidani (un marché de Bamako, ndlr) ».

Sur les flacons de gel, on peut lire « Pharmaderm (Bactéricide, fongicide, virucide) », « Sivoderm », « Neva derm ». Une large palette de désinfectants anti bactériens est à disposition pour satisfaire la forte demande.

Klaxon ! Encore un client. Mon interlocuteur m’abandonne. « J’arrive ! », me crie-t-il, déjà loin. Moi aussi, je trouve un client. Il se nomme Amadou Touré. Chauffeur de son état, il vient chercher le produit anti bactérien pour la famille de son patron. « Je dois acheter au moins 20 flacons de gel mais je dois d’abord vérifier comme l’a exigé mon patron. Je cherche la bonne qualité parce que je vais aussi profiter pour en acheter pour ma famille. Je vois certains marchander mais moi je ne pense pas que cela soit un produit à marchander ».

Les produits varient et les prix aussi. A côté des flacons de gel pour se protéger, il y a aussi le lavage au savon vivement préconisé par les médecins. Pour répondre à cette recommandation, particuliers comme entreprises s’offrent la grande lessiveuse au couvercle en plastique ou le simple bidon adapté (avec tous les accessoires : robinet, trépied…)

Issa Diarra est à peine visible derrière son étalage puisque vêtu d’une chemise du même blanc que la plupart des bidons superposés. Il affiche la trentaine. Issa n’est pas un néophyte dans ce négoce puisqu’il vend des bidons et seaux en plastique depuis 15 ans. Mais, admet-il, le marché a évolué. « C’est vrai que je vendais ce type de matériel mais uniquement les plus petits et les moyens mais pas les grands bidons de 100 litres ou 220 litres. Ce qui fait que mon profit a augmenté. Je vendais les 20 litres à 3500 F. Aujourd’hui, j’ai adapté de bidon en lui fixant un robinet et je le vends à 7500 F. Les 160 litres avec robinet que j’ai commencé à vendre, coûtent 15 000 F. Je peux même le vendre à 25 000 F en fonction de la personne », raconte Issa Diarra qui officie au Grand marché. Mais le bonheur ne saurait être total et notre vendeur, pourtant comblé, déplore amèrement la ruée vers ce nouveau commerce : « Au début, on gagnait beaucoup d’argent mais maintenant les quincailleries en vendent, les vendeurs de gaz, tout le monde en vend ». Ah, si un virus bienveillant pouvait décimer cette concurrence.

Le virus en question aurait beaucoup de travail car le business est très couru pour toutes sortes de bonnes raisons. Parce que les prix varient considérablement en fonction de la qualité de la personne, explique ainsi Binké Simpara. Agé de 49 ans, le Banambais opère dans le commerce depuis 1988. Pas le négoce des produits d’hygiène mais celui des livres puis des matériaux de construction. « C’est à cause de la propagation de la maladie à virus Ebola que je me suis lancé dans la vente de ces matériels. Parce qu’aujourd’hui, il y a beaucoup de projets, de services et de particuliers qui achètent en grande quantité », énumère Binké Simpara qui confirme les propos de Issa. Binké assure avoir satisfait une commande du CICR qui va équiper les prisons. Pour cette commande, il a fourni le récipient de 60 litres à 25 000 F.

INQUIETUDES.

La perfection n’étant pas de ce monde, des pépins imprévus menacent de gripper la machine à profits. Premier péril : la pénurie de récipients en plastique importés souvent du Ghana ou de Côte d’Ivoire dont les stocks s’amenuisent à vue d’œil tant est forte la demande. « Les petits accessoires, comme les robinets, ne manquent pas mais c’est le plastique qui commence à disparaitre. La demande est forte et beaucoup de commerçants viennent des régions pour acheter en gros ou font la commande », s’inquiète Binké, qui précise que l’inquiétude réside dans la disparition du marché de certaines qualités de récipients en plastique.
Le nombre des marchands augmentant sans cesse, les étalages se multiplient, envahissant l’espace, débordant sur la chaussée. Devant l’extrême concurrence en centre-ville, Mahamadou Kouma, 50 ans, s’est installé à Kalaban Coura. Il déchante depuis quelques jours. « La vente est lente maintenant contrairement au début de la crise sanitaire causée par Ebola où mon étal attirait beaucoup de monde. A cause de certains commerçants, les prix ont grimpé. Ce qui fait que les clients se font rares », déplore-t-il.

MARCHES PARALLELES.

Le commerce informel des flacons de gel anti bactérien semble soumettre la vente en pharmacie à une concurrence déloyale. Les apparences sont souvent trompeuses, si on en croit Rebecca Milogo, pharmacienne depuis 7 ans. « Les gens continuent à acheter en grand nombre dans notre pharmacie : au moins 30 gels ou plus par jour. Ça s’écoule souvent comme des petits pains », indique-t-elle. Comme d’autres pharmaciens, Rebecca ne pense pas que les marchands ambulants amputent le chiffre d’affaires des officines : « Nous continuons à vendre malgré la grande ruée vers ce métier. Ça ne nous touche point, puisque nous n’arrivons pas à couvrir la forte demande et nos fournisseurs non plus n’arrivent pas à nous approvisionner suffisamment. Ce sont vraiment deux marchés parallèles ». Moussa Sissoko, marchand ambulant, approuve avec un grand sourire : « C’est vrai ce qu’elle a dit. Nous avons nos clients bien ciblés ».

A quelque chose malheur est bon. Ebola permet de faire de si bonnes affaires qu’il réconcilie le formel et l’informel.
Alhoudourou A. MAIGA
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L’Essor N° 17187 du 17/5/2012

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