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Daniel Tessougué sur les grands dossiers : «Ma visite à Sélingué, c’était pour voir les conditions de détention de Sanogo»
Publié le jeudi 27 novembre 2014  |  Le Prétoire
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© aBamako.com par A.S
Première Session d’assises 2014 de la Cour d’Appel de Bamako
Bamako, le 07 juillet 2014. la première session d’assises de la Cour d’Appel de Bamako pour l’année 2014 s’est ouverte hier à la Cour d’Appel de Bamako. Comme à l’accoutumée, la cérémonie d’ouverture a enregistré la présence de plusieurs personnalités de la famille judicaire dont le président de la Cour Suprême du Mali, Nouhoum Tapily.




Le dossier de l’avion présidentiel, le contrat d’armement, la mauvaise gouvernance, les assises en cours, les conditions de vie et de travail des magistrats maliens, les mandats d’arrêt internationaux lancés contre les responsables des groupes armés, les négociations d’Alger, l’affaire des bérets rouges et celui des bérets verts du 30 septembre 2013, sa récente visite à Sélingué. Voilà entre autres sujets abordés par le Procureur général près la Cour d’appel de Bamako dans une interview exclusive qu’il a bien voulue nous accordée.

Le Prétoire: A mi-parcours, quel est le bilan des assises de 2014, notamment en termes d’amendes, de réparation de préjudices et de mesures privatives de liberté ?
Daniel Amagouin Tessougué: Nous ne sommes pas à mi-parcours, nous venons juste de commencer les assises, c’est la première semaine que nous venons de boucler. De mon point de vue, pas avec trop de bonheur compte tenu du fait que ces dossiers d’atteinte aux biens publics que nous avons reçus en héritage, vous allez trouver que les personnes accusées dans ces dossiers sont décédées. Dans certains cas, les accusés ont carrément changé d’adresses ou sont sous d’autres cieux. Ce qui fait que les citations ont été faites à mairie ou à parquet, mais malgré tout il y a eu des condamnations. Le bilan définitif, nous allons le poser lorsque nous aurons bouclé la session des assises. Nous allons cumuler l’ensemble des condamnations à des peines pécuniaires et à des peines de remboursement. Donc, le bilan sera donné aux citoyens maliens à temps voulu.

Selon nos investigations, les magistrats maliens sont les moins lotis de la sous-région sur le plan des conditions de vie et de travail. Avez-vous fait le même constat ?

Bien sûr ! Ce constat, tout le monde le fait. Il y a à peine 5 jours de cela, j’ai reçu des partenaires techniques et financiers du Mali qui m’ont demandé à combien s’élève le salaire du magistrat le plus haut gradé, notamment ceux de la Cour suprême. Quand je l’ai dit, le monsieur me dit : «mais vous rigoler ?». Je lui ai dit : si vous voulez que je rigole, je dis qu’il gagne dix millions. Il m’a dit que cela est trop. Effectivement, je trouve indécent qu’on parle de salaire comme ça. C’est le combat syndical que je soutiens le plus. Que l’Etat mette toutes les chances de son coté pour relever, le plus possible, le salaire du Malien. Pour revenir au cas du magistrat malien, effectivement, il est le moins loti de la sous-région. Si vous faites comparaison, vous allez vous rendre compte qu’un magistrat d’un autre pays de la sous-région peut payer le magistrat malien de premier niveau. Quand tu le dis, certains vont te dire et les autres ? Eh bien, oui ! Mais celui dont le boulot consiste à mettre en risque la vie des gens, il faut l’enlever du risque. Sur la question des conditions de vie, de travail même, j’ai eu à faire le tour de certains palais de justice avec certains de vos confrères. Ils ont pu voir exactement, sans que cela soit de la tautologie, les conditions de travail des uns et des autres. Quand j’ai montré le bureau d’un de mes substituts, il y a un de vos confrères qui a dit que ce n’est pas vrai. Il travaille dans ces conditions où chaises, fauteuils et table de travail sont cassés. C’est inimaginable de demander aux gens de travailler dans des conditions infrahumaines et de produire des résultats extraordinaires. Ce n’est pas possible ! Mais malgré tout, sans murmure, ils travaillent correctement. Je dis encore une fois que l’Etat a tout intérêt à mettre ses services de sécurité et de justice dans les meilleures conditions.

Qu’en est-il des mandats d’arrêt internationaux lancés contre certains responsables des groupes armés, sachant bien que les autorités politiques ont libéré certains détenus desdits groupes, et le gouvernement négocie avec certains d’entre eux à Alger ?

C’est vrai, nous sommes dans une situation de négociation. Je dis souvent que l’action politique c’est ce qu’elle est. Ce qui est sûr, des mandats d’arrêt ont été lancés dont l’exécution relève d’autres autorités, parfois même d’autres pays. Malheureusement, ces mandats n’ont pas le bonheur que nous souhaitons. Donc, sur ce plan, les mandats ne sont pas exécutés. Cela, il faut le reconnaitre. C’est vrai que dans le cadre de l’Accord de Ouagadougou, pour des mesures d’apaisement, certains détenus de ces groupes armés ont également été libérés. Ça aussi c’est une évidence. Maintenant, il faut privilégier l’action judiciaire à l’action politique. Ça c’est le point de vue du juge que je suis. Maintenant, les politiques, comme j’ai l’ai dit, ont une autre perception. Peut être, faudra t-il leur poser la question.

Les autorités politiques parlent de justice et de réconciliation sans pour autant mettre l’accent sur la réparation des dommages. Est-ce à dire que l’impunité est consacrée ?

Si nous consacrons l’impunité, c’est très grave pour le pays. D’où notre exigence de dire d’abord la justice, ensuite la paix et la réconciliation. D’abord la justice dans tout ce que nous sommes en train de faire comme travail. Nous n’oublions pas les victimes. Tout ce que nous faisons chaque jour, c’est prendre en compte leur désarroi, leur perte de fortune et toutes les atteintes faites à leur morale. Nous sommes en train de prendre tout cela en charge. Donc, pour la justice, il n’y a pas question de baisser les bras. Nous sommes en train de travailler correctement.
Tout comme le Nord, le Sud a connu beaucoup de violations des droits humains, notamment les événements du 30 avril 2012 (affaire des bérets rouges) et celui du 30 septembre 2013 (affaire des bérets verts). Où en êtes-vous avec ces dossiers ?

Bon, souvent quand on parle de violence au Sud, on ne se focalise que sur ces deux dossiers là. Mais, il y a des violations plus graves partout. Ceux-ci sont des dossiers parmi tant d’autres. La presse a amplifié les effets de ces dossiers-là, peut être à juste raison. Chaque fois qu’il y a violation, la justice sévit. C’est notre mission de traquer les délinquants partout, où, qu’ils se trouvent. Maintenant, pour revenir à ces deux dossiers, ils suivent leur petit bonhomme de chemin et les juges d’instruction ont quasiment terminé leur travail. Il reste au parquet de prendre ce qu’on appelle leur réquisitoire. On verra ensuite la suite que les uns et les autres vont donner à ces dossiers-là. Laissons le travail se faire dans le professionnalisme et le temps requis.

Vous-vous êtes récemment rendu à Sélingué, où le Général Amadou Haya Sanogo est en détention. Quel était l’objet de ce déplacement ?

Voyez-vous, il y a certaines choses qui étonnent. Moi, j’ai été étonné qu’on fasse tout ce bruit autour de ce déplacement qui n’était pas le premier d’ailleurs. Je ne sais pas pourquoi on n’a voulu monter ce déplacement en le prenant par les cheveux. C’était juste pour voir les conditions de détention. Juste pour ça et faire un rapport aux autorités supérieures. C’est d’ailleurs ce que je veux faire. C’est tout !

Les pouvoirs publics seraient, selon certaines indiscrétions, dans la logique de libérer le Général Sanogo. Ce scénario est-il effectivement à l’ordre du jour ?
Il faudra poser la question à ces autorités-là, moi je suis juste le Procureur général qui, conformément à la loi, est chargé de veiller à l’application de la loi pénale. C’est un tout, du début à la fin du processus. Maintenant, il faut poser la question à ces autorités, qui sont chargées de ces questions-là. D’ailleurs, pendant que je faisais ma visite à Sélingué, d’autres procureurs faisaient la même visite ailleurs. Il n’y a aucune conséquence dans ça.

La corruption, la surfacturation et la mauvaise gouvernance sont les caractéristiques de l’administration publique malienne. Quel regard portez-vous sur ces maux qui minent notre pays ?
Ce constat, tout le monde le fait. Il s’agit de lutter contre le phénomène. Je crois que le régime du Président Modibo Keita avait mis des balises. Autrement, le premier Code pénal portait des dispositions, puis le coup d’Etat est arrivé en 1968. Dès 1969, les militaires ont commencé à prendre des mesures les plus radicales jusqu’à la fameuse ordonnance de 1974 où on a essayé de classifier le détournement avec le canton de la peine où à partir de 10 millions, c’est la peine de mort. Cela a continué jusqu’à aujourd’hui. La dernière disposition, c’est la loi contre l’enrichissement illicite. Il y a eu suffisamment de structures de contrôle. Tout cela pour essayer de sécuriser le denier public. Aujourd’hui, on se rend compte que c’est une goutte d’eau dans la mer. Les gens continuent à se livrer à ce jeu, à faire de l’argent public la chose qui n’appartient à personne, la surfacturation, le faux, les actes de corruption. Rien n’est épargné finalement. Il faut que chacun se dise qu’en dilapidant un franc, c’est un préjudice que l’on porte à des milliers de personnes. Il faudra se dire que personne d’autre ne viendra faire le Mali à notre place. Ce sont Nos efforts et notre éthique personnelle qui construiront ce pays-là. En tant qu’homme de droit, le constat que je fais, c’est qu’il faut toujours prévenir.

Comme je l’ai dit tantôt, quand vous prenez des dossiers, vous trouverez que les gens sont morts déjà, l’argent est parti, l’action publique est éteinte. Peut être d’un point de vue civil on va essayer de récupérer les sous. Mais comment ? Mais si l’on avait prévenu, cela n’allait pas arriver. Là, je dis que chacun réfléchisse à mettre en place un mécanisme de contrôle interne idoine qui va faire que dès l’instant qu’il y a un petit frétillement au niveau des dépenses publiques qui ne soit pas normal, qu’on puisse rapidement intervenir. Sinon, si on laisse les gens prendre un, dix, cent millions jusqu’à des milliards, pour les récupérer, vous avez tous les problèmes du monde. Déjà, je crois que le pays a commencé à mettre des balises en place. On a déjà dit de mettre sur virement bancaire tous les salaires à partir de 50 000 FCFA et que tout paiement au delà du même montant soit fait par chèque, etc.

Par ailleurs, je me rends compte que ce sont les mêmes autorités qui prennent des paquets d’argent qu’on remet à un chef de village, parce qu’il y a catastrophe naturelle. On prend des paquets de 5 ou 10 millions. On lui dit : le gouvernement qui te donne ça pour compenser tes blessures. Si c’était par chèque, au moins il y a la traçabilité. Ensuite, d’autres dépenses qui viennent sont des dépenses sauvages qu’on trouve dans l’administration publique qu’on peut essayer de cantonner, de baliser. Je crois qu’il y a une réflexion à faire à ce niveau-là pour que l’argent soit sécurisé. Si l’on sécurise, vous allez voir que les détournements ne seront que des petits phénomènes. Mais là, on voit qu’ils sont devenus des vrais phénomènes. C’est très grave !

Face à la situation, le Président de la République dès sa prise de fonction avait déclaré 2014 année de lutte contre la corruption. On est à un mois de la fin de l’année. Quel bilan faites-vous de cette lutte ?

Lors d’une conférence débat, je disais que certes il y a l’action politique et l’action judiciaire. La lutte contre la corruption est une action permanente de la justice. A ce niveau, je peux dire que toujours ça été une succession de procédures. La commune III n’a jamais chômé, en tout cas pour ce qui est du Parquet de Bamako qui est en charge de ces questions-là. Il a toujours continué à recevoir des dossiers, non seulement sur le rapport du Vérificateur général, mais également sur les rapports des autres structures de contrôle des services publics. Et nous, à notre niveau, chaque fois nous recevons des plaintes des citoyens qui prennent sur eux la responsabilité de le faire. Ils nous envoient parfois des lettres anonymes et que nous transmettons aux services de vérification pour enquêtes. Parfois ces enquêtes aboutissent. Donc, 2014, 2013 ou 2012 sont des années pour la justice. Tant que la corruption et la délinquance financière vont continuer, la justice serait là. Maintenant, je voudrais qu’à partir de 2014, que les Maliens prennent conscience qu’on ne peut pas continuer à être la risée des autres nations. Il faut que nous nous arrêtions un moment pour dire que puisse que les autres ont pu faire un pas plus que nous, il reste à les rattraper et à les dépasser. Et ça, on peut le faire.

Dans un communiqué, le gouvernement a annoncé l’ouverture d’une enquête sur l’achat de l’avion présidentiel et le contrat des équipements de l’armée. Qu’en est-il ?
Vous savez, chaque fois que vous posez une question des autres autorités, je préfère vous renvoyer vers ces autorités. Nous savons qu’à notre niveau, une enquête est ouverte au niveau du Pole économique. Maintenant, il faut peut être vous adresser au ministre porte-parole du gouvernement pour qu’il explicite cette plainte-là, où ce communiqué-là. Mais, je sais que la justice est en train de travailler sur les deux dossiers.

On parle beaucoup de spéculations foncières et les juges sont accusés à tort ou à raison. Quel mécanisme faut-il mettre en place pour soulager la souffrance des usagers ?
C’est le même secteur où je dis que chacun regarde le fer, nul ne bouge. Comme le disent les Ivoiriens, c’est lorsque c’est gâté qu’on dit: il faut appeler le juge. Souvent vous trouverez que c’est trop tard. Une opération foncière, elle est prévue, je crois qu’il y a une loi de 2002 et un décret de 2005 ou 2006 qui réglementent les opérations d’urbanisme et c’est tellement clair. Que ça soit un lotissement, une réhabilitation ou une parcelle, tout est réglementé pour que, à partir du moment où vous avez quelqu’un qui commence a poser des jalons pour dire que je veux faire un lotissement, on puisse savoir si c’est faux ou vrai. Mais, pourquoi on n’agit pas à ce niveau-là ? Ce n’est pas nous qui allons faire les morcellements. Ce sont les maires. Les autorités de tutelle les laissent faire, personne ne lève la voix. Ils sortent des notifications par centaines, par milliers, qu’ils distribuent comme du petit pain. Les problèmes commencent là. Vous achetez une notification portant sur une parcelle B, moi j’achète la même notification, mais on a un problème. Pourquoi quand ils commencent les notifications, personne ne vient pour dire: arrêtez ! Il y a des autorités pour ça. Ce n’est pas le juge. On laisse faire ce maire qui graisse sur toute la ligne. On a vu des autorités avec des centaines de notifications dans leur sac, qu’elles ont même données à des gens. Il faut arrêter cela. Je dis toujours qu’il faut arrêter pendant qu’il est temps.

Maintenant, quand le mal se métastase, on dit : il faut appeler le juge, il va régler. Mais il ne peut pas régler, parce qu’en réglant, il crée beaucoup plus de problèmes. Vous allez trouver que 10 à 15 ha ont été lotis sauvagement, sur lesquels on a construit des maisons qui font des millions. Qu’est-ce que le juge peut faire ? Expulsion, démolition ? Vous allez voir une marée humaine qui va se lever pour dire qu’on a été expulsé, c’est la faute du juge. Il faut que chacun joue pleinement sa partition et prenne ses responsabilités. Vous savez, on aime bien les postes au Mali, mais pour ce qui est d’assumer ses responsabilités, on veut les fuir. Il faut qu’on prenne les postes avec les responsabilités. On ne peut pas prendre les postes et demander à quelqu’un d’autre de prendre les responsabilités à votre place. Si, dès le début, nous avions mis le holà sur les agissements illégaux de ces maires qui font des lotissements, on ne serait pas là. Le juge règle ce qu’il peut. Si le juge peut régler tout dans une nation, dans ce cas, demandez au juge de diriger le pays.

Actualité oblige. Le Procureur de la République près le tribunal de la Commune IV a ouvert une information judiciaire dans le dossier Ebola. Quelle est l’évolution de ce dossier ?
Dès l’introduction de ce malade sur notre territoire, l’indication de ladite clinique, le Procureur de la commune IV a appelé pour informer effectivement de la situation. Ensemble, nous avons décidé qu’il fasse faire une enquête dans des conditions extrêmes, qu’il n’y ait pas de garde à vue. Garde à vue signifie qu’éventuellement étendre le risque à d’autres policiers. Mais, les enquêtes, de toute façon, sont en train d’être glanées et au moment adéquat, il fera ce que la loi ordonne de faire. Nous espérons que la procédure va se poursuivre et pour que les Maliens apprennent à prendre les précautions les plus élémentaires chaque fois que de besoin.
Propos recueillis par

Nouhoum DICKO
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