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Les bons et mauvais points des pourparlers de paix d’Alger : à la loupe des dix règles d’or d’une médiation réussie de Me. Alioune Blondin BEYE
Publié le lundi 1 decembre 2014  |  Infosept




L’ultime round des pourparlers inter maliens d’Alger a débuté voilà un peu plus de dix jours. Alors que la Communauté internationale s’empresse d’exhorter les différents belligérants à la signature rapide d’un accord de paix, voilà que le processus s’enlise. Jeudi dernier, les pourparlers ont été suspendus sans que les parties ne tombent d’accord sur Accord quelconque. Qu’est ce qui a marché et qu’est ce qui a le moins marché ? les règles standards d’une négociation réussie ont-elles toutes été respectées ? Voici une série de questions que nous avons essayé de faire passer á travers le prisme de la Diplomatie BEYE, un grand et habile négociateur malien hors pair, avocat et ancien Ministre des Affaires étrangères, ancien Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies en Angola et qui avait réussi avec brio à arracher du MPLA et de l’UNITA de Jonas Savimbi le Protocole de Lusaka. Un Accord qui a permis à l’Angola de recouvrer la Paix après des années et des années de guerre civile. A la suite du succès de sa brillante médiation, le diplomate malien avait établi ce qu’il a appelé les 10 règles d’or d’une médiation réussie. Le présent papier tente donc d’analyser le Processus de paix d’Alger à l’aune de ces règles pour en dégager les bons et mauvais points.

Les différentes étapes, à savoir, les trois dernières avant celle-ci, ont été franchies non sans difficultés mais avec également, il faut le reconnaitre, une certaine facilité. La crise du septentrion malien est bien complexe, et ce n’est, évidemment pas, des pourparlers d’une centaine de jours, qui peuvent fournir un document dont l’application pacifierait, comme par un coup de baguette magique, les problèmes de cette partie de notre pays.

Beaucoup d’éléments font que ces pourparlers sont, malgré la forte mobilisation de la Communauté internationale, bien difficile à gérer. D’abord, il est évident que l’Etat malien ne fait que récolter le fruit d’un certain délaissement de la partie septentrionale de son territoire. Les rebelles se servent, entre autres, de cet état de fait pour revendiquer une large autonomie « d’une entité culturelle, géographique et politique », qu’ils disent, distinctes du reste du Mali. En plus, le caractère racial est une des principales raisons qui motivent ces groupes rebelles à vouloir vivre seul, isolé du reste du pays. Fermement convaincu que nos différentes populations ne peuvent vivre ensemble, ils étayent leurs arguments en affirmant que c’est du fait de la colonisation qu’on s’est tous retrouvé dans un même pays. Et qu’un ressortissant du nord n’a rien à voir avec celui du sud, culturellement parlant. Quand on voit le métissage de longue date qu’il ya eu entre nos différentes ethnies, aussi diversifiées soient-elles, et le fait que, d’une manière ou d’une autre, tous les maliens sont apparentés, cela balaie d’un revers de la main cette conception raciste.

Puis, il ya aussi le choc et la grande déception que ressentent les maliens vis-à-vis du comportement de ces groupes armés. Même si le délaissement du nord par l’Administration centrale est globalement une vérité, ce n’est pas une raison de prendre des armes contre l’Etat et de mener une guerre contre son pays. Il ya d’autres manières, beaucoup plus nobles et beaucoup plus efficaces de revendiquer ses droits légitimes que par les armes.
De plus, avec le président Alpha Oumar Konaré, tout a été mis en œuvre pour favoriser l’insertion socio professionnelle des jeunes touareg et arabes, fussent-ils diplômés ou non. Donc si discrimination ou marginalisation, il y a, c’est bien contre les jeunes sudistes qui même diplômés pataugent des années durant dans le chômage. Un autre élément d’analyse est que la partie septentrionale de notre pays a reçu bien plus d’appui financier á travers milles projets que n’importe quelle autre partie du Mali. Le Nord a reçu plus de dons, que ce soit en nature ou en espèce, pour la réalisation de divers projets. Des projets, dont on ne voit aujourd’hui aucune trace détournés pour la plupart par leurs responsables qui préfèrent se construire des châteaux au bord du fleuve Niger á Bamako qu’á Kidal, qu’á Ménaka ou á Tessalit. Ce ne sont donc pas les sudistes qu’on va transplanter au Nord pour le développer.
La majeure partie des dons tombaient directement dans les poches des chefs touaregs et arabes, anciens cadres ou commerçants. Oui, si le nord est dans cet état de délaissement et de désolation, c’est aussi à cause de ceux-là. Les dirigeants de groupes armés ont occupé des postes de très hautes responsabilités dans l’Administration malienne. Y’a-t-il une meilleure tribune qu’un poste, par exemple, de ministre ou de députés, ou de chef d’Institution de la République pour dénoncer ce qu’il dénonce actuellement. Mais, en ce moment, aucun d’eux ne le fait, certainement occupé à jouir des faveurs du système.
Et c’est dans ce contexte plus que délicat qu’opère la médiation internationale. Au vue du déroulement de cette ultime étape, a-t-elle réellement marché sur les pas de la démarche à suivre dans une telle situation. L’éminent diplomate et médiateur malien Feu Me. Alioune Blondin Bèye, s’inspirant du conflit angolais a établi dix règles d’or pour une médiation réussie. A la lumière de ces règles, voyons si la médiation internationale est en train de réussir ou pas.

1. Faire des propositions :

En matière de règlement pacifique des différends, le médiateur doit toujours garder à l’esprit qu’il est un médiateur et non un arbitre. En Droit international, il ya une différence entre la médiation, l’arbitrage et les bons offices. Le but des bons offices est seulement de réussir à faire asseoir sur la même table deux protagonistes et faciliter la reprise des pourparlers entre eux. La médiation est un mode de règlement des différends qui va au delà. Le médiateur joue non seulement le rôle de facilitateurs, mais surtout propose un plan de sortie de crise issu des visions des protagonistes dont la mise en œuvre reste à la convenance des deux parties. Mais quant à l’arbitrage il faut dire que les choses sont différentes. Contrairement à la médiation dont le caractère politique est très prononcé, l’arbitrage agit sur la seule base du Droit international. Défini à l’article 4 de la Convention de la Haye de 1907, il est un procédé de règlement juridique des différends par lequel un arbitre choisi par les parties, tranche le différend au moyen d’une décision obligatoire. L’arbitrage se démarque donc de la médiation en ce sens, l’arbitre ne se contente pas de proposer une solution, il l’impose aux parties qui y sont tenus de l’appliquer.
Première réussite à mettre à l’actif de l’Algérie, c’est d’avoir réussi à réunir le gouvernement malien et les groupes armés autour d’une même table. Ce qui n’était pas gagné vue l’historie récente entre les deux parties. Un autre bon point et non des moindres, c’est d’avoir proposé un document sur la base duquel se déroulent les travaux. Il ne fait bien évidemment pas l’unanimité mais il existe quand même et cela permet de cadrer les pourparlers autour d’une ossature. La médiation internationale s’est aussi abstenue d’arbitrer, car ce n’est pas de son ressort.

2. Définir un cadre juridique
Dans une médiation, il faut éviter les quiproquos en clarifiant les principes de base qui doivent être acceptes après l’ensemble des parties. C’est à ce niveau qu’il faut rappeler le but de la médiation. On ne peut parvenir à une paix durable avec un adversaire qu’on a humilié et que le but ultime d’un processus de médiation est la réconciliation.
Les limites ont été dès le départ fixées par la médiation à savoir la laïcité et la forme républicaine, unitaire de la République et l’intégrité du territoire. Mais à la lumière du projet de paix qu’elle a fourni aux différents belligérants, il semble qu’elle a elle-même violé les limites qu’elle a fixées. Tous les maliens s’accordent à dire à propos d’une bonne partie des propositions, qu’il ne s’agit que d’une forme de fédéralisme ou d’autonomie qui ne dit pas son nom. Prudence alors.

3. Adopter la stratégie du black-out :
Dans une médiation, il faut garder à l’esprit qu’on ne saurait négocier sur la place publique. Avant que les parties ne doivent arrivés à un accord écrit, il faut adopter une discipline telle que ni le médiateur, ni les parties ne puissent dévoiler à la presse les conclusions auxquelles elles doivent parvenir, pour éviter que chaque partie ne privilégie ses propres positons. Seul le médiateur, dans le cours des négociations, est habilité à faire des commentaires publics. Et s’il doit intervenir, il ne doit présenter aux media que les résultats des travaux. Cette stratégie a pour but de ne pas polluer l’atmosphère des négociations.
Pour le moment, l’on peut dire que les pourparlers se passent globalement dans une certaine discrétion. Même si certains belligérants interviennent dans certains médias, ils ne communiquent point sur les travaux en cours. Le médiateur algérien est attendu pour communiquer sur l’accord final et pour livrer les raisons de la suspension des pourparlers.

4. Consacrer l’autonomie des délégations
L’autonomie des délégations est essentielle dans une négociation. Il faut avant l’ouverture d’une négociation, procéder à la vérification des mandats. Un bon médiateur se doit donc avant d’ouvrir les négociations, s’assurer de l’authenticité des pleins pouvoirs détenus par les délégations. Le premier avantage de la vérification des mandats est de ne jamais oublier que la crédibilité d’un accord dépend formellement de celle des délégations prenant part aux négociations. Selon que ces délégations soient légitimes ou non, les accords seront acceptés ou rejetés. Le second avantage de cette règle est lié au premier. Si les mandats sont en bonne et due forme, les délégations doivent être souveraines, c’est à dire qu’elles n’aient pas à se référer à chaque fois à leur mandant et que les décisions prises, engagent formellement leur partie. De la même façon, que les parlementaires qui n’ont pas besoin, des lors qu’ils sont élus, de demander l’avis de leurs électeurs sur chaque projet de loi avant de se prononcer. Il n’en demeure pas moins vrai que les lois qu’ils votent, engagent toute la nation. La seule différence est que le mandat pour les représentants à une négociation est impératif.
Dans le cas d’espèce, il s’agissait pour la médiation internationale de s’assurer que les belligérants représentaient bel et bien les groupes dont ils se réclamaient. Après vérification, l’on s’est aperçu que les rebelles représentaient plutôt leur propre coalition qu’un ensemble de population. Par rapport à l’ambigüité de la positon du MAA, elle remonte depuis bien avant le début des pourparlers. En effet, une tendance est pour l’Etat malien et une autre pro groupes armés. Néanmoins, cet état de fait, comme expliqué plus haut pourrait affaiblir la force du futur accord de paix.

5. Adopter la stratégie de proximité :
En vertu de cette règle, chaque point inscrit à l’ordre du jour des pourparlers d’une négociation doit faire l’objet d’une consultation séparément avec chaque partie ou délégation. Ces consultations en aparté permettent au médiateur d’éviter les confrontations stériles d’un face a face précoce entre les parties. Une fois la position des parties connue sur un point, le médiateur les invite à rédiger un document reflétant leurs points de vue. Le rôle du médiateur est alors de faire la synthèse des deux documents qu’il propose ensuite à la plénière des parties. Les parties se réunissent alors pour élaborer un document unique constatant leur accord.
Là, il est difficile de savoir si, au début des pourparlers, la médiation a procédé à des négociations séparément avec les groupes armés d’un côté et avec le gouvernement malien, de l’autre. Quoi qu’il en soit, ils avaient été invités à fournir séparément leur proposition de paix, ce qui fut fait. Par la suite, la médiation en a fait la synthèse pour parvenir à un document qui a été soumis à l’appréciation des différentes parties. Lors de cette ultime phase, après avoir fourni un document qui reflète leurs points de vue par rapport au document, il est attendu qu’elles se réunissent pour rédiger un document unique prenant en considération leurs revendications respectives. Un exercice qui s’annonce extrêmement difficile.

6. Éviter la stratégie du kangourou
Le kangourou est un mammifère d’Australie qui porte ses petits dans une pense située devant, d’où le nom du célèbre kangourou porte Bébé. Cet animal a la particularité de sauter les obstacles. Selon donc cette règle, il faut éviter, dans l’examen des points inscrits à l’ordre du jour d’une négociation, de mettre en stand-by une question parce qu’elle est difficile et de passer au point suivant en le réservant plus tard. L’efficacité de cette règle est qu’elle évite d’accumuler derrière soi des montagnes de questions toutes réservées, toutes difficile et dont la complicité démultipliée finira par faire capoter tout le processus des pourparlers.
Les questions délicates inscrites tout au long de ces pourparlers sont nombreuses. Même si elles ont été abordées dans l’ensemble, il ya de fortes chances qu’elles ne l’ont pas été suffisamment, vu la dimension interne de l’affaire : « une affaire entre maliens » disaient une diplomate américaine, jeudi dernier à Alger. Néanmoins, une fondamentale n’a pas été assez abordée. Il s’agit du critère de la nationalité et par extension, de ce désir de faire partie d’un même pays, d’une même nation et d’avoir un destin commun. C’est l’essence même de ces pourparlers. L’on ignore si réellement, la question fut posée aux groupes rebelles soit par la médiation internationale ou par le gouvernement.
Les groupes armés ne jurent que par leur Azawad. Mais, réellement, il ne peut y avoir deux entités dans une seule. Soit ils sont maliens et nous vivons ensemble, soit, ils sont autre chose, et dans ce cas, ils acceptent d’être des apatrides et ne seront point dans le giron de l’Etat !

7. Adopter la stratégie du détail
L’une des règles les plus délicates dans une négociation est d’aller dans les détails. C’est ici que le médiateur ne doit jamais oublier le but de son action, à savoir résoudre un conflit. A la différence du marchandage où il ya toujours une partie qui gagne et qui perd, le but d’une négociation n’est pas de dégager une partie gagnante, mais de donner satisfaction à toutes les parties. Difficile jeu d’équilibriste, certes, mais indispensable pour que les accords issus des négociations ne soient sujets à contestation et que les parties ne soient amener à les rejeter par la suite. Dans la précision des détails, le médiateur doit éviter dans la mesure du possible de compliquer les choses faciles et de tout faire pour simplifier les choses difficiles. Il faut aller dans les détails dans la précision des contenus pour éviter des interprétations partiales à la fin des pourparlers.
C’est là où réside la complexité d’une médiation : prendre en compte les aspirations de toutes les parties et proposer une solution qui pourrait tous les satisfaire de manière plus ou moins égale. La médiation internationale a-t-elle abordé le problème du septentrion malien dans les moindres détails ? Non, dans l’ensemble car ignorant certaines réalités, sociales notamment du septentrion malien et du pays de façon générale.

8. Adopter la stratégie du verrouillage :
Le verrouillage est une stratégie de non retour qui consiste à ne pas revenir sur un point acquis, même s’il apparaît au fil des pourparlers qu’un autre compromis pouvait être plus bénéfique. En négociation, on ne revient pas sur une question bouclée. L’avantage de cette règle est d’éviter qu’une situation nouvelle ou occultée ne vienne remettre en cause des certitudes déjà acquises. Sinon, aucun acquis ne saurait être considéré comme définitif. Ce qui est préjudiciable à des pourparlers.
A la médiation internationale donc d’être ferme. Les préalables et autres acquis ne devront faire l’objet d’aucune révision : laïcité, forme républicaine de l’Etat, intégrité du territoire.

9. Adopter la stratégie de la fermeté
Elle consiste pour le médiateur à soumettre aux parties, un « package deal », c’est à dire une proposition en bloc, à prendre ou à laisser. En d’autres termes, une proposition que si elle pouvait être rejetée, ne souffrirait aucun amendement si elle était acceptée.
Au terme du processus, un document sera soumis aux différentes parties comprenant la synthèse des propositions fournis. Et elles ne pourront, en aucune manière, rejeté telle ou telle disposition du dit accord ou document. Soit, elle y adhère dans sa totalité soit elle n’y adhère pas. Aussi bien les rebelles que le gouvernement malien ne pourront contester un des points du document d’où le terme package deal.

10. Adopter la stratégie de la flexibilité

Il s’agit des difficultés qui peuvent être rencontrées dans la mise en œuvre de l’accord de paix. Le plus difficile étant déjà fait, il s’agira de faire appel à l’indulgence de toutes les parties impliquées dans le processus.

Ahmed M. Thiam
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