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Dialogue intermalien, M.Abdoulaye Diop , ministre malien des Affaires Etrangères, de l’Intégration Africaine et de la Coopération Internationale : «Ce genre de processus n’est jamais un fleuve tranquille»
Publié le lundi 1 decembre 2014  |  Elmoudjahid
Conférence
© aBamako.com par mouhamar
Conférence du Ministère des Affaires Etrangères, de l`Intégration Africaine et de la Coopération Internationale
Bamako, le 25 octobre 2014. Le Ministre  des A.E. I.A.C.I, SEM Abdoulaye DIOP, Médiateur en Chef de la délégation malienne , a animé une Conférence de Presse,  au Radisson Blu.




M. Diop, ministre malien des Affaires étrangères, qui conduit la délégation gouvernementale revient dans cet entretien sur une évaluation du processus de dialogue inclusif devant aboutir à la signature d’un accord de paix durable et définitif.

El Moudjahid : Le 4ème round du dialogue intermalien a été entamé le 20 novembre courant. Les rencontres se sont poursuivies à huis clos durant une semaine.

Pouvez-vous nous faire un point de situation?

M. Abdoulaye Diop : Ces rencontres font suite aux précédentes surtoutla dernière qui s’est tenue en octobre à Alger et au cours de laquelle, la médiation a élaboré un document appelé «éléments pour un accord pour la paix et la réconciliation au Mali ». A cette étape que nous venons d’entamer l’objectif essentiellement est de discuter de ce document et partager nos points de vue et nos observations. Vous savez nous sommes aussi dans un processus de négociation où il est illusoire que chaque partie se retrouve dans le document à 100%.

Les divergences portent sur quels aspects ?

M. Abdoulaye Diop : Il y a quelques aspects qui sont des points à approfondir encore pour nous.

Lesquels ?
M. Abdoulaye Diop : Sur la question politique et institutionnelle, dans le document présenté par la médiation nous avons porté quelques observations. Essentiellement sur la notion des régions intégrées qui tend à intégrer plusieurs régions du pays. Nous avons pensé que cette proposition pouvait être attentatoire à l’unité du pays parce que cela avait tendance à considérer que les trois régions de Tombouctou, de Gao et de Kidal doivent constituer ensemble une entité unique que certains pouvaient appeler Azawad.

En créant des régions intégrées, cela pouvait être le début d’une atteinte à l’unité nationale du pays. Mais que nous n’étions pas contre que les régions puissent travailler ensemble même dans le cadre de l’inter-régionalité, sur certains projets d’intérêt commun, que cela soit dans le domaine de la santé ou des questions de développement. Il est aussi question de la mise en place d’une zone de développement avec aussi une structure chargée de chapeauter la zone qui elle
aussi ressemble à une entité.

Le concept qui devait être derrière la zone de développement du point de vue du gouvernement c’est que une fois qu’une région ou des régions sont déclarées zones de développement prioritaires, c’est sur une période limitée d’ailleurs, peut être 10, 15 ou 20 ans, où il y aura vraiment un effort conséquent des pouvoirs publics pour pouvoir injecter des ressources importantes au niveau de ces régions pour pouvoir permettre de réduire les disparités avec d’autres parties du pays. L’autre point crucial aussi c’est que lors des échanges que nous venons d’avoir ces jours ci, les frères de la Coordination du mouvement MNLA , HCUA et MAA, (signataires de la Déclaration d’Alger) ont remis sur la table leur projet de fédération. Et vous savez que la fédération touche à ce qu’au Mali, le président de la République considère comme une ligne rouge. Dès le début, le président Ibrahim Boubacar Keita avait sollicité le président Bouteflika pour que l’Algérie s’investisse afin de ramener
la paix au Mali. Et dès ce moment il avait indiqué très clairement que pour lui, il était totalement disposé à la paix et au dialogue comme moyen de résolution de la crise. Mais il avait également rappelé qu’il y avait des lignes rouges qu’il ne pouvait pas franchir.

Qu’il était prêt à discuter de tout sauf certains éléments ; la question de la fédération, de l’autonomie en faisaient partie. Mais il y avait aussi des principes clés de notre constitution, le respect de l’intégrité territoriale, le respect de l’unité nationale, le respect de la souveraineté et le respect du caractère laïc et républicain du Mali et qu’en dehors de ceci toutes les autres considérations pouvaient faire l’objet d’échanges.

Mais le fait que les groupes signataires de la Déclaration d’Alger tiennent à la revendication de la fédération, ne va-t-il pas bloquer ou gêner l’avancée des négociations ?

M. Abdoulaye Diop: C’est un point important qu’il faudra lever. Nous ne comprenons pas pourquoi les frères remettent ce projet sur la table .Premièrement dans la feuille de route ils ont accepté tous ces principes et c’est la feuille de route qui gouverne ces discussions. D’ailleurs nous les saluons pour cet effort qu’ils avaient fait. Et quand on était là en octobre, ils avaient mis sur la table ce projet de fédération que l’équipe de médiation dans son ensemble avait formellement rejeté en indiquant que cela sortait du cadre des négociations et cela n’était pas envisagé dans le cadre de la feuille de route. Vous savez le Mali est un Etat unitaire. Aller dans le sens de la fédération cela veut dire créer un autre Etat parce que pour qu’il ait une fédération, il faut deux Etats .

Deux Etats cela veut dire que nous somme dans le processus de remise en cause des frontières du pays. Même sur un autre plan, aller vers la création d’un autre espace menace la paix et la sécurité de la région. Vous savez qu’en 2012 , quand le Mali a perdu une bonne partie de son territoire , les groupes indépendantistes qui avaient pris le contrôle du Nord ont été chassés en quelques jours par les groupes terroristes. Accepter aujourd’hui d’aller dans ce sens , de notre point de vue va créer une instabilité permanente dans la région. Nous pensons cependant que nos frères , nos soeurs qui ont pris les armes pour les raison qui leurs sont propres et qui ont mis sur la table un certain nombre de préoccupations dont certaines sont fondées et que nous sommes disposés à discuter avec eux.

C’est dans ce cadre que le gouvernement, dans le cadre de la vision du président de la République de la refondation de l’Etat malien et de la Rénovation de la gouvernance au niveau du Mali a exprimé sa volonté d’instaurer une libre administration des collectivités, de la renforcer et de donner plus de pouvoirs aux régions à travers un transfert important des prérogatives au niveau des régions et que à travers cette réorganisation , il était possible aussi que les collectivités et les populations puissent se prendre en charge, et ce même si cette réorganisation peut toucher à l’ensemble du pays , mais il est possible qu’à travers les zones ingérées un effort conséquent pour les régions du nord soit fait , et que cette réorganisation puisse permettre de prendre certaines spécificités. Nous avons également exprimé notre volonté d’améliorer la représentation de toutes les communautés du pays dans les instances de décision.

Selon vous le gouvernement malien a fait les concessions nécessaires et il ne peut pas aller au-delà ?

M. Abdoulaye Diop : Nous n’allons pas dire cela. Parce que quand vous venez à une négociation, il faut donner en espérant recevoir quelque chose. Nous sommes venus
dans le cadre de cet état d’esprit. Nous ne venons pas dans le cadre d’un diktat. Mais nous avons seulement indiqué qu’il y a des choses sur lesquelles nous ne pouvons pas céder. Et cela sont des principes clés que nous avons affirmé avant d’entrer dans le processus et que nous avons constamment rappelé. Nous pensons que dans le cadre des offres faites par le gouvernement, nous pouvons éventuellement réaménager en fonction des demandes
de l’équipe de médiation ou des frères. Nous avons assez d’espace si on sort
des concepts préfabriqués ailleurs et qui ne sont pas adaptés à notre situation.

Les différents membres de l’équipe de la médiation ont demandé à l’ouverture du 4ème round aux groupes politico-militaires de faire plus de concessions et compromis pour faire avancer le dialogue et aboutir à un accord de paix. Est-ce à dire que du côté de l’équipe de la médiation on estime que le gouvernement malien a fait ce qu’il fallait pour cela ?

M. Abdoulaye Diop : L’équipe de la médiation tient le même langage vis-à-vis du gouvernement en estimant qu’il faut que chacun doit faire les efforts nécessaires et les concessions qu’il faut pour pourvoir aller de l’avant . Justement nous voulons avoir cette conversation avec les frères qui sont maintenant à un niveau de discussion. Si on arrive à sortir de ce schéma de fédération on pourra vraiment regarder et examiner en détail l’offre de la partie gouvernementale on peut enregistrer des avancées.

C’est là aussi où on pourra faire des efforts supplémentaires pour prendre en charge ces préoccupations en gardant à l’esprit qu’il y a des choses qui sont vraiment essentielles et cardinales dans la structuration de la république et que sur ces questions il est vraiment difficile de céder sans toucher à l’unité du pays.

En filigrane dans certaines interventions, on laisse à penser que la crise malienne serait liée à des agendas extérieurs au Mali

M. Abdoulaye Diop : Cette crise est multiforme. Nous avons conscience aussi à commencer par l’arrivée d’éléments consécutifs aussi à la crise libyenne où certains éléments ont quitté avec armes et bagages et sont venus dans le nord du Mali. Cela a constitué l’élément déclencheur. Mais nous savons qu’il y a certainement beaucoup d’implication, mais ne nous voulons pas aller sans avoir d’éléments précis pour accuser qui que ce soit. Mais nous savons qu’il y a cet élément extérieur qu’il faut prendre en considération.

Il peut y avoir d’autres éléments. Mais aujourd’hui , c’est surtout l’élément du terrorisme qui a une dimension importante, une dimension qui nous préoccupe au plus haut point. Il y a toujours des motivations ; les autres Etats ou entités ils ont leurs intérêts et ils vont chercher par des moyens qui leur sont propres pour pouvoir avoir ce qu’ils veulent. Mais ce qui est important c’est que si les Maliens sont unis , nous serons en mesure de contrer beaucoup de ces velléités. C’est pourquoi il nous faut aujourd’hui un accord politique , un accord de paix qui permet entre maliens de travailler à construire notre pays , mais aussi à travailler à contrer certains agendas qui ne peuvent pas.

vous ne pouvez plus prendre plus de temps pour aboutir à un accord de paix car il y a urgence.

M. Abdoulaye Diop : Dès le début il y avait cette urgence. Et elle nous interpelle chaque jour davantage. Pourquoi ? Regardez la souffrance de la population sur le terrain. Beaucoup de nos compatriotes qui sont dans les camps de refugiés ou qui sont dans des personnes déplacées ou même ceux qui sont dans le pays, ne vont pas à l’école, ils n’ont pas accès aux soins, il n’y a pas de routes nécessaires, il y a également l’élément terroriste. Vous aves vu ces dernières semaines la recrudescence des menaces terroristes avec beaucoup de pertes en vies humaines du côté de l’armée malienne, des populations mais aussi du côté des forces internationales. Tout ceci nous interpelle et nous indique que la situation sur le terrain est préoccupante et que ceci exige de nous d’aller vite. Parce qu’il y a aussi des groupes terroristes et des groupes de narcotrafiquants qui sont hostiles à la paix et qui vont jouer contre le processus qui est en cours.

Nous devons être conscients et aller vite pour ne pas laisser le champ aux ennemis de la paix de prendre pied et de menacer le processus.

Est-ce cette prise de conscience est partagée par tous les belligérants ?

M. Abdoulaye Diop : Si je m’en tiens aux déclarations des uns et des autres, c’est partagé. Mais nous devons aller au-delà des déclarations. Il faut aujourd’hui des actes. Si certains estiment qu’il y a des parties du pays qui sont sous leur contrôle cela exige une responsabilité. Vous ne pouvez pas avoir le contrôle d’une partie du pays et que vous soyez en même temps dédouanés des responsabilités qu’impliquent la présence de certains actes. Ils doivent s’’engager et prendre les mesures nécessaires pour pouvoir coopérer avec la communauté internationale pour que les actes criminels ou terroristes qui se passent sur les territoires qui sont sous leur contrôle puissent cesser.

Vous estimez qu’il faudra combien de temps pour parvenir à cet accord de paix ?

M. Abdoulaye Diop : Il est difficile de se projeter en termes de temps. Nous sommes tous pressés. Il y a urgence pour tout le monde mais en même temps, aucun de nous ne doit sous estimer la difficulté et la complexité de la tache dans laquelle nous sommes engagés. Tout est possible si chacun de nous continue à démonter un engagement sans faille. Un engagement sincère. si nous continuons aussi à bénéficier de l’amitié, du soutien et de l’intérêt de la communauté internationale avec l’Algérie en tête. J’avoue que nous sommes très reconnaissant au président Bouteflika au ministre Lamamra et à toute son équipe , mais aussi à l’ensemble du peuple algérien qui a consenti des efforts extrêmement importants de se dédier à ce processus. Nous pensons que pour réaliser des choses dans le calendrier que nous souhaitons , cela demande
une conjonction d’efforts .

Nous saluons l’engagement de la communauté internationale auprès du Mali , car ce n’est pas le seul foyer de tension dans le monde , mais elle a décidé d’être aux cotés de l’Algérie et d’aider le Mali à travers cette médiation . Ceci mérite que la partie malienne fasse le pas nécessaire pour continuer à mériter cette confiance.

On a l’impression que le processus est très fragile et qu’à chaque nouvelle rencontre on s’achemine vers une remise en cause. Partagez vous ce sentiment ?

M. Abdoulaye Diop : Ce genre de processus n’est jamais un fleuve tranquille. Chacun de nous souhaite que les acquis soient préservés et que nous puissions les renforcer et aller de l’avant. Il est vrai que souvent on a le sentiment que les engagements sont remis en cause et que nous faisons un pas en avant et deux en arrière. Mais il ya eu des avancées parce que personne ne tend à remettre en

cause le processus lui-même. Il y a des tactiques de négociations. Mais ce qui est important c’est que les engagements qui sont signés soient tenus. Nous sommes tous signataires de la feuille de route et nous savons ce qu’il y a à l’intérieur comme engagements et tous les engagements sont respectés. C’est ce qui permet de consolider les choses et qu’il faut à chaque fois rappeler aux uns et aux autres. Vous avez raison ce sentiment peut être inhérent à ce type de processus.

Vous êtes optimiste ?

M. Abdoulaye Diop : Je suis confiant et je suis certain que nous allons aboutir à un accord de paix. Je ne peux pas vous dire exactement quel jour. Nous espérions et nous prions dieu que cet accord soit le plus proche possible et que les quelques points qui sont encore à approfondir pourraient être aplanis, assez

rapidement pour nous permettre d’avancer. Mais ce n’est pas simple. Nous sommes engagés et nous pensons tenir le bon bout et nous pensons parvenir à cet accord et nous avons cette responsabilité chacun de nous de faire les efforts qui sont nécessaires pour aller vers l’accord qui est en fait qu’une étape. Parce que l’accord va ouvrir une étape vers une paix qui va exiger encore d’autres efforts supplémentaires. sa mise en oeuvre sera un nouveau chantier mais l’accord permettra de consolider les choses et de donner cet espace pour renforcer chaque jour la confiance entre les parties. Est-ce que les liens d’amitié qui existent entre nos deux pays favorisent

–ils la médiation de l’Algérie ?

M. Abdoulaye Diop : Nous partageons plus de 1200 kilomètres de frontières, l’Algérie qui a toujours été impliquée dans les différents processus de paix au Mali, à une bonne connaissance des enjeux politiques et stratégiques et est impliquée dans ce sens où l’instabilité au Mali c’est l’instabilité en Algérie. Il y a beaucoup de raisons pour que l’Algérie
doit jouer ce rôle.

Ces éléments ont favorisé le fait que notre Président se soit tourné vers l’Algérie, qui est un partenaire naturel pour nous, pour aider à ramener la paix et la stabilité. L’Algérie est un acteur régional extrêmement important , respecté dans le monde et je crois qu’avec cette présence importante la crédibilité qu’elle a au plan africain et au plan international lui donne de atouts supplémentaires pour pouvoir travailler avec chacune des parties et utiliser son influence auprès des uns et des autres pour faire avancer les choses.

Entretien réalisé par Nadia Kerraz


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