La nouvelle de l’affrontement entre BouramaTidiani Traoré, député RPM de Kati, et le juge de paix à compétence étendue de Ouélessébougou, Amadou Bocar Touré, s’est répandue comme une traînée de poudre. Depuis l’interpellation du député par la gendarmerie, les Maliens parlent d’une guerre entre deux pouvoirs constitutionnels : le parlement et la justice. Comment l’affrontement s’est-il produit ? Quelles en seront les suites ? Voici la version du procureur général près la Cour d’Appel de Bamako, Daniel Tessougué, qui a animé, vendredi 28 novembre 2014, dans son bureau, un point de presse.
Selon le procureur général, « cette affaire est un moment très triste dans la vie de l’institution parlementaire ». Il relate que le mardi 25 novembre 2014, le juge de paix à compétence étendue de Ouéléssébougou, Amadou Bocar Touré, l’a appelé vers 19 heures pour lui dire qu’il venait d’être agressé dans son bureau par un député. Tessougué, étonné, fait recouper l’information; il apprend qu’effectivement, entre 18 heures et 19 heures, le député Bourama Tidiane Traoré était présent dans la cour du tribunal. « Immédiatement, j’ai appelé le directeur national de la gendarmerie pour lui intimer de faire arrêter le député, narre le procureur général; mes ordres furent respectés ». Parlant de la cause du conflit entre le juge et le député, Tessougué révèle qu’il s’agit d’une affaire foncière dans laquelle un premier jugement avait été rendu le 10 avril 2014. Saisi d’un nouveau pan du dossier, le juge Touré, nouvellement nommé à Ouélessébougou, avait souhaité entendre le chef de village de Banazolé (village natal du député Bourama Traoré) et ses conseillers. Rendez-vous leur avait été donné au tribunal pour le 4 décembre 2014. Avant cette date, le député Bourama T. Traoré se rend dans le bureau bureau du juge auquel il s’adresse en ces termes: « Je viens vous interpeller au sujet d’un dossier foncier ». Réponse du juge: » Je ne suis pas un membre du gouvernement pour être interpellé par un élu ». Le ton monte jusqu’à ce que les deux hommes en viennent aux mains. Le procureur général commente: « Personne, pas même le président de la République, n’a le droit savoir le contenu d’un dossier judiciaire, s’il n’est pas avocat constitué dans le dossier ou partie au litige« .
Interrogé sur la possibilité légale d’arrêter un député couvert par l’immuinité parlementaire, le procureur général répond que le cas de l’espèce relève du flagrant délit. « L’immunité d’un député n’a aucune valeur en cas de flagrant délit. Si un élu est pris en flagrant délit, il est traité comme un simple citoyen sans qu’il y ait lieu à lever son immunité, affirme Daniel Tessougué; les députés doivent savoir que leur mission n’est pas d’aller donner des coups de poing mais de défendre l’Etat et les citoyens qu’ils sont censés représenter ».
Parlant de la résolution parlementaires aux fins de libération de Traoré et de la menace des députés de faire tomber le gouvernement si leur collègue n’est pas libéré, Tessougué dira qu’une résolution parlementaire ne donne pas droit à une libération immédiate: « La libération interviendra à la suite d’une procédure qui est en cours. En ce qui concerne la menace de motion de censure du gouvernement, pourquoi les députés ne l’ont-ils pas mise en oeuvre pour des choses pires que l’incarcération de leur collègue ? S’ils votent une motion dans le cas d’espèce, le peuple retiendra qu’ils sont élus pour défendre leurs intérêts et non ceux de l’Etat et du peuple ».
L’affaire sera-t-elle réglée à l’amiable ? Le procureur général répond que le Mali a une vieille tradition de règlement des conflits à l’amiable. « Je déplore que les élus n’aient pas, au départ, exploré cette voie, préférant montrer leurs muscles, aux dépens de leur collègue », souligne Tessougué. Qui précise: « Ce n’est pas parce qu’un magistrat a été agressé que la justice s’est mise en branle; c’est parce qu’aucun citoyen n’a le droit d’agresser un autre citoyen, surtout quand ce dernier se trouve dans l’exercice de ses fonctions. J’ajoute que la justice connaît régulièrement des cas de flagrant délit. Vu les dures conditions dans lesquelles travaillent les magistras, il est inadmissible de les laisser agresser ! ».
Le procureur général est formel:« J’ai appris qu’un journaliste a été frappé par un député; qu’un douanier a été agressé par un autre député; qu’un policier a également été agressé par un député. Le jour où je serai officiellement saisi d’une plainte à cet égard, je ferai immédiatement coffrer les auteurs! Renseignez-vous ! Un haut cadre de ce pays a récemment agressé un policier qui est venu se plaindre chez moi: j’ai fait mettre le haut cadre en prison. Une dame a été tabassée par un autre très haut responsable étatique: j’ai fait écrouer le coupable. Je ne fais pas de publicité sur les actes que je pose, mais chaque fois qu’un justiciable me saisit à juste cause, j’agis sans tarder ! ».
Le procureur général rappelle qu’après avoir fait écrouer le député Bourama Tidiane Traoré, il en a informé, au téléphone, le ministre de la Justice qui était en partance pour l’étranger.« J’ai préféré informer personnellement le ministre des faits au lieu qu’il les apprenne par des tiers », explique Daniel Tessougué. En revanche, le magistrat exclut de rencontrer le président du parlement en vue de l’inciter à former les députés au droit. Il tient toutefois à souligner: « Il ne saurait y avoir de conflit entre les pouvoirs exécutif et judiciaire. ».
Abdoulaye Guindo