Après le tirage au sort de la Can 2015, nous avons recueillis l’avis de Djibril Dramé sur les chances des Aigles à cette compétition.
Dramé, est-il besoin de le préciser, est le seul entraîneur local à remporter une consécration à dimension africaine, notamment en 2008 le trophée corridor à Abidjan face à la Côte D’Ivoire et la coupe Caf avec le stade malien en 2009. Visions éclairées d’un technicien.
Le Tjikan : Coach, vous n’êtes plus à présenter au public malien qui vous connaît parfaitement. Dites nous ce que vous faites présentement comme activité ?
Djibril Dramé : Présentement, je travaille au ministère des sports comme chef de section, chargé de la supervision des compétitions nationale et internationale, en même temps directeur technique de la fédération malienne du sport scolaire et universitaire. Tout récemment, j’étais chargé d’encadrer l’équipe nationale B qui devait aller au tournoi de l’UEMOA à Lomé et qui a connu qu’à même un report pour l’instant.
Le Tjikan : Parlons à présent du parcours des Aigles durant les éliminatoires de la Can 2015. Quelle est votre appréciation ?
D D : Le parcours des Aigles dans ces éliminatoires de la Can a été un parcours mitigé, en ce sens qu’il ya eu des hauts et des bas. On était dans une poule où on était considéré comme favori avec l’Algérie évidemment. Les supposés faibles étaient l’Ethiopie et le Malawi. Encore une fois de plus ces deux pays ont montré que le football n’est plus le débat dans les ‘’grins’’, ce n’est plus le débat du quartier, ça se passe réellement sur le terrain. Nous avons gagné contre le Malawi à Bamako, même si ça été difficile.
Au retour, le Malawi nous a rendu la pièce de la monnaie. Nous avons joué contre l’Algérie à Alger. C’est jusqu’à la dernière minute, suite à une situation standard qu’on ne s’attendait pas, nous avons encaissé ce fameux but qui a fait l’objet de débats. Ensuite on a fait une belle prestation aussi en Ethiopie en gagnant 2 buts à 0. Comme je l’ai dit tantôt, c’est un bilan mitigé, il ya eu des hauts et des bas. Et ça été très laborieux pour notre équipe nationale, parce qu’on a failli rater la qualification.
Le Tjikan : A vous entendre, les Aigles pouvaient mieux faire que trois victoires, trois défaites, 6 buts marqués et 6 buts encaissés ?
DD : Effectivement, on pouvait faire mieux. En football on peut toujours mieux faire. Comme vous venez de le dire, ils ont joué 6 matchs au total, marqué 6 et encaissé 6. Ce qui veut dire que ça ne va pas sur le plan offensif et sur le plan défensif. Cela veut dire 1 but encaissé par match et 1 but marqué par match.
Si on regarde sur d’autre plan, on va dire que ça été des matchs nuls. C’est dire vraiment que l’équipe n’a pas réellement eu la chance de se surpasser. Dans cette équipe malienne en reconstruction, il ya de grandes individualités, peut être ils ont mal apprécié les adversaires. C’est ce qui peut expliquer cet état de fait.
Sinon individuellement, on sait que c’est des joueurs capables de faire mieux. Bakary Sako, Mola Wagué, Cheick Tidiani Diabaté, Diaby et beaucoup d’autres. Ce sont des joueurs pétris de qualité. Je pense qu’il ya eu beaucoup de problèmes dans la gestion du match. Il faut reconnaître qu’il ya eu des matchs où, par rapport aux onze rentrants, il ya eu des erreurs, on ne peut pas faire venir des arrières centraux et les mettre de côté pour faire jouer des latéraux à la place des arrières centraux.
Je ne sais pas qu’est – ce qui a animé l’encadrement ce jour – là. Tout compte fait, je ne suis pas dans leur environnement, peut – être qu’il ya des explications techniques. Je pense que dans cette poule, les Aigles pouvaient faire mieux. Ne serait-ce que le dernier match contre l’Algérie, on a vu une équipe malienne qui a montré qu’elle peut aller encore loin, qu’elle a des possibilités.
Le Tjikan : Quel a été pour vous le plus bon et le plus mauvais match des Aigles dans ces éliminatoires ?
DD : Le match le plus intéressant dans ces éliminatoires a été le match contre l’Ethiopie en Ethiopie. Parce que là, le plus important était la victoire. Au-delà de la victoire, il y avait la manière aussi, on a dominé notre sujet de bout en bout. Le second match qu’on peut apprécier comme bon match, ça été le match contre l’Algérie.
Sur le plan tactique, l’encadrement a pu mettre une stratégie en place qui a posé d’énormes problèmes à cette équipe algérienne chez elle. Je pense que ces deux matchs sont au dessus de la moyenne. Les matchs les plus mauvais qu’on peut classer ont été le match contre l’Ethiopie à Bamako où l’équipe nationale a carrément passé à côté et contre le Malawi où l’équipe était méconnaissable.
Le Tjikan : Selon vous à quel niveau se situe le point faible des Aigles ?
DD : Une équipe qui marque 6 buts et qui encaisse 6 buts en 6 matchs, ça veut dire qu’il ya beaucoup de choses à revoir. Il ya des problèmes aussi bien sur le plan offensif que défensif. Le côté positif de cette équipe, c’est qu’elle a en son sein des joueurs de grandes individualités. Avec beaucoup de travail, de complémentarité, de création, de cohésion, je pense qu’on peut avoir une très bonne équipe.
Sur le plan défensif, il ya eu des problèmes de choix, d’appréciation. Je pense qu’au dernier match, on a essayé de corriger. Les gens qui ont eu la chance d’évoluer ont pu qu’à même coller les brèches. De façon globale, je pense que dans les deux paramètres offensif aussi bien que défensif, tout est à revoir et même du côté des gardiens. Entre Soumaila Diakité et Samassa, on n’arrive pas à faire la part des choses. On ne sait pas qui doit être titulaire, qui remplaçant. Et pourtant Samassa a montré ses limites.
C’est vrai, c’est un joueur qui joue à haut niveau, comparativement à Soumaila qui joue dans le golf. Peu- être, c’est l’une des raisons qui motivent l’entraîneur à pouvoir choisir Samassa qui joue dans le championnat français, ligue 1 et qui est titulaire au profit d’un joueur qui joue dans le golf, qui n’est pas souvent titulaire. C’est tout à fait normal qu’il raisonne de cette façon. Mais la vérité reste la vérité du terrain. Celui qui donne le meilleur de lui-même dans un match, mérite de continuer.
Le Tjikan : Parlons à présent du tirage au sort effectué. Pour vous lequel des groupes est réputé être le groupe de la mort ?
DD : Pratiquement dans le monde du sport, de façon globale, que ça soit les supporters, les dirigeants, les entraîneurs, les acteurs, les gens parlent toujours de poule de la mort. On le dit toujours par rapport à quelque chose. Ces choses là , relèvent du passé. C’est vrai, l’avenir sort du passé aussi. Mais le football de plus en plus dans son évolution est entrain de nous montrer que la seule vérité qui demeure, c’est la vérité du terrain.
A titre d’exemple à la coupe du monde passée, les équipes dont les championnats sont considérés comme étant les plus médiatisés du monde, notamment le Portugal, l’Espagne, l’Angleterre, l’Italie, ont été les premiers pays à sortir de la compétition. Donc, les noms ne jouent plus. C’est pas le championnat d’un bon niveau qui va jouer.
Tout va dépendre de la vérité du terrain. Donc, dire qu’il ya poule de la mort, c’est des déclarations pour animer souvent le débat. Sinon en réalité, le football a carrément évolué. Ce qui reste, c’est la vérité du terrain et cette vérité aussi, dépend de la bonne préparation, d’un bon environnement. La performance, c’est à ces deux niveaux, à savoir l’endogène et exogène. Une équipe qui bénéficie de l’endogène, si l’environnement n’est pas sain, elle passe à côté. Une équipe qui a un bon environnement, si l’endogène n’est pas à la hauteur, elle passe, elle aussi à côté. Les deux doivent être maîtrisés.
Ce qui est important aussi, c’est le choix des hommes, la stratégie mise en place et la lecture du jeu de l’encadrement. Ces paramètres sont importants à ce stade de la compétition. Je pense que toutes les équipes qui sont arrivées à ce niveau ont amplement mérité leur qualification. Ces équipes ont leur mot à dire et chaque équipe à sa chance et ses faiblesses.
Le Tjikan : L’objectif des Aigles pour Guinée équatoriale est de faire mieux que la 3ème place. Pensez-vous qu’en se trouvant dans le même groupe que le Cameroun, la Côte D’Ivoire, la Guinée, les Aigles pourront atteindre cet objectif ?
DD : Quand on va dans ce genre de compétition, il faut toujours se fixer un objectif. Les gens ont placé la barre à ce niveau tout simplement, parce que le Mali, lors des deux compétitions passées, a été deux fois troisième. Ce qui veut dire, si on doit participer pour une troisième fois et de façon consécutive, le plus important c’est d’aller un peu au – delà. C’est bien logique de se fixer un objectif clair et sincère.
Dire que le Mali pourra atteindre cet objectif ou pas, c’est trop dit. Comme je l’ai dit tantôt, chaque équipe a ses forces et faiblesses. Si j’essaie de décortiquer un tout petit peu les différentes équipes dans cette poule, je prends d’abord le Cameroun. Cette équipe était absente lors des deux éditions passées.
Cela n’explique pas qu’elle ne peut pas donner le meilleur d’elle-même. Regardez un peu leur parcours lors des éliminatoires. Elle a pratiquement joué tous ses matchs avec un jeu de qualité au dessus de la moyenne. Si on regarde cette équipe Camerounaise de façon globale, elle est non seulement physique, mais aussi mentale comme les Camerounais l’ont toujours été. Comme faiblesse, c’est la défense Camerounaise qui m’inquiète un tout petit peu. Mais il faut reconnaître que c’est une équipe très athlétique.
Quant à la Guinée Conakry, les oppositions Mali – Guinée, cela a toujours tourné en faveur des Aigles. C’est la Guinée qui fait pratiquement tout le jeu, mais c’est le Mali qui fait toujours l’efficacité. Sur le plan mental, le Mali doit avoir une certaine ascendance sur cette équipe. Mais si on se réfère dans un passé récent, où cette équipe a joué toutes ses rencontres à l’extérieur et a très bien négocié, en parvenant à se qualifier, ça veut dire qu’elle a de l’ambition. Donc ce n’est pas une équipe à minimiser, on doit la prendre au sérieux.
Les oppositions Mali – Côte D’Ivoire ont tout le temps tourné en faveur des Ivoiriens. Là aussi, c’est un problème mental. C’est le Mali qui fait tout le temps le jeu et la Côte – D’Ivoire fait l’efficacité. L’avant – dernière Can, ils nous ont éliminés au stade des quarts de finale.
Si on regarde de façon globale, c’est le Mali qui a fait l’essentiel du jeu et on a même dominé. Mais la Côte – D’Ivoire a eu sa suprématie sur nous. Mais cette équipe ivoirienne est en reconstruction totale. Il ya eu le départ de certains ténors, certains cadres. Cette équipe ivoirienne dans sa division offensive, n’est pas du tout stable, n’a pas un bon gardien. Je pense qu’elle est prenable.
Le Mali peut avoir l’opportunité de pouvoir s’imposer contre cette équipe, cette année et qu’on essaye de renverser la tendance une fois pour toute. Quant à cette équipe malienne, tout va dépendre non seulement de la préparation, en tenant compte des deux facteurs de la performance, endogène et exogène, et éventuellement le choix des hommes, la stratégie mise en place, la bonne lecture du jeu…
Le Tjikan : Kasperczak s’est dit ouvert aux critiques à condition d’être constructives. Que lui suggérez – vous ?
DD : Vous savez, un entraîneur qui veut réellement progresser doit accepter les propositions de ce genre. Pour preuve, lors du dernier match, il ya une grande mobilisation autour de l’équipe. N’eut été l’apport des autres, peut – être qu’elle allait passer à côté. Cela, pas parce que l’entraîneur est incompétent, mais tout simplement à cause du fait que la gérance humaine n’est pas du tout facile.
Il ya des périodes où on est obligé de composer avec la masse, on doit écouter tout le monde pour pouvoir tirer les bonnes observations, les bonnes leçons, pour pouvoir faire progresser l’équipe. S’il dit qu’il est ouvert aux critiques pourvu qu’elles soient constructives, ça va être un plus pour lui de pouvoir bien gérer cette phase finale où beaucoup de Maliens s’inquiètent par rapport au choix des hommes.
On a un grand éventail de potentiels de joueurs à l’extérieur. Le problème qui va se poser à ce niveau est le choix des hommes. Il ne faut pas prendre les joueurs par rapport à leur nom. Les joueurs qui ont fait tâche d’huile à un moment donné dans leur carrière qui ne sont pas titulaires aujourd’hui dans leur équipe n’ont pas leur raison d’être si on va dans ce genre de compétition.
Le Tjikan : Kasperczak bénéficie – t – il d’un coup de main de la part de l’association des entraîneurs de football du Mali ? Par exemple si vous lui faites part des forces et faiblesses de nos adversaires que vous connaissez parfaitement.
DD : Depuis sa création jusqu’à nos jours, l’association a toujours œuvré par rapport à ça. On a demandé à la fédération, au ministère des sports, au comité national olympique pour que lors des phases finales, on puisse prendre trois ou quatre entraîneurs, ne serait – ce que pour aller observer les adversaires et éventuellement venir travailler avec l’entraîneur principal. Aujourd’hui dans toutes les équipes du monde, c’est l’encadrement avec un staff. Le cas de Stephen Keshi est là pour ne citer que ça. Il était entouré de tout un arsenal d’anciens joueurs et entraîneurs avec qui, il échangeait avant et après chaque match.
Souvent l’entraîneur peut avoir une bonne idée, mais il n’est pas convaincu dans son fort intérieur. S’il a autour de lui un effectif ,un noyau de connaisseurs, de techniciens qui vient avec des idées, ça ne fait que lui conforter dans sa tâche. La fémafoot, le ministère des sports ou encore le comité olympique peuvent s’atteler à ça, dès maintenant, ils peuvent demander à l’entraîneur national de se mettre en rapport avec certaines compétences nationales pour qu’on commence à travailler.
Chacun de nous a eu la chance en tant que techniciens, anciens joueurs, de voir les différentes équipes lors des éliminatoires. Chacun de nous aura la chance de voir lors de l’ouverture ces différentes équipes. En conjuguant nos idées, on peut trouver toujours la bonne formule, la bonne solution. A la date d’aujourd’hui Kasperczak n’a jamais bénéficié de cet apport, il n’a jamais cherché à rencontrer l’association. En tout cas, il est au courant que l’association existe. Mais à la date d’aujourd’hui, on n’a aucun rapport, aucun contact.
Entretien réalisé par Almihidi Touré