Libération de Serge Lazarevic en échange de celle de quatre prisonniers jihadistes dont Mohamed Aly Ag Wadoussène : Le Ministre Mohamed Ali Bathily confirme « Ça ne sert à rien de nier la réalité… Nous l’avons fait »
15 déc 2014 à 08:00 AM Rubrique: Nord-Mali
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Le débat est clos: le Gouvernement Moussa Mara reconnaît avoir libéré des prisonniers jihadistes, dont Mohamed Aly Ag Wadoussène, le meurtrier du gardien de prison l’Adjudant Kola Sofara, en échange de la libération du dernier otage français qui était détenu par les groupes armés du nord, le nommé Serge Lazarevic.
C’est le vendredi dernier, 12 décembre 2014, que le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, M. Mohamed Aly Bathily est passé aux aveux, au cours d’une émission télévisée de France 24.
« C’est un fait, tout le monde le sait, ça ne sert à rien de nier la réalité », a déclaré Ministre de la Justice Mohamed Ali Bathily. « Le Mali l’a fait dans un cadre bien précis », a-t-il précisé. « Nous avons pris part aux négociations ayant abouti à la libération de Lazarevic… Sauver la vie a été une constante dans l’attitude des autorités maliennes chaque fois que des innocents ont eu leur vie menacée, y compris lorsqu’il s’est agi de Maliens », a t-il ajouté. Le Ministre reconnaît par ailleurs que: “Nous l’avons fait, y compris à l’intérieur lorsqu’il s’agissait de Maliens, nous l’avons fait de surcroit quand il s’agit de personnes ressortissantes de pays qui sont venues quand même nous aider dans les moments les plus critiques”.
Il a évoque qu’en juillet dernier, le Gouvernement a libéré « de la même manière et avec le même type d’échange » de combattants armés faits prisonniers en échange de la libération de militaires, préfets ou policiers maliens qui avaient été faits prisonniers lors des affrontements qui ont eu lieu à Kidal au mois de mai 2014.
En effet, le 15 juillet 2014, le Gouvernement Moussa Mara a procédé à la libération puis à l’échange de 42 éléments des groupes armés présumés auteurs de graves violations de droits de l’homme et inculpés par la justice malienne, contre 45 éléments des forces armées et de sécurité capturés par les groupes armés lors des combats 17 mai 2014 à Kidal. Cet échange de prisonniers est intervenu à la veille de l’ouverture des négociations politiques, le 16 juillet 2014 à Alger.
A l’époque, la la Fédération Internationale de la Ligue des Droits de l’Homme (Fidh) a indiqué qu’elle s’inquiète “de voir la lutte contre l’impunité des auteurs des crimes les plus graves remise en cause par les négociations politiques en cours et l’échange de présumés responsables de violations des droits humains contre des prisonniers de guerre.” Aussi son président, M. Karim Lahidji, précisait-il que “Si nous comprenons les raisons humanitaires de cet échange, de telles libérations à caractère politique peuvent être préjudiciables aux droits légitimes des victimes à voir avancer les procédures judiciaires relatives aux crimes commis au nord, nomment garantir que les responsables répondent de leurs actes au cours d’un procès juste et équitable”.
Se fondant sur cette première expérience du mois de juillet, le Ministre Maohamed Aly Bathily soutient que « le Mali ne peut pas faire moins pour les ressortissants de pays qui l’ont aidé que ce qu’il a fait pour ses propres fils ». Mais, ajoute t-il, « ce n’est pas de gaieté de coeur que le Mali s’engage dans de telles décisions ». Cependant « la réalité d’une négociation », souligne t-il, fait loi.
LA COLÈRE DES PARTIS POLITIQUES ET DE LA SOCIÉTÉ CIVILE
La rumeur sur la libération des quatre prisonniers jihadistes avait soulevé de vives protestations de la part des organisations des droits de l’homme, notamment l’Association Malienne des Droits de l’Homme (Amdh) et le Wildaf, une organisation de juristes qui aide les veuves et les femmes en détresse dans les procédure devant les tribunaux. En effet, le mardi 09 décembre, ces deux orgnisations ont animé une conférence de presse pour dénoncer ce qu’elles ont appelé “la énième libération des auteurs présumés des violations de droits humains”.
Dans un communiqué remis à la presse ces organisations ont révélé ce jour-là que les autorités ont procédé « à la énième libération des auteurs présumés des violations de droits humains en procédant à la libération Mohamed Aly Ag Wadoussène, Haïba Ag Achérif présumes terroristes ainsi que Oussama Ben Gouzzi et Habib Ould Mahouloud, auteurs présumés de graves violations de droits humains au Mali, en échange de l’otage français Serge Lazarévic hier Mardi le 9 décembre 2014. » Ces organisations précisaient que les sieurs Haïfa Ag Achérif, Oussama Ben Gouzzi (tunisien) et Habib Ould Mahouloud (Sahara Occidental) ont été libérés par la Cour d’Appel, le 4 décembre 2014. Et que quelques jours plus tard Mohamed Aly Ag Wadoussène a lui aussi été libéré. Aussi appelaient-elles le Gouvernement à dire toute la vérité sur la libération de ces “bandits”, et s’ils sont toujours détenus au Mali d’indiquer le lieu de leur détention.
Le lendemain 10 décembre 2014, huit (8) partis dits de l’opposition républicaine (Parena, Fare, Pdes, Pids, Ps Yelen Kura, Psp, Prvm Faso Ko, Urd) ont publié un communiqué dans lequel ils ont exigé du président de la République la mise en œuvre de son devoir de rendre compte au peuple avec la transparence requise en révélant le nombre, le nom et l’identité des terroristes qu’il a libérés dans le cadre de la libération de l’otage Français Serge Lazarevic. Aussi ont-ils déclaré qu’“en agissant en dehors des règles de l’État de droit, le président fragilise davantage notre pays et met à nu l’incompétence et le manque d’anticipation qui caractérisent l’action de son gouvernement. Il fait peu de cas de la justice, des victimes et de leurs familles, et encourage l’impunité, autre marque de fabrique de sa gouvernance”.
Enfin, le jeudi 11 décembre 2014, les gardiens de prison ont vivement protesté, et menacent même d’aller en grève, contre la libération de Mohamed Aly Ag Wadoussène, qui a tué l’un des leurs lors d’une tentative d’évasion de la prison centrale de Bamako. En effet, le 16 juin 2014, Mohamed Aly Ag Wadoussène s’échappa de la Maison centrale d’Arrêt de Bamako avec Haïba Ag Achérif, après avoir tué l’Adjudant Kola Sofara dont la famille, reçue par l’Amdh le 24 juin 2014, réclama l’ouverture d’une enquête, afin de faire la lumière sur cet assassinat. Le 24 juillet 2014, Mohamed Aly Ag Wadoussène est arrêté de nouveau par les forces de sécurité à Hamdallaye ACI. Dès lors Il était détenu depuis par la Sécurité d’État.
En fait, Mohamed Aly Ag Wadoussène est impliqué dans deux dossiers différents dont le premier était en phase de jugement et le second en instruction. Il est aussi un déserteur de la garde nationale du Mali (contingent de 2009). Arrêté par la Sécurité d’État le 10 décembre 2011 à Gao et mis sous mandat de dépôt en mars 2012, il est poursuivi pour terrorisme, association de malfaiteurs, prise d’otage et séquestration. Il est l’organisateur principal de l’enlèvement de deux français Serge Lazarévic et Philippe Verdon, le 24 novembre 2011 à Hombori. Philippe Verdon a été assassiné en mars 2013.
On comprend donc pourquoi sa libération en échange de celle de l’otage français Serge Lazarévic fâche énormément les organisations des droits de l’homme, du Wildaf et des gardiens de prison qui voit dans cet acte une prime à l’immunité. Me Moctar Mariko, président de l’Association Malienne des Droits de l’Homme (Amdh), a avait à l’occasion déclaré que « Si nous comprenons la nécessité de trouver des moyens pour libérer les otages, nous considérons que ces solutions ne doivent pas violer les droits des victimes et le principe de la séparation des pouvoirs au Mali ». Aussi soulignait-il que la paix et la réconciliation ne peuvent pas passer par la promotion de l’impunité.
Baba SANGARÉ