ALGER (AFP) - L`Algérie, plus préoccupée par sa paix intérieure avant la présidentielle de 2014, privilégie le dialogue au Mali voisin mais devrait se résigner à une éventuelle intervention militaire ouest-africaine autorisée par l`ONU, estiment les analystes.
La situation de plus en plus chaotique au Mali, dont le nord est sous la
coupe de groupes extrémistes armés et de trafiquants, a poussé Bamako à un
accord en ce sens avec les pays ouest-africains de la Cédéao, tandis que la
question est examinée cette semaine à l`ONU.
L`Algérie a toujours été opposée à une intervention militaire étrangère,
mais elle n`a "incontestablement plus sa capacité à jouer les rôles qu`elle
jouait auparavant", juge Chafik Mesbah, ancien officier spécialiste des
questions de Défense, se référant à l`ère tiers-mondiste sous Houari
Boumediene dans les années 1970.
Ses médiations entre les autorités maliennes et les Touaregs n`ont pas
empêché la crise d`éclater en mars, lorsque des Touaregs ont proclamé leur
indépendance au nord avant d`être balayés par des islamistes.
Alors que le Printemps arabe a balayé plusieurs régimes autocrates en place
depuis des décennies, l`Algérie a jusqu`à présent résisté au mouvement. Grèves
et manifestations font long feu à coups d`augmentations de salaires, même si
l`inflation, supérieure à 7% ces derniers mois, pèse sur le pouvoir d`achat.
Le président Abdelaziz Bouteflika, en poste depuis 13 ans, a lancé des
réformes politiques. Mais en mai, les élections législatives ont maintenu une
majorité d`anciens élus et le Front de libération nationale (FLN, parti du
président) domine encore largement, 50 ans après l`indépendance.
"L`Algérie est plutôt encline à vouloir sauver les meubles, c`est-à-dire à
se concentrer sur l`unité interne et à laisser le reste", estime M. Mesbah.
La stabilité est "un enjeu fondamental" pour les dirigeants algériens,
souligne Rachid Tlemçani, professeur de politique internationale et de
sécurité régionale à l`Université d`Alger.
Risques de déstabilisation
"Ils cherchent à tout prix l`unité et la paix sociales jusqu`en 2014, tout
en regardant de très près ce qui se passe au sud (Mali, Niger) et à l`ouest
(Tunisie, Libye)", explique-t-il.
L`Algérie craint "qu`une intervention militaire ne réveille tous les
intégrismes régionaux, ethniques ou religieux, avec le risque d`ouvrir une
boîte de Pandore", ajoute-t-il.
Immense pays aux confins désertiques, l`Algérie est peuplée de sédentaires
au nord, arabes ou kabyles, et de nomades au sud, essentiellement des Touaregs
ayant des liens familiaux de part et d`autre des frontières.
"Une explosion dans le sud provoquerait une déstabilisation du nord allant
même jusqu`au Maroc. Ce serait inéluctable", insiste M. Tlemçani.
Alger et Rabat, qui se sont livrés à "une guerre des sables" sur leur tracé
frontalier en 1963, sont maintenant en désaccord sur le Sahara Occidental,
ex-colonie espagnole que le Maroc occupe tandis que l`Algérie soutient les
indépendantistes du Front Polisario.
En cas d`intervention militaire régionale, "le principe de l`intangibilité
des frontières sera remis en cause, avec un risque d`implosion comme en
Somalie", relève M. Tlemçani.
Selon un diplomate spécialiste de la région, les autorités algériennes
craignent aussi "de se retrouver dans un affrontement frontal" avec Al-Qaïda
au Maghreb islamique (Aqmi), qu`elles avaient réussi à chasser de leur
territoire durant la décennie noire (1992-2002).
Dans ce contexte, "les Algériens n`interviendront sans doute pas
militairement, du moins pas ouvertement", selon le diplomate, dont l`opinion
est partagée par les deux autres experts.
Si la Cédéao et Bamako partent à la reconquête du Nord, "Alger fera preuve
de pragmatisme" et ne condamnera pas l`intervention, ajoute le diplomate.
Eu égard à ses difficultés internes, "jamais l`Algérie ne prendra le
contre-pied des décisions prises à l`extérieur" sur une intervention militaire
au Mali. "Elle est dans une position mi-figue mi-raisin", conclut Chafik
Mesbah.
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