De tous les départements ministériels, celui de l’Industrie et la Promotion des investissements est le secteur qui a le plus bougé durant la première année de gouvernance du Président IBK. Dans une interview que le ministre Moustapha Ben Barka a bien voulu nous accorder, il a passé en revue l’ensemble des acquis et les perspectives de son département. Lisez plutôt.
Le Prétoire : Monsieur le ministre, en une année vous avez été sur plusieurs fronts, du Qatar à la Chine. Beaucoup d’investissements ont été annoncés. Où en est-on aujourd’hui avec toutes ces promesses ?
Moustapha Ben Barka : Effectivement, en une année nous avons été sur plusieurs fronts, du Qatar à la Chine. Je suis en mesure de confirmer que des engagements ont été pris à l’issue de ces différentes visites qui traduisent non seulement l’exemplarité et l’excellence de la coopération entre ces différents pays et le Mali, mais aussi et surtout la volonté, l’engagement et l’abnégation du président de la République, Son Excellence Ibrahim Boubacar Keita, à réaliser sa promesse de faire le bonheur des Maliens en bâtissant un Mali émergent d’ici à 2025.
Depuis un certain temps, on constate un regain d’engouement pour la destination Mali. Plusieurs firmes étrangères recommencent à exprimer le souhait de s’implanter au Mali.
Avec la Chine, il y a 34 engagements qui ont été signés pour plus de 5500 milliards de FCFA, dans les domaines aussi stratégiques que les infrastructures, le bâtiment, le transport, l’énergie, l’investissement, les mines, la technologie et le numérique. Aujourd’hui, la plupart des partenaires chinois ont pris des dispositions pour avancer dans les études de faisabilité qui précèdent la phase de financement et celle des travaux.
Il convient aussi de rappeler que le Royaume du Maroc se positionne aujourd’hui comme un véritable partenaire économique du Mali. En effet, nous constatons des investissements marocains dans plusieurs secteurs de notre économie (banques, assurances, télécommunication, BTP, Agro-industrie, etc.) Il est prévu des échanges plus importants dans le domaine des PME/PMI des deux pays qui sont créatrices de valeurs ajoutées et d’emplois. A cet effet, nous venons d’assister à la création d’une joint venture entre une entreprise malienne et une marocaine dans le secteur de l’Agro-industrie, visant la promotion et la valorisation des chaines de valeurs dans les secteurs laitier et avicole au Mali.
Vous vous êtes donné comme mission d’assainir le monde des affaires et de rendre la destination Mali plus attrayante. A quoi peut-on s’attendre à court, moyen et long termes ?
L’un des éléments d’appréciation de l’émergence des investissements au Mali, reste les réformes engagées, à travers la Cellule Technique des Réformes du Cadre des Affaires (Ctrca) qui, sous la supervision du Ministère de l’Industrie et de la Promotion des Investissements, assure le secrétariat du Comité Mixte de Suivi des Réformes Etat-Secteur Privé.
A court terme, il s’agit de créer un cadre de dialogue participatif et de concertation entre l’Etat et le Secteur privé, pour relever les difficultés et les contraintes liées à la pratique des Affaires au Mali, faire des propositions au Gouvernement en vue de lever les obstacles, afin de favoriser l’installation et le développement harmonieux des entreprises au Mali.
Des progrès significatifs viennent d’ailleurs d’être enregistrés, ce qui a valu au Mali d’être classé par le Groupe de la Banque mondiale dans son rapport Doing Business 2015, 1er de la zone de l’Union monétaire ouest africaine et 5ème de la zone de la Cedeao et 19ème en Afrique subsaharienne.
A moyen terme : un Plan stratégique et opérationnel 2015-2017, est en cours d’élaboration au Ministère de l’Industrie et de la Promotion des Investissements. Ce document sera accompagné d’un dispositif de suivi et évaluation sur la mise en œuvre des réformes. Un Plan de communication assorti d’une stratégie permettra de mieux informer les investisseurs aussi bien nationaux qu’étrangers, sur les efforts entrepris dans le domaine de la sécurisation de leurs investissements, en termes de bonne gouvernance et de modernisation de l’administration.
A long terme: dans le souci permanent d’assurer un développement harmonieux et équitable en matière d’Investissement, le gouvernement a développé une stratégie visant l’amélioration de l’accès au financement à travers différentes initiatives, dont l’opérationnalisation récente du Fonds de Garantie du Secteur Privé (FGSP), qui vient compléter la disponibilité en ligne du site d’information sur les procédures administratives liées à l’investissement eRegulations Mali www.mali.eregulations.org).
Quelles sont les grandes reformes qui se sont opérées au niveau de votre département depuis votre arrivée ?
Au sein de mon département, nous nous sommes résolument engagés dans la voie des réformes pour non seulement améliorer le climat des affaires dans le but d’améliorer l’attractivité de notre pays mais également avoir une incidence sur la pratique des affaires qui constitue une préoccupation majeure pour l’ensemble des opérateurs économiques exerçant au Mali.
A titre d’illustration, on peut citer entre autres : les améliorations dans l’octroi du Permis de Construire, la Protection des Investisseurs, et le maintien de notre niveau quant aux réformes engagées pour le paiement des impôts et taxes et l’exécution des contrats.
Je souhaiterai ajouter que le Capital Minimum pour créer une entreprise sera très prochainement réduit pour encourager la création et la formalisation d’entreprise.
Pour finir, j’ai décidé intégrer dans le plan d’action de suivi des réformes, les préoccupations de notre secteur privé. Il s’agit notamment des recommandations du Livre Blanc de l’Organisation Patronale des Industriels (OPI) et le mémorandum du secteur privé.
L’industrialisation du pays est en bonne place dans les préoccupations du chef de l’Etat. En termes de chiffres, comment se porte le secteur industriel malien ?
Il convient de retenir par rapport à ce point précis qu’une rétrospective s’impose :
En 2013, le secteur industriel malien comptait 619 entreprises industrielles en activité réparties selon la Nomenclature d’activités des Etats membres d’Afristat (Naema) entre trois sections, à savoir: la section «Activités extractives : (1%); la section «Activités de fabrication ou Manufacture»(98%); section «Production et distribution d’électricité, de gaz et d’eau»(1%). La branche «Fabrication de produits alimentaires, de boissons et de tabac» représente 71% des entreprises industrielles de la section «Activités de Fabrication».
En terme de répartition géographique, 55% des entreprises sont localisées dans le district de Bamako, 18% dans la région de Sikasso, 12% dans la région de Koulikoro le reste (15%) se répartie entre les autres régions du pays. Selon leur statut, environ 17% sont des sociétés anonymes.
L’analyse de la taille des entreprises, révèle que plus de 76% des entreprises emploie moins de 50 personnes et seulement près de 8% des entreprises emploie 200 personnes ou plus. Au titre de l’année 2010, on a dénombré 37 226 emplois dont 17 474 permanents dans le secteur industriel. Si la tendance de la croissance constatée se maintenait, on dénombrerait en 2014 environ 40 000 emplois dont 18 000 permanents avec environ 3 000 femmes.
La contribution du secteur industriel au Produit Intérieur Brut a été de 12,6% en 2010, 13,4% en 2011, 14,2% en 2012, 13,7% en 2013 et très probablement le même chiffre en 2014. La part de la manufacture a été de 4,5% en 2010 ; 5,3% en 2011 ; 5,6% en 2012 ; 5,5% en 2013. Pour 2014, il est attendu 5,4% de contribution. (Source : Instat/ Comptes nationaux du Mali, mars 2013).
Nos entreprises industrielles ont exporté divers produits vers la sous-région de septembre 2013 à octobre 2014 pour une valeur totale de vingt-huit milliards trois cent neuf millions sept cent quatre-vingt-dix-huit mille trois cent soixante-cinq (28 309 798 365) F CFA. (Source: DNI selon les certificats d’origine délivrés aux entreprises industrielles exportatrices).
De façon générale et au regard de ce qui précède, nous pouvons dire que l’industrie malienne se porte bien, malgré la crise politico-sécuritaire de 2012. Toutefois, certaines contraintes auxquelles elle est confrontée méritent d’être levées afin de renforcer et pérenniser les acquis. Il s’agit notamment de la concurrence déloyale, de l’accès difficile au financement adapté aux activités industrielles et aux terrains à usage industriel, de la faible qualité des produits industriels et du faible niveau de qualification des ressources humaines des entreprises industrielles.
Vous l’évoquiez tantôt; le difficile accès au financement adapté aux de activités industrielles se pose avec acuité et les industriels maliens se plaignent beaucoup du non accompagnement des institutions financières. Quelles mesures envisagez-vous pour les accompagner ?
Mon département travaille depuis quelques mois à identifier les sources de financement alternatif au financement classique et à accroître leur rôle dans le financement des besoins d’investissement et d’exploitation des unités industrielles. Nous faisons ce travail en synergie avec l’ensemble des acteurs concernés, y compris les industriels et les financiers.
D’ailleurs pour mémoire, je voudrais rappeler que le thème de la journée de l’industrialisation de l’Afrique de cette année, célébrée les 21 et 22 décembre 2014, portait sur l’identification et le développement du financement alternatif.
Concrètement, nous comptons mettre en place très prochainement, en plus du fonds de garantie du secteur privé qui est déjà opérationnel, un Fonds d’investissement afin de faciliter l’accès de nos entreprises industrielles aux ressources longues.
Vous avez annoncé la réouverture de l’Huicoma. Où en est-on avec ce dossier ?
Concernant la relance des activités de l’Huicoma, je puis vous dire que les concertations techniques sont en cours avec l’ensemble des parties prenantes. C’est seulement à l’issue de ces concertations techniques, que l’on pourra se faire une idée sur le temps des préparatifs de cette relance, les coûts et le rôle de chacune des parties concernées. Déjà début septembre 2014, lors de ma visite sur le site à Koulikoro, j’ai tenu à informer les acteurs concernés de la nécessité de bien conduire les travaux techniques relatifs à la relance de l’usine. Vous conviendrez avec moi, que la relance d’une unité industrielle à l’arrêt depuis près d’une dizaine d‘année demande du temps et des efforts que mon département et ses partenaires techniques tant du secteur public comme du privé se doivent d’observer pour mener à bien cette opération que nous voulons pérenne.
Quels sont les facteurs handicapant le développement industriel malien ?
L’industrie au Mali souffre de nombreux problèmes que sont, entre autres : l’insuffisance des infrastructures de base, le coût élevé de certains facteurs de production dont l’énergie, la vétusté des équipements et matériels de production, la faiblesse dans la gouvernance d’entreprise, le difficile accès au financement, la fraude et la concurrence déloyale, la faible articulation entre l’industrie, la recherche et les autres secteurs de l’économie. Ces difficultés affectent la compétitivité des entreprises industrielles et entrainent une augmentation des risques pour l’investissement industriel. Comme je vous le disais plus tôt, nous travaillons à résoudre ces problèmes en étroite collaboration avec les différents acteurs du secteur dans le cadre de la mise en œuvre des mesures de relance de l’industrie telles que consignées dans le Livre Blanc de l’industrie que l’Organisation Patronale des Industriels a soumis récemment au Gouvernement.
En quoi la nouvelle stratégie pour le développement industriel peut être une alternative ?
Le plan d’actions 2015-2017 de la Politique de Développement Industriel, en cours d’adoption, constitue une réponse adéquate aux difficultés des entreprises industrielles. Sur les trois années à venir, les principales activités du plan d’actions de cette politique demeurent : la réalisation d’infrastructures de base nécessaires à l’implantation d’unités industrielles (zones industrielles, routes, centrales énergétiques, etc.) ; la facilitation de l’accès au financement adapté aux activités industrielles ; le renforcement de la lutte contre la fraude et la concurrence déloyale ; la restructuration et la mise à niveau d’entreprises industrielles en difficultés ou à l’arrêt ; l’accompagnement des promoteurs industriels dans la création de nouvelles unités industrielles dans les filières porteuses (coton/textiles, fruits et légumes, matériaux de construction, bétail/viande, céréales et dérivés, produits de cueillette) ; l’amélioration continue de la qualité des produits industriels ;le renforcement des ressources humaines des unités industrielles.
Ces différentes activités permettront, j’en suis sûr, d’améliorer la productivité et la compétitivité des entreprises industrielles, d’accroitre la contribution du secteur industriel à la formation du Produit intérieur brut (PIB) et de renforcer surtout le rôle de l’industrie dans la réduction de la pauvreté dans notre pays par la multiplication des emplois au niveau des unités industrielles.
Parlez-nous un peu de l’Agoa; qu’est-ce qu’un pays comme le Mali peut y gagner ?
African growth and opportunity act (Agoa) est une loi américaine promulguée le 18 mai 2000 par le Président Bill Clinton, visant à encourager le développement du commerce et l’accroissement de la coopération économique entre les Etats-Unis d’Amérique et les pays admissibles d’Afrique subsaharienne. L’Agoa supprime les taxes sur plus de 6 400 produits importés vers les Etats-Unis en provenance des pays éligibles, dont le Mali.
Justement, en quoi l’initiative est-elle profitable ? Et comment tirer le meilleur profit pour le Mali ?
En 2013, le volume des exportations dans le sens Afrique – USA s’est établi environ à 100 milliards de dollar US. Il faut évidemment s’empresser d’ajouter que 92% de ce volume concerne les produits pétroliers. Autre singularité de cette donnée, les pays anglophones de l’Afrique au sud du Sahara dament largement le pion aux pays francophones alors que ces derniers représentent les 2/3 des pays bénéficiaires.
L’on imagine que dans ce lot, notre pays, qui n’est ni anglophone ni producteur de pétrole, n’émergera que très difficilement en terme de performance commerciale. Qu’à cela ne tienne, le Mali a tenté, à la faveur de l’AGOA, de pénétrer le marché américain à travers quelques filières comme le coton, la gomme arabique, le karité, et quelques produits de l’agroalimentaire. Mais force est de constater, que beaucoup d’obstacles structurels non tarifaires avaient, à mi-parcours, été identifiés dans le cadre de la mise en œuvre de nos stratégies d’exportation sous AGOA. Ce sont, entre autres : le non respect des exigences de qualité à mettre au compte de la faible industrialisation locale pouvant permettre d’exporter des produits manufacturés de haute qualité et à forte valeur ajoutée ; le non respect des normes sanitaires et phytosanitaires ; la faiblesse du dispositif d’accompagnement technique, de formation professionnelle et de renforcement des capacités des exportateurs ; les problèmes d’accès au financement bancaire des acteurs tant au niveau des investissements que du fonds de roulement.
Votre mot de la fin ?
Je dirais que l’ambition du Président de la République, Chef de l’Etat, Son Excellence Ibrahim Boubacar Keita, est de faire du Mali une économie forte et émergente, et ce, conformément à sa vision contenue dans son Projet de Société. Pour ce faire, de nombreuses mesures sont mises en œuvre ou en voie de l’être. D’ores et déjà, les efforts du gouvernement pour accompagner les investisseurs industriels sont concentrés sur des points essentiels, entre autres, l’accélération de l’aménagement des zones industrielles et la mise à disposition des infrastructures de bases, l’encouragement des investissements privés et l’assainissement du cadre des affaires résultant d’un dialogue accru entre les autorités publiques et les acteurs du secteur privé.
Entretien réalisé par Harber MAIGA