Dans ce quartier périphérique de Bamako, des failles réglementaires ont permis de morceler les espaces publics ou de les détourner de leur destination.
Kabala qui est un quartier périphérique situé au sud de Bamako, relève administrativement de la circonscription de Kati. Depuis le lancement de grands chantiers d’infrastructures comme le complexe universitaire, le lycée sportif Ben Oumar Sy, le centre d’entraiment pour sportifs d’élite Ousmane Traoré ou encore la station de pompage d’eau, la zone a pris de la valeur aux yeux des spéculateurs. Presque mécaniquement, les litiges fonciers sont devenus monnaie courante et même les espaces publics ne sont pas épargnés par la rapacité des spéculateurs.
A ce jour, plusieurs sites réservés aux équipements collectifs dans le plan de lotissement de Kabala Sud-extension sont occupés illicitement et des travaux y sont exécutés illégalement, si l’on en croit des habitants de la zone. Ces équipements, en principe destinés à des besoins collectifs, sont morcelés et vendus à des particuliers qui les ont détournés de leur destination première. Un déplacement sur ces sites permet de constater qu’effectivement ces parcelles appelées à accueillir des infrastructures publiques, ont été morcelées au profit de tierces personnes.
Des riverains fatigués de crier en vain au scandale, ont décidé de s’organiser pour renverser le cours des événements et restituer ces espaces à leur destination initiale. C’est ainsi qu’est née l’Association pour la jeunesse-avenir de Kabala sud-extension (AJAKSE) qui multiplie les initiatives auprès des autorités compétentes.
UNE MEDERSA ET UNE MOSQUEE.
Entre autres cas patents de terrains accaparés, on peut citer un site réservé à la construction d’une mosquée attribué depuis 2010 à un dignitaire religieux que l’on dit résident à Fana. Des accusations pointent nommément le préfet de Kati de l’époque comme instigateur de cette opération au bénéfice de l’homme de foi qui a transformé une partie de la parcelle en médersa et entend faire de l’autre une mosquée où officierait un iman de son choix. Le projet suscite des interrogations et même des soupçons « d’endoctrinement » relayés par des membres de l’AJAKSE.
En attendant de fournir des preuves sur cette accusation, l’association met en doute la validité du titre détenu par le marabout car, assure-t-elle, les vérifications menées auprès des Domaines de Kati n’ont pas prouvé l’existence d’un tel acte.
Un autre site qui concentre les incompréhensions était appelé à accueillir une école fondamentale publique. Mais l’espace a été morcelé et attribué à deux nouveaux acquéreurs. L’un a déjà commencé à bâtir une école privée et l’autre une maison d’habitation.
Le dernier site polémique était prévu pour le centre de santé, indiquent plusieurs habitants de la zone. Malgré des poteaux d’un mètre de haut peints en rouge et blanc bornant le site, deux chantiers d’habitation ont été lancés dans ce périmètre où de nouvelles bornes apparaissent. Cette matérialisation accompagnait des travaux entrepris par un autre particulier qui a, par la suite, été sommé de stopper son chantier. Depuis, le site est resté en l’état.
Il y a quelques semaines, un autre particulier est venu entamer des travaux. Très vite, il sera imité par d’autres qui jurent tous être propriétaires. Les populations ont dû se rendre à l’évidence : les chances qu’un centre de santé s’élève sur ce terrain sont désormais quasi-nulles. Leur frustration a été accentuée par un incident qui a opposé un riverain à l’initiateur des travaux. Le premier qui signalait au second que le site était réservé à un centre de santé, a suscité chez celui-ci une réaction violente inattendue.
AUCUNE IRREGULARITE. L’actuel préfet de Kati, Baye Konaté, que nous avons rencontré, ne relève aucune irrégularité dans la cession de ces sites. Les personnes intéressées, explique-t-il, ont formulé des demandes d’obtention des sites, conformément au plan approuvé par les autorités administratives compétentes. Suite à ces demandes, les parcelles leur ont été attribuées conformément à la règlementation en vigueur. Peu importe donc le propriétaire du terrain pourvu que sa destination inscrite sur le plan du quartier ne change pas. Les terrains prévus pour accueillir une école, une mosquée et un centre de santé peuvent ainsi être affectés à des particuliers qui sont alors tenus d’y édifier, pour leur compte, les infrastructures en question. Mais pas question d’y bâtir des maisons d’habitation.
Est-ce normal et légal d’attribuer un site destiné à recevoir un équipement public à un particulier ? Oui mais en respectant la procédure réglementaire, répondent les spécialistes. La réglementation foncière permet éventuellement d’affecter un bien public de l’Etat à des particuliers, à la condition que certaines règles soient respectées. Il faut notamment que le requérant fasse la demande auprès des Domaines. Suite à cette demande, une enquête est menée auprès des populations bénéficiaires qui doivent donner effectivement leur accord.
« Pour des raisons d’intérêt général ou d’utilité publique, l’État peut transférer par décret pris en Conseil des ministres, la gestion d’une partie de son domaine public immobilier à une collectivité territoriale qui en assure la conservation » (article 19 ordonnance de 2009 portant modification du Code domanial). L’article 20 poursuit : « Les particuliers ont le droit de jouir du domaine public suivant les conditions spécifiques à chaque nature de biens, l’usage auquel ils sont destinés et ce dans les limites déterminées par voie réglementaire ».
On comprend par là qu’il faut que les bénéficiaires théoriques se reconnaissent dans l’entreprise voulue par le requérant. Ce cas de figure est totalement absent des zones contestées de Kabala Sud-extension.
L’AJAKSE accuse les autorités administratives d’avoir exploité des brèches règlementaires pour attribuer abusivement des actes de propriété sur des terrains appelés à recevoir des infrastructures collectives et publiques. Les populations ont interpelé les autorités administratives concernées, notamment la préfecture et le service d’urbanisme et esté en justice. A l’époque, nous dit-on, le Premier ministre Moussa Mara, alerté, avait demandé aux autorités administratives de Kati de régler la question.
Mais à ce jour, rien n’a bougé de ce côté et les chantiers progressent. L’AJAKSE mise maintenant sur le tout nouveau ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, Mohamed Ali Bathily, qui a fait du foncier son cheval de bataille lorsqu’il dirigeait le ministère de la Justice. Dans tous les cas, les deux départements ne seront pas de trop pour venir à bout de la montagne de litiges qui caractérise le foncier.
Lougaye ALMOULOUD